AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire Western, un long métrage se déroulant de nos jours mais empruntant des codes propres au western ?
Valeska Grisebach : Ma fascination pour le western remonte à ma jeunesse. J'ai grandi à Berlin ouest dans les années 1970 où je regardais beaucoup de westerns. C'est le genre qui m'a le plus fasciné et j'ai toujours voulu le comprendre. Une amie cinéaste a eu cette même expérience de visionnage. En tant que femme, nous sommes dans ce genre mais en même temps au bord de ce genre. Je voulais comprendre ces héros solitaires à la frontière de la terre vierge, sauvage, essayer de comprendre ce qui fait leur essence. Ils cherchent l'indépendance et la liberté mais veulent cependant avoir un point de chute pour rentrer à la maison. Je voulais comprendre les codes de la masculinité. Ces visages qui ne traduisent aucun sentiment. Et puis le genre du western traite des rapports de société dans laquelle il faut prendre position : être empathique ou en opposition. Le western n'appartient pas aux Américains. En tant qu'Européenne, le western fait partie de moi.
Avez-vous eu des références, cinématographiques ou autres, au moment de la conception de Western ?
Plusieurs westerns m'ont accompagnée dans le processus d'écriture. Par exemple le film de Henry King The Gunfighter avec un héros vieillissant joué par Gregory Peck. Il ne veux plus être le hors la loi qu'il est mais au contraire veut rentrer revoir femme et enfant. Mais il ne pourra pas revenir du fait de sa propre légende de hors la loi qui entrave ce retour. Il y avait aussi Winchester 73 d'Anthony Mann où un homme normal confronté à la violence ne parviendra pas à avoir une vie normale.
Le charismatique Meinhard Neumann trouve dans "Western" son premier rôle au cinéma. Comment l'avez-vous choisi et pour quelles raisons ?
Avant de commencer à écrire, la question qui me titillait était de savoir à quel degré la notion de duel est en nous. Je me suis entretenu avec des hommes et des femmes sur cette représentation du duel et le casting est venu se greffer là-dessus. Je marchais dans la rue à la recherche d'un visage pour le parfait cowboy et j'ai pensé à des ouvriers du bâtiment avec tous leurs ustensiles, leur façon de se tenir, leurs outils accrochés à leur ceinture. Meinhard Neumann, je ne l'ai pas trouvé sur un chantier, je l'ai trouvé à une heure de Berlin et ma rencontre visuelle avec cet homme a été un choc. Il répondait exactement à ce que j'attendais. Il était la parfaite projection de ce que devait être ce film. Il attire les regards, il incarne cette grandeur de héros et aussi ce côté singulier, normal. Et il a en lui de l'opportunisme parce que toute personne a des peurs, donc en situation difficile, il agira en fonction de ce qui l'arrangera.
Ma rencontre visuelle avec Meinhard Neumann a été un choc. Il était la parfaite projection de ce que devait être ce film.
Le reste du casting est exclusivement composé de visages inconnus au cinéma. Comment les avez-vous choisis et comment s'est passé la direction d'acteurs ?
Ce n'est pas si singulier que ça que des non professionnels jouent devant la caméra. Le cinéma en général demande à voir ces gens-là. Je me suis rendu compte en abordant les gens pour leur demander s'il voulaient jouer dans mon film à quel point ils étaient volontaires. Aucun homme ne dirait non si on lui proposait de jouer dans un western ! Après, c'est une histoire de rapports humains, se faire confiance. Il y a eu beaucoup d'essais. Pour la direction d'acteurs, Meinhard Neumann est un peu comme un danseur, il se met en scène dans des poses alors que Reinhardt Wetrek qui incarne Vincent est plus réservé, plus psychologique. En tant que réalisatrice, j'ai cherché à ce que le tout forme un corps et que ces acteurs agissent ensemble.
Comment s'est fait le choix des lieux de tournage en Bulgarie ?
En choisissant ce sujet d'ouvriers allemands qui vont à l'étranger avec de grands engins... Ils ne pouvaient aller qu'à l'Est. Les régions frontalières m'ont toujours attirée. Les frontières possèdent un imaginaire de ce qu'il y a au-delà. Je recherchais aussi un paysage assez sauvage pour que des Allemands puissent développer leur goût de l'aventure. Concrètement, c'est en voyageant qu'on découvre des lieux. Par exemple, lorsque j'ai vu le village et le bar avec les terrasses, je me suis imaginé qu'Henry Fonda pouvait y être assis et c'est pour cette raison que j'ai choisi ce lieu pour y situer une partie de l'intrigue du film.
Sur "Western", vous collaborez à nouveau avec le directeur de la photographie Bernhard Keller qui avait travaillé avec vous sur Mein Stern et Désir(s). Quels sont les principaux choix esthétiques et techniques que vous avez effectués ?
C'est pratique de se connaître, on a pas besoin de trop parler ! (rires) Nous nous sommes demandé comment mettre en scène ces corps. Ce qui ne sera pas montré et ce qui sera montré ; les proportions de caméra à l'épaule et de caméra fixée. On ne voulait pas refaire un western mais quelque chose qui fasse penser au western.
Le film a-t-il été compliqué à financer ?
Oui et non. Il y avait des subventions... Mais il n'a pas été simple de boucler le financement. Nous avons finalement réalisé le film pour moins d'argent que prévu ! Nous devions commencer à tourner un an avant le tournage réel. Mais six semaines avant, une partie des subventions nous a été retirée... C'était une expérience très difficile pour toute l'équipe... Que le film soit prêt un an plus tard et que les gens aient toujours envie de le faire n'a pas été simple. Finalement, ceux qui nous avaient laissé tombé sont revenus à la charge. Pour essayer de renégocier...