AlloCiné : Pouvez-vous nous dire quelques mots de La Fórmula Secreta, ce film de moyen métrage très rare de Rubén Gaméz que vous présenterez demain au festival ?
Alfonso Cuarón : C’est un film très rare car il fait partie de ces films disparus et oubliés. Je l’ai vu quand j’étais adolescent et ensuite il était impossible d’en trouver une copie ou une cassette vidéo. Récemment, je me suis remis à le chercher de manière assez régulière pour en retrouver la trace. Ce n’est que très récemment que la famille s’est manifestée pour donner les négatifs à la filmothèque pour le développer sur pellicule à nouveau. Depuis lors, j’essaie de répandre la bonne parole pour faire en sorte qu’un maximum de gens puissent découvrir ce film fondamental, non seulement dans l’histoire du cinéma mexicain et dans la culture mexicaine, mais aussi dans l’histoire du cinéma mondial. C'est un film dont j'espère que beaucoup plus de gens vont pouvoir admirer, maintenant qu'il est revenu à la vie.
Vous êtes ici pour accompagner votre ami Guillermo del Toro, de quelle manière avez-vous été impliqué dans le processus de création de son film La Forme de l’eau ?
J’ai lu le scénario et ensuite j’ai été en contact avec Guillermo régulièrement pendant le tournage. C’était un tournage difficile et j’étais moi-même sur mon tournage au Mexique. Je n’ai rien vu jusqu’à ce qu’il me le montre quasiment terminé. J’ai été complètement ébahi. Ce que je veux dire, c’est que ce film, c’est du pur Guillermo. C’est sublime, c’est poétique, c’est magnifique. Jusqu’à ce jour, c’est probablement son plus grand chef-d’œuvre.
Je crois que vous êtes un grand fan de Tim Burton. Guillermo del Toro et lui ont en commun leur approche des monstres, notamment.
L'altérité, oui. Effectivement, il y a des connexions entre eux, même si leur langage et leur impulsion narrative sont complètement différents. L'altérité, l'étranger, sont des choses qui sont représentées par le biais des monstres ou des créatures à la fois chez Guillermo et chez Tim, mais cela n'empêche que leur langage cinématographique est parfois presque aux antipodes. Ce qu'ils ont aussi véritablement en commun, c'est leur amour des films, des vieux films qui traitent de l'altérité, de tous les films de monstres du passé.
Quel est votre premier souvenir de spectateur et est-ce qu’un film en particulier vous a fait vous dire que vous vouliez absolument devenir cinéaste ?
Le premier souvenir que j’ai au cinéma, pas à la télévision, est un souvenir assez fragmenté. Je me souviens où le cinéma était situé, mais je ne me rappelle qu’une scène, c’était Merlin l’enchanteur, le dessin animé Disney. Je me souviens de Merlin qui se coince la barbe dans une porte. Ça fait une éternité que je n’ai pas vu ce film et je ne sais même pas si cette scène existe vraiment ou si ce n’est que dans mon imagination, car j’étais vraiment très jeune. J’ai eu envie de devenir réalisateur très tôt, dès l’âge de cinq ou six ans je voulais faire des films. Bien sûr, à l’époque, la fonction du réalisateur n’était pas très claire dans ma tête, je ne savais pas qui dirigeait le film, si c’était l’acteur principal… Un peu plus tard, j’ai compris. Quand j’avais environ huit ans, j’ai découvert Le Voleur de bicyclette. Jusqu’alors je regardais essentiellement des films d’aventure, et ce film a complètement ébranlé mon monde. C’est à partir de ce film que je suis devenu très curieux de tous les films. On avait beaucoup de chance, car à la télévision mexicaine à cette époque on pouvait voir énormément de chefs-d’œuvre, de John Ford à Bergman. J’étais avide de cinéma, je voulais voir tous les films. Pour être honnête, il y en a beaucoup que je ne comprenais pas, mais ils me fascinaient.
Est-il vrai que vous avez été viré de l’université après avoir réalisé votre premier court métrage, Vengeance is Mine ?
Il y a beaucoup de rumeurs sur les raisons qui ont fait que j’ai été exclu, avec Emmanuel Lubezki et Luis Estrada, un autre réalisateur. J’ai bien été viré de l’école de cinéma, mais pas à cause de ce film, car j’étais directeur de la photo sur celui-ci. En vérité, la direction de l’école était assez réactionnaire dans sa manière d’aborder le cinéma et c’est la raison pour laquelle on a dû partir, mais on était jeunes et arrogants, aussi, à l’époque.
Vous avez dit un jour que si vous deviez sauvez un seul de vos films, ce serait La Petite princesse, qui est un film que j’adore par ailleurs. Pourquoi ce choix ?
En fait, je revois très rarement les films une fois que je les termine, mais j’ai un excellent souvenir de La Petite princesse, je me rappelle la joie que j’ai ressenti en le faisant. J’aime ce qu’il représente, l’aventure de cette petite fille. Il y a certainement une partie de moi qui aimerait être comme elle et c’est vrai que c’est un film qui m’est très cher. Quand je disais que je ne l’avais pas revu, c’est un mensonge, car quand ma fille a eu environ sept ans, Guillermo m’a dit : « Il faut que tu voies le film avec ta fille. » C’était une expérience complètement cathartique. Quand j’ai fait ce film, je n’avais aucune idée que j’allais avoir une fille, mais c’est une des raisons qui fait qu’il est si important pour moi.
Vous présenterez Gravity pendant le festival. Quand on pense à Gravity et aux Fils de l’homme, on peut penser que vous nourrissez un certain intérêt pour la mythologie chrétienne et notamment pour la figure de la Vierge, est-ce le cas ?
Pas tellement. Il y a un commentaire là-dessus, certes, dans Les Fils de l’homme en particulier, car il était quasiment impossible de faire ce film sans se référer à la Nativité. Dans les faits, même la Nativité n’est pas réellement arrivée, le mythe autour est comme une boîte de chocolat. Si l’on pense au contexte historique de l’époque, si cela avait existé, ç’aurait été épouvantable. Même si j’ai décidé de prendre en compte cet aspect de manière consciente, j’étais davantage intéressé par l’expérience humaine que cela implique que par la connotation religieuse. C’est la raison pour laquelle la Pietà est l’une des références du film, pas à cause de la Vierge et de Jésus, mais pour l’image de la mère pleurant la mort de son fils, qui est, je pense, une souffrance perpétuelle de l’humanité.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis en post-production d’un film que j’ai tourné au Mexique, en espagnol. C’est mon premier film mexicain depuis Y tu mamá también. Je suis très heureux, je pense que c’est un film dont je vais être fier. Pour le moment, ça s’appelle Roma, on est en plein dans le processus de mise en forme.
Redécouvrez la bande-annonce de La Petite princesse (1995) :