AlloCiné a pu s'entretenir avec le réalisateur irlandais Terry George lors de son passage au Festival de Deauville 2017 pour promouvoir La Promesse. Dans ce nouveau film du réalisateur d'Hotel Rwanda, Christian Bale et Oscar Isaac se disputent l'amour de Charlotte Le Bon sur fond de génocide arménien.
AlloCiné : Votre film renvoie dans son imagerie aux fresques épiques des années 60, c'était ce que vous cherchiez ?
Terry George : Oui, c'était une demande des producteurs, qui voulaient un film dans l'esprit de David Lean. L'un des films que j'aime le plus dans ce genre est Reds de Warren Beatty. Car il arrive à fantastiquement gérer un triangle amoureux et un sujet très politique. Kirk Kerkorian, le producteur le plus important du film [décédé avant la fin du tournage, NdlR] voulait une histoire d'amour racontée sur fond de génocide arménien. Nous avions donc l'idée de faire un film épique. Notre plus gros problème fut que Warren Beatty avait eu 200 jours pour tourner Reds, David Lean 230 jours pour Lawrence d'Arabie et que nous n'en avons eu que 70 ! (...)
Mais comment avez-vous fait ?!
Je me pose encore la question ! Nous avions 22 lieux de tournage répartis dans 3 pays (...), ajoutez à ça une équipe de 500 personnes avec beaucoup de figurants, car je voulais aussi peu d'effets spéciaux que possible... Et nous avions des scènes à grande échelle, avec de la foule plein les rues !
On le voit à l'écran.
Oui, mais tous ces facteurs ont rendu le tournage difficile. En plus, l'agenda d'Oscar Isaac était compliqué. Il a terminé ses scènes d'X-Men Apocalypse en septembre 2015, et nous devions finir pour le 24 décembre car il devait partir pour Star Wars. Aucune flexibilité, c'était compliqué.
Vous avez mentionné le milliardaire Kirk Kerkorian, sans qui il n'y aurait jamais eu de film...
Non, personne n'aurait financé [La Promesse], car [les financiers] pensent qu'un film comme celui-là n'est pas rentable. Sans l'organisation et la générosité [de Kerkorian], il n'aurait jamais vu le jour.
Au-delà de l'aspect financier, Kerkorian était-il impliqué dans d'autres domaines ?
Non, du tout. Il a donné une note d'intentions disant qu'il voulait une histoire épique expliquant le génocide. Au moment où j'ai été impliqué sur ce projet il était très malade, il avait moins d'un an à vivre. Je n'ai pas pu le rencontrer mais on lui doit ce film. Et pas que cela, puisque nous avons aussi une fondation qui permet de venir en aide aux réfugiés, donc c'est un apport qui dépasse celui du film.
Dans ces grands films épiques, la musique est capitale...
Capitale ! Notre compositeur Gabriel Yared avait déjà travaillé avec l'un de nos producteurs, William Horberg, sur Le patient anglais et Retour à Cold Mountain. Il était le compositeur parfait pour notre sujet. Il est Libanais et avait une affinité avec la région, donc pendant le tournage je lui parlais [des scènes] et nous avons travaillé en étroite collaboration. Chris Cornell devait faire la musique au début du projet, il nous a écrit cette magnifique chanson pour la fin du film (The Promise), mais il est malheureusement décédé.
J'ai lu que vous aviez ajouté le personnage de Christian Bale au scénario existant...
Le scénario que Robin Swicord m'avait donné était une histoire d'amour entre deux personnes : Ana et Mikael. Et leur connection avec le génocide se faisait au niveau "micro" : ils en souffraient mais n'y prenaient pas part. Or j'avais besoin d'un personnage capable de se lier avec Talaat Pasha, avec l'ambassadeur... Pour que vous ayez une vue d'ensemble du génocide, de l'importante machination et de l'implication finale des Français. (...) Heureusement, cette histoire plaisait à Christian, il nous a rejoint et à partir de là, nous pouvions aller où nous voulions.
Et Charlotte Le Bon ?
Je l'avais découverte dans Les recettes du bonheur, puis je l'ai vue faire la météo sur Canal +. J'ai su qu'elle écrivait tout elle-même, et nous l'avons auditionnée. Nous avions besoin d'une femme forte, intelligente, et capable d'attirer ces deux hommes. Quant à Jean Reno, qui m'avait aidé pour Hotel Rwanda, il a accepté d'apparaître dans le film (...).
J'ai trouvé une autre de vos actrices hypnotisante : Angela Sarafyan.
Oui, elle a beaucoup de talent. Elle est très connue à Hollywood notamment par présence dans [la série] Westworld, et elle est Arménienne de première génération. Elle crevait d'envie de jouer dans le film et elle a pris ce rôle, le plus petit des deux rôles féminins, mais elle en a fait quelque chose de spécial. Vous croyez au fait que le personnage d'Oscar Isaac soit tombé amoureux d'elle. Ce n'est pas une histoire de "il a marié la fille moche de son village mais il aime une belle Franco-arménienne citadine". Il aime les deux femmes, et c'est son dilemme.
Vous êtes connu pour faire beaucoup de recherches sur les sujets historiques que vous abordez : quelles ont-elles été pour ce film ?
J'avais commencé à travailler sur le génocide arménien avant d'être impliqué sur celui-ci. J'avais étudié les génocides au moment d'Hotel Rwanda, puis je suis allé à Erevan en Arménie, au mémorial du génocide, à la bibliothèque, à Istambul, sur la tombe de Talaat Pasha, au musée des armées... Et il existe des centaines de livres sur le sujet, car il est très contesté par les deux bords. J'ai lu tout ce que je pouvais. (...) Et j'ai essayé d'être aussi proche de la vérité historique que possible. Et les Turcs ont fait du révisionnisme sur le sujet depuis maintenant un siècle, ils ont nié le génocide (...).
J'imagine que le fait d'avoir été impliqué sur "Au nom du père" et "Hotel Rwanda", tous deux des drames historiques, a été la raison de votre engagement sur ce projet ?
Oui, c'est venu d'une évolution. Mon ami Jim Sheridan a réalisé Au nom du père que j'avais écrit et il a coécrit Some Mother's Son que j'ai réalisé. C'est avec ces deux films que j'ai été attiré vers ce genre de cinéma. J'ai grandi avec les films de David Lean que vous avez mentionné, Missing de Costa-Gavras, La Liste de Schindler de Spielberg, La déchirure de Roland Joffé : des films politiques qui donnaient un éclairage sur des événements que les gens ne comprenaient pas. Aujourd'hui, ce genre est délaissé. Autrefois, les Oscars nommaient ces films. Le seul auquel je pense cette année est [D'abord ils ont tué mon père] d'Angelina Jolie. Or, avec la disparition de ces films, on perd une grande aide pédagogique.
C'est la raison pour laquelle vous avez opté pour le PG-13 [qui rend le film accessible aux Etats-Unis aux mineurs de plus de 13 ans, NdlR] ?
Complètement. Comme pour Hotel Rwanda. (...) C'est important que les enfants puissent voir ces films.
Il y a toujours un risque à mélanger fiction et faits historiques. Comment avez-vous trouvé l'équilibre entre les deux ?
J'ai appris depuis Au nom du père que je fais des films qui distillent des faits historiques. Les personnages d'Ana et Mikael sont fictifs, et Chris [le journaliste joué par Christian Bale] est une compilation de plusieurs journalistes. A part eux, la plupart des figures du film existaient réellement (...). Car j'ai appris que l'on peut faire de plusieurs personnages un seul, mais qu'on ne change pas les faits, on ne les manipule pas. Cela serait criminel. Voilà pourquoi je me documente beaucoup.
Avez-vous eu des retours du gouvernement turc à propos du film ?
Le film a créé la polémique. Nous l'avons montré deux fois à Toronto, la salle faisait 3000 places à chaque fois et à la fin de la semaine nous avions 82 000 votes sur Imdb, la plupart de 1/10. Et générer tant d'attention requiert une organisation automatisée. Et beaucoup de désinformation sur le film est venue d'organisations turques aux Etats-Unis et en Turquie. Nous avons dû faire face à un film sorti de nulle part, The Ottoman Lieutenant, qui revisite l'Histoire en faisant du Turc le gentil. On a appris plus tard qu'il avait été financé par la famille Erdoğan [Recep Tayyip Erdoğan est le président de la République de Turquie, NdlR]. Ce sujet est encore très sensible.
Découvrez la fresque historique "La Promesse", depuis ce mercredi en salles :