Si l'ouvrage de Linda Belhadj, Le thriller érotique, nous ravit autant, c'est d'abord parce que c'est le premier livre en langue française qui offre un panorama presque exhaustif des films qui composent ce genre mésestimé, au delà de l'évident Basic Instinct qui constitue son acte de naissance. Ensuite, c'est certainement le premier à en proposer une vraie définition.
Le premier chapitre du livre délimite le genre, le distinguant notamment du néo-noir avec lequel il est souvent confondu, et en établit la chronologie. Le second revient sur de multiples anecdotes en s'attardant sur les coulisses des quatres thrillers érotiques les plus emblématiques (Liaison fatale, Basic Instinct, Sliver et Jade). Enfin, le troisième chapitre s'attache à l'analyse du genre par le prisme sociologique. Il explore la représentation du sexe, opérant notamment une relecture du désir féminin mis en scène dans le thriller érotique, les codes et archétypes, ainsi que - et c'est certainement la partie la plus captivante - le thriller érotique comme miroir de l'Amérique des années 1990.
Le thriller érotique est un essai rigoureux, richement illustré, qui convoque un nombre impressionnant de références, les questionnant et les remettant en perspective en permanence tout en restant fluide et toujours agréable à lire. De quoi devenir immédiatement lui-même une référence incontournable.
Linda Belhadj a répondu à nos questions. Elle est revenue pour nous sur la genèse du livre et nous a parlé de ses thrillers érotiques préférés ainsi que de son approche féministe.
AlloCiné : Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire sur le thriller érotique ?
Linda Belhadj : J'ai toujours aimé les thrillers. C'est probablement mon genre cinématographique préféré. Quand j'étais ado (et même enfant), je regardais les téléfilms américains sur M6. J'ai été fascinée par celui avec Alyssa Milano sur le cas Amy Fischer [L'Affaire Amy Fisher : désignée coupable], et puis j'ai vu Le Silence des agneaux, sûrement beaucoup trop jeune. En octobre 2016, j'ai participé à un livre sur Paul Verhoeven [Paul Verhoeven, total spectacle, aux éditions Playlist Society] et pour me détendre après sa sortie, je me suis lancée dans le revisionnage de mes thrillers favoris, comme Copycat, et dans la découverte de certains que je n'avais pas encore vus. En regardant tous ces films, et sortant de l'univers de Verhoeven, je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire sur le thriller érotique en particulier. D'une part, parce que j'adore ces films et d'autre part, parce qu'en commencant à lire la bibliographie disponible, je me suis rendue compte que la définition du genre proposée était extrêmement floue. L'accent était mis sur certains films et d'autres complètement oubliés. J'avais envie de me confronter à cet exercice difficile et un peu prise de tête de définition, d'en proposer une plus catégorique, quitte à écarter des films attendus dans l'analyse. S'est rapidement ajoutée à tout ça la volonté de démontrer que ces films peuvent aussi plaire à un public féminin.
Quel est selon toi LE thriller érotique par excellence ?
Difficile de répondre par un autre film que Basic Instinct pour lequel, d'après mes recherches, l'expression-même de ''thriller érotique'' a été créée. C'est aussi celui qui domine l'inconscient collectif. J'ai néanmoins tenté dans le livre de mettre également en valeur les autres, afin que l'on comprenne ce qui a mené à Basic Instinct et ce qui en a découlé.
Pour toi, Sharon Stone est l'icône ultime du thriller érotique ?
Complètement. Et elle aura bien souffert pour le genre, comme je pense le montrer dans le chapitre 2 du livre. Ce dont les gens se souviennent d'abord, quand on leur parle de ''thriller érotique'', c'est de Basic Instinct et de la scène de l'interrogatoire. Comme le dit Elizabeth Wurtzel dans Bitch: In Praise of Difficult Women - mon livre de chevet féministe -, Sharon Stone aurait dû avoir l'Oscar pour ce film !
Tu définis longuement le genre et l'abordes sous le prisme esthétique, historique et sociologique, tout en lui apportant ton regard féminin. A quel point était-il important pour toi de mettre l'analyse du thriller érotique en perspective avec un questionnement sur le désir féminin ?
Ca m'est apparu comme une évidence, je n'ai pas eu besoin de me forcer à mettre en perspective le thriller érotique avec un questionnement sur le désir féminin car il ne fait que ça, que ce soit en "bien" ou en "mal". Ca a aussi été motivé par une phrase de l'homme que je fréquentais quand j'étais à la genèse du projet. Il m'avait dit que selon lui, les femmes ne pouvaient pas s'empêcher de tomber amoureuses après plusieurs rapports sexuels, que c'était immuable. Pour lui, comme pour beaucoup d'hommes, il est impensable qu'une femme ne veuille que du sexe, parce qu'on pense que le désir sexuel féminin est moins puissant. Or, dans le thriller érotique, de nombreuses femmes poursuivent des hommes avec ardeur, s'en lassent, n'en tombent jamais amoureuses, ou au contraire, se mettent dans des situations dangereuses ou malsaines uniquement parce que le sexe est bon. Dans le thriller érotique, le désir rend tout le monde, hommes et femmes, un peu stupide et je trouve ça vraiment cool !
Parmi tous les films que tu as visionnés pour le livre, et qui sont très nombreux - il faut bien le dire -, quel est ton préféré ?
Mon coeur balance entre Mélodie pour un meurtre (j'aime tellement Ellen Barkin), Color of Night (Bruce et Jane sont vraiment hot), et Sliver, mais je vais choisir Sliver. Il a tout : des meurtres, une femme séduite par un homme plus jeune, une tour inhospitalière, des scènes de sexe sur fond d'Enigma. Je dois ajouter que je le regardais avec mon amie Anne Berland et qu'on faisait des pauses sur le fessier de Billy Baldwin dans la scène de la gym ; il me rappelle donc de bons souvenirs. J'aime son atmosphère, la mise en valeur de la ville de New York, ses répliques cultes ("la mycose en plastique" due a l'utilisation excessive de vibromasseur), les références culturelles (à Pearl Jam par exemple), les tenues de Sharon Stone (j'adore son look dans la scène où elle va faire ses courses dans un petit magasin de quartier). C'est un vrai instantané des nineties, de la vie urbaine d'une célibataire à l'époque : Sex and the city avant l'heure ! Les thèmes abordés me parlent, tout comme le fait qu'il mette en scène un homme fatal.
Côté drame érotique, je suis une grande fan d'A fleur de peau, avec Sherilyn Fenn et Richard Tyson (le méchant d'Un flic a la maternelle) ! J'aime aussi beaucoup L'Orchidée sauvage de Zalman King et 9 semaines 1/2, dont il a écrit le scénario, mais A fleur de peau est mon préféré car je le trouve tout simplement vraiment érotique. Le coup de l'héritière qui se tape le forain, je trouve ça très fun. En plus, il y a vraiment des répliques cultes, une histoire, et surtout, une fois encore, la reconnaissance de la luxure au féminin.
Le thriller érotique de Linda Belhadj, est disponible aux éditions Aedon Septieme Obsession (23 euros).
L'occasion de revoir la bande-annonce de Basic Instinct :