C'est à 22 ans qu'Adrien Lhommedieu réalise son premier court-métrage, en proposant un scénario qui détournait son stage de 2e année de licence en posant cette question : comment la vie d’un individu peut basculer en moins de 5 minutes ? La réponse est apportée avec 5’13’’; un court filmé en plan séquence et co-écrit avec Pierre Courrège (La Cible, Un homme d'Etat). Après un séjour à Los Angeles où il travailla pour le compte du service Film & TV Office de l’ambassade de France, il s’offre une parenthèse photographique en parallèle de son travail de réalisateur.
Son parcours se précise lorsqu’il rencontre U-man Films, la société de production d'Olivier Dahan et Hervé Humbert, et met un pied dans le monde du clip et de la publicité. Il enchaîne ainsi les projets avec Universal Music et notamment le clip Raise me up du chanteur Corson.
Sorti en 2014, Lila & Valentin est une histoire d’amour qui raconte le voyage de la dernière chance d’un homme dans l’esprit de sa femme inconsciente, suite à un tragique accident de voiture. Une histoire émouvante, nimbée d'une dimension fantastique conférant à ce court une belle originalité, d'ailleurs saluée par 21 sélections officielles dans des festivals aux quatres coins du monde (Cleveland, Palm Springs, Tirana...), et totalisant pas moins de 12 Prix.
Ci-dessous, la bande-annonce de "Lila & Valentin"...
En décembre 2017, Adrien Lhommedieu organise la sortie digitale de son court, en le rendant gratuitement accessible. L'occasion de nous entretenir un peu avec lui.
AlloCiné : Peux-tu me retracer ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a poussé dans la réalisation ?
Adrien Lhommedieu : Quand j’étais gamin, je croyais que les films sortaient de la cuisse de Jupiter. Comme ça. Par magie ! J’ai eu le déclic pour le cinéma quand j’ai compris ce que ça représentait de "fabriquer" un film. J’étais littéralement assommé par la révélation ! Quoi ?! Des acteurs ? Des faux décors ? De la fausse lumière ? Et à chaque plan différent, il faut recommencer ?! Ça m’a immédiatement fasciné autant qu’effrayé, je crois. Adolescent, je faisais beaucoup de musique et j’écrivais des histoires. Réaliser des films m’a paru être un chemin artistique tellement complet que j’allais pouvoir le parcourir toute ma vie sans jamais me lasser ! Depuis ce jour, je m’y consacre corps et âme.
Comment est né le projet de « Lila & Valentin » ? J’ai notamment cru comprendre que tu étais passé par la plateforme Ulule pour financer le projet ?
Lila et Valentin est un film parti d’une impulsion assez vive et inattendue. J’avais en tête depuis plusieurs mois d’adapter le poème A Dream Within a Dream d’Edgar Allan Poe. Mes influences cinématographiques du moment étaient Eternal Sunshine of the Spotless Mind, The Tree of Life et Inception. Je voulais parler du voyage dans l’esprit, à travers une histoire d’amour, mais je n’arrivais pas à construire cela autour d’une histoire. Et puis j’ai eu le déclic après avoir vu deux films : le court-métrage The Ganzfeld Procedure de Keith McCarthy et sorti en 2009, et Apricot de Ben Briand, également sorti en 2009. Deux thématiques très fortes s’imposèrent à moi : la notion de mémoire, l’importance du passé et des souvenirs sur notre vie présente, et l’expérience scientifique comme moyen d’accéder à l’âme d’une personne. Suite à cela, j’ai écrit Lila & Valentin assez rapidement.
Les mythes m’ont toujours passionné. Quand Orphée descend aux Enfers pour aller chercher sa belle, il met sa vie en péril pour la retrouver. L’amour dépasse les frontières de l’espace et du temps. Il peut être immortel et infini. Valentin incarne ce héros tragique qui doit affronter l’incohérence et la complexité du monde intérieur de Lila, son enfer à elle qui pourrait bien se transformer en paradis. Le film a été conçu dans une économie associative. C’est grâce à de nombreux soutiens qu’il existe ! Le Ulule a servi à compléter une dernière tranche du budget. Je n’ai jamais été très à l’aise avec le financement participatif, car je suis moi-même très sollicité et je ne peux pas aider tous les projets, même si j’essaye de le faire aussi souvent que possible. Donc quand je suis passé de l’autre côté, j’ai fait ça avec beaucoup de recul. Par chance, nous avons rempli nos objectifs.
Qu’est-ce qui a façonné ta cinéphilie et tes influences cinématographiques ? Livresques aussi ?
Surtout des gens, qui m’ont transmis leur passion consciemment ou inconsciemment. J’avais une grand-mère fan de films de genre. Chaque fois que j’allais chez elle, c’était un festival de film de SF, série B, horreur, gore, kung-fu…Évidemment, je n’avais strictement pas le droit de les regarder. Officiellement…
Entre le lycée et la fac, j’ai eu une période carrément boulimique. Il m’arrivait de regarder dix films par jours ! Dont certain en accéléré, pour gagner du temps ! Un petit Gus Van Sant en x1.4, on ne s’en rend même pas compte !
J’allais à Video Futur pour louer tous les Freddy d’un seul coup par exemple. Si tu es né après 2000, Video Futur c’est Netflix IRL. En plus, j’avais fait un stage dans mon cinéma de quartier, donc j’allais voir tous les films qui sortaient gratuitement. Douce période d’insouciance…Pour la littérature c’est pareil, mais c’était plus long. En plus, manque de bol, je n'ai jamais réussi à lire en diagonale ! Malgré ma lenteur, je me suis très tôt attaqué aux monuments classiques : L'Iliade, Madame Bovary, Germinal, Maupassant... Encore aujourd’hui, je garde ce côté masochiste : j’ai commencé À la recherche du temps perdu. Comme je suis quelqu’un de profondément tiraillé, j’ai toujours oscillé entre le profane et le sacré. Braindead ou Casablanca ? Madame Bovary ou Dune ? McCartney ou Lenon ?
Visuellement, le court est assez somptueux. Je pense en particulier aux décors, qui représentent les souvenirs de Lila, réels ou fantasmés. Peux-tu parler de leurs créations, leurs imaginations, quelles ont été les difficultés pour les créer ?
Oh là là… Oui… Gros dossier ! J’avais très envie de contrôler l’esthétique visuelle du film et surtout d’être à l’aise au tournage. C’est pour cette raison qu’on a construit presque tous les décors en studio. On a été accueilli sur l’ancien site minier de Wallers Arenberg (aujourd’hui Arenberg Creative Mine) pour une partie du décor et par une entreprise de fabrication de mobilier de salle de bain appelée Herbaut.
La suite n’a été que sueurs, nuits blanches, calories et bus de stagiaires frais prêts à tout pour vivre leur rêve (cauchemar) de cinéma ! Beaucoup de personnes ont participé à ce projet pharaonique et c’est grâce à l’union des cerveaux et des muscles de tous ces gens que nous avons réussis à construire ces 4 décors avec très peu de moyens : la chambre de Lila, le laboratoire clandestin, la salle de bain et la biblio-chambre.
Le plus compliqué a été de fabriquer un arbre à l’intérieur d’une bibliothèque transformée en jardin dans un hangar de friche industrielle. Oui, vous pouvez relire la phrase ! Un lieu hautement symbolique, car il représente l’âme endormie de Lila, le cœur de son monde intérieur. Je voulais quelque chose de merveilleux, qui inspire cette sensation d’un « chez soit idéal » dont je rêvais quand j’étais enfant.
Peux-tu parler de l’approche esthétique du court ? En particulier ton travail avec ton chef opérateur, Stéphane Degnieau ?
Stéphane et moi, déjà, on est sur la même longueur d’onde humaine et artistique. Pour faire un film ensemble, ça aide ! On voulait créer un univers riche et une palette de couleur maîtrisée. L’aspect artificiel, voire carrément maniériste, était une véritable envie de départ justement pour marquer le monde onirique de Lila. Je me souviens d’avoir un jour envoyé un dossier d’environ 500 photos de références à Stéphane ! Juste des envies, des cadrages à piocher, des palettes de couleur intéressante, des idées glanées un peu partout… Pendant une session de travail, il a sortir une petite boîte et a posé sur la table deux paquets de photos. Il avait tout imprimé ! On a fait un tableau géant avec nos préférés, et on est parti tourner… C’était génial. Nous avions conçu un terrain créatif fertile dans lequel plonger pour nous ressourcer et nous faire avancer.
Je suis quelqu’un de profondément tiraillé, j’ai toujours oscillé entre le profane et le sacré. Braindead ou Casablanca ? Madame Bovary ou Dune ?
Aussi, l’une des approches de mise en scène a été d’alterner entre sophistication et spontanéité. Je tenais beaucoup à ces petites séquences que l’ont voit quand on passe d’un rêve à un autre. Ce sont comme des flashs de souvenirs, des pastilles d’émotions, inexplicables et qui s’adressent à nos sens uniquement.
Pour ces plans, nous avons sillonné les paysages du Nord et de la côte d’Opale à la recherche de la poésie. C’était l’opposé total du reste du tournage, beaucoup plus maîtrisé.
Quels sont tes projets ? Un long ? Un nouveau court ? Un long métrage de « Lila & Valentin » qui explorerait le thème de la mémoire ?
Il existe un monde étrange, captivant et effrayant qui attend chaque réalisateur à la fin d’un projet. C’est ici qu’on trouve « les projets en cours », « les longs-métrages en écriture », « les séries presque signées » ou « les courts-métrages en développement ». J’appelle ça Les Limbes. Il faut du carburant pour avancer dans ce magma ! Heureusement, j’en ai encore pour tenir jusqu’à ma prochaine fiction, qui ne devrait plus tarder je l’espère.
Pourquoi avoir décidé de rendre ce court métrage visible librement ?
Après sa carrière dans les festivals, je voulais que le film trouve une seconde vie sur le net. Je suis de la génération numérique, j’aime que les « oeuvres » finissent un jour ou l’autre sur Internet. Avec l’équipe de production, nous avons décidé de le rendre libre d’accès. Pour terminer cette petite interview, j’aimerais dire une fois encore combien je suis reconnaissant envers toutes les personnes qui se sont investies sur le projet. Certains sont des amis très proches, d’autres des gens que je n’ai vu qu’une fois, mais qui ont malgré tout apporté leur pierre à l’édifice. Le cinéma est un art collectif et le film que nous avons fabriqué nous appartient tous un petit peu.