En quelques jours à peine, un des hommes les plus influents à Hollywood est devenu le plus grand paria du cinéma. Le jeudi 5 octobre 2017, les journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey publient une longue enquête dans le New York Times mettant en lumière un grand nombre de cas de harcèlements et d’agressions sexuelles menées par l’ancien producteur de Miramax, fondateur de la Weinstein Company.
De quoi Weinstein est-il accusé ?
Depuis la parution de cet article, Harvey Weinstein a été licencié par sa propre entreprise. Les langues se délient : de nombreuses comédiennes et employées se confient sur les situations dont elles ont été victimes. Le scénario se répète sans cesse. Harvey Weinstein les attire dans une chambre d’hôtel avant de se dévêtir et de solliciter des faveurs sexuelles.
Ronan Farrow publie dans le New Yorker le fruit d’une enquête complémentaire, compilant un grand nombre de témoignages récoltés, allant du harcèlement au travail au viol. En cas de refus, le magnat du cinéma avait pour coutume d’obtenir le silence en brandissant la menace de faire jouer son d’influence ou en évoquant des conséquences juridiques terribles. Il aurait également intimidé ses victimes avec des clauses de confidentialité.
Qui seraient les victimes ?
Depuis la révélation du scandale, les actrices Ashley Judd, Emma De Caunes, Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie, Rosanna Arquette, Mira Sorvino ou encore Judith Godrèche confirment toutes avoir été la cible d’avances plus ou moins crues et agressives de la part d’Harvey Weinstein. Mais selon les récits d’Asia Argento et de Lucia Evans, il s’agit clairement de viols.
Une ancienne employée de la Weinstein Company, Emily Nestor, raconte également en détail comment Harvey Weinstein organisait de fausses réunions où les femmes ciblées étaient accueillies par des collaboratrices, pour les mettre en confiance, avant d’être laissées seules à la merci du producteur. Ses messages répétés aux services des ressources humaines ne lui auraient été d’aucune aide, ou presque.
En mars 2015, c’est au tour du mannequin Ambra Battilana Gutierrez d’être harcelée et agressée sexuellement par Harvey Weinstein au cours d’une de ces fausses réunions, qui se tenaient toujours derrière des portes closes. Après s’être confiée aux forces de l’ordre, la jeune femme de 21 ans accepte de porter un micro et de reprendre rendez-vous avec Harvey Weinstein. Sur cet enregistrement accablant, il tente de s’isoler dans une chambre d'hôtel avec Gutierrez qui refuse. Lorsqu’elle lui rappelle la façon dont il s’est permis de la toucher lors de leur précédente rencontre, on entend le producteur répondre sans détour, à la grande surprise de la jeune femme : "Je fais tout le temps ça".
Cette enquête policière se serait embourbée lorsque les avocats de la défense auraient exhumé du passé de la victime sa présence lors d’une des scandaleuses fêtes de Silvio Berlusconi en 2010. Après deux semaines d’enquête, le bureau du procureur de Manhattan décida d’abandonner la plainte. Ces témoignages compilent des décennies d’agressions sexuelles qui semblent être un des plus regrettables secrets de polichinelle à Hollywood.
Quelle est sa défense ?
Suite à la révélation de l'affaire par le New Yorker, Harvey Weinstein a d'abord publié un message d'excuse dans lequel il affirme : "Je suis devenu majeur dans les années 60 et 70, lorsque toutes les règles de comportement étaient différentes. C'était la culture de l'époque. J'ai appris depuis que ce n'est pas une excuse, au bureau comme à l'extérieur. Envers personne. J'ai réalisé il y a quelques temps que j'avais besoin d'être une meilleure personne et que mes interactions avec les gens avec qui j'ai travaillé ont changé. J'entends que par le passé, mon comportement avec des collègues a causé beaucoup de peine, et je m'en excuse sincèrement". Le texte est lisible en intégralité ici.
Très vite cependant, Weinstein décide de se faire juridiquement représenter. Il choisit pour cela l'avocate Sallie Hofmeister, qui a rapidement envoyé un communiqué : "Toutes les accusations de sexe non consenti sont niées sans équivoque par M. Weinstein. M. Weinstein a confirmé qu'il n'y avait jamais eu de représailles contre une ou des femmes pour avoir refusé ses avances. M. Weinstein ne peut évidemment répondre aux accusations anonymes, mais par respect pour toutes les femmes ayant porté des accusations publiques, M. Weinstein est persuadé que les relations étaient toutes consenties. M. Weinstein a commencé une psychothérapie, a écouté le public et tend vers un nouveau comportement. M. Weinstein espère qu'avec suffisamment de progrès, il lui sera donné une seconde chance". Le texte est lisible en intégralité ici.
Weinstein a également envoyé des emails à plusieurs "nababs" d'Hollywood, dont Jeffrey Katzenberg, ancien PDG de Dreamworks Animation et ancien président de Walt Disney, afin de leur demander soutien. A l'heure de ces lignes, aucun n'a répondu positivement.
Le New Yorker a mis dix mois à enquêter sur cette affaire, période pendant laquelle, selon le périodique, dont l'un des auteurs de l'affaire écrit : "Weinstein et ses associés ont commencé à appeler la majorité des femmes de cet article. Weinstein a demandé à Argento de la rencontrer avec un détective privé afin de témoigner en sa faveur. Une actrice ayant témoigné auprès de moi a demandé plus tard que son témoignage soit retiré en m'écrivant "je suis désolée, l'aspect juridique me rattrape et je n'ai pas le choix". Weinstein et son équipe ont également menacé d'intenter un procès à plusieurs médias, dont le New York Times".
Que risque Weinstein ?
Les dirigeants de la Weinstein Company ont déjà écarté Harvey Weinstein de ses fonctions de codirecteur de la firme de production et de distribution avec le commentaire qu'ils ignoraient que leur collègue avait été accusé de harcèlement sexuel.
La femme d'Harvey Weinstein, Georgina Chapman, a quitté son mari en déclarant à People Magazine : "J'ai le cœur brisé pour toutes les femmes ayant souffert d'une peine incommensurable du fait de ces agissements impardonnables. J'ai choisi de quitter mon mari. Prendre soin de mes jeunes enfants est ma priorité et je demande aux médias de protéger notre vie privée".
En termes de procès en revanche, cela est plus flou. Plusieurs des témoignages glanés par le New Yorker sont soumis à la prescription et ne peuvent ainsi plus faire l'objet de poursuites. Les autres affaires, plus récentes (la dernière date de 2015) auraient été financièrement réglées par l'équipe de Weinstein, et les poursuites abandonnées. La plainte récemment portée par l'ancienne actrice et scénariste Louisette Geiss sur des faits survenus en 2008 pourrait changer la donne.
Est-ce qu'Hollywood savait ?
A en croire Jessica Chastain, oui ! L'actrice a déclaré ce lundi sur Twitter : "J'étais prévenue dès le départ. On entendait ces histoires partout. Nier cela, c'est créer l'environnement pour que cela arrive à nouveau". Kate Winslet a avoué à Variety qu'elle avait entendu des "rumeurs" à propos du comportement du producteur.
Pour Emma de Caunes aussi, tout le monde était au courant, comme elle le raconte au New Yorker : "Je sais que tout le monde -et je dis bien tout le monde- à Hollywood sait que ça se passe en ce moment. [Harvey Weinstein] ne se cache même pas vraiment. (…) Mais tout le monde a trop peur pour dire quoi que ce soit".
Le New Yorker rappelle en effet que le silence de beaucoup des victimes a été "acheté" à l'époque par l'équipe de Weinstein, de même que la peur des victimes de voir leur carrière tuée dans l’œuf en cas de révélation. De la même façon, la majorité d'entre elles évoquent avoir fait face à une "culture du silence" chez Miramax et la Weinstein Company, qu'elles pensaient même généralisée à toute l'industrie hollywoodienne. L'affaire désormais sortie, certaines langues se délient.
L'affaire Weinstein a-t-elle une dimension politique ?
Indéniablement. Cette affaire pourrait faire tomber le mur du silence entourant Hollywood et le harcèlement sexuel dont de plus en plus d'actrices se font l'écho (Zoe Kazan, Megan Fox, Thandie Newton parmi d'autres). Le fait qu'un ponte comme Harvey Weinstein tombe en disgrâce peut ouvrir la porte à davantage de transparence, et donner du courage à d'autres victimes de harcèlement ou de viol afin qu'elles témoignent.
Comme l'a déclaré au Chicago Tribune Kathy Spillar, directrice de la Feminist Majority Foundation : "Le silence est l'ennemi de la justice, et ces hommes le savent. Je pense que [les révélations sur Weinstein] vont déclencher une avalanche [de témoignages]. J'en suis persuadée".