De passage au festival de Deauville, le réalisateur Amman Abbasi présentait son premier long métrage de fiction en compétition : Stupid Things. Homme orchestre : réalisateur, scénariste, producteur et compositeur, à 29 ans, Abbasi est déjà un metteur en scène prometteur.
AlloCiné : Vous avez débuté en travaillant comme assistant de David Gordon Green sur "Manglehorn" et "Que le meilleur gagne". Quels souvenirs gardez-vous de cette première expérience ?
Amman Abbasi : David et moi avions un ami commun, Jamie Davidson. J'avais tourné un court métrage en Arkansas que Jamie a montré à David, et nous nous sommes mis à nous écrire pendant un ou deux ans avant qu'il me propose [de travailler sur] Manglehorn. A cette époque, je n'avais fait que du documentaire, donc je lui demandais sans cesse "est-ce que je peux venir sur le plateau ?". Car je ne savais rien du film de fiction, ni de comment gérer une production, je n'ai pas fait d'école de cinéma. Je cherchais à comprendre, et il prenait le temps de m'expliquer. J'ai donc commencé comme assistant de production puis assistant du réalisateur. Je l'ai aussi suivi sur certaines pubs et téléfilms. (...)
Combien de temps avez-vous mis entre l'idée de "Stupid Things", et le moment où vous avez effectivement pu le tourner ?
L'idée m'est venue lorsque je travaillais sur un documentaire à Chicago, mais je notais simplement quelques idées sur un cahier. Ce n'était pas ma priorité à l'époque, mais en décembre 2014-janvier 2015, Steven Reneau et moi nous y sommes vraiment mis avec la volonté d'écrire un scénario. Et cela a pris 2 ou 3 mois, c'était intensif, fast and furious ! (...) Le tournage a eu lieu en août et le montage terminé pour la fin de l'année. Donc près d'un an pour le film complet.
Vos acteurs ne sont pas professionnels : avez-vous organisé un casting ou engagé les gens qui se trouvaient sur place en Arkansas ?
Un peu des deux. Nous avons eu de bons directeurs de casting, car j'avais une idée très précise des types de personnages que je voulais. J'ai activement cherché le jeune pour jouer Dayveon. Nous avons reçu 200 ou 300 adolescents, et c'était beaucoup ! J'ai eu peur car il devait avoir 12 ans, porter le film sur ses épaules, et j'étais en plein doute. Puis j'ai vu Devin [Blackmon], j'étais satisfait de sa performance. Mais Lachion Buckingham, qui joue Mook, quelqu'un me l'a présenté. Il avait un charisme et une expérience qu'il pouvait apporter au film, donc ça s'est fait au cas par cas.
Au départ, le deuil semble être au cœur du film, mais en y repensant, cela ressemble plus à une histoire de passage à l'âge adulte.
Nous n'avons pas essayé de définir l'histoire en la rattachant à un genre, ça m'aurait imposé des paramètres et des limites que je ne préférais pas avoir en tant que cinéaste. Je voulais juste suivre ce jeune garçon et laisser le public décider de quel genre il s'agissait. Il n'y avait pas de volonté consciente de le faire. Mais je suis d'accord avec vous qu'il s'agit plus d'un passage à l'âge adulte que d'un film sur le chagrin et la peine.
J'ai lu que l'idée de votre film était venue de la vision d'un documentaire HBO intitulé "Gang War: Bangin' in Little Rock", qui démontre avec pessimisme la violence de cette ville d'Arkansas en 1994. Stupid Things est-il une réponse à ce documentaire ou une inspiration ?
Je l'ai vu, d'ailleurs tout le monde à Little Rock a vu ce documentaire. Ce qui m'a fasciné c'est qu'il montrait des endroits qui n'étaient pas très loin du lieu où je vivais. Je m'en suis inspiré car à l'époque, tout le monde pensait que Little Rock était un lieu infesté par les gangs. Mais avec mon film je voulais déconstruire le mythe du gang. Les gens assument toujours que les gangs sont mauvais, mais avec Stupid Things je voulais les montrer en tant que communauté et lieu d'intégration. Et les motivations différentes qui peuvent pousser quelqu'un à rejoindre un gang.
Vous êtes aussi musicien, comment avez-vous composé la bande originale de "Stupid Things", qui comprend beaucoup de piano et de cordes ?
Ma composition est peu orthodoxe, car je n'ai pas de formation musicale. Malheureusement, je ne connais pas la notation musicale. (...) J'ai un excellent collaborateur, Amos Cochran, et nous avons développé un langage qui lui permet de décrypter la façon dont j'écris ma musique. (...) Souvent, j'enregistre ma musique au piano avec mon téléphone, puis je la mets sur l'ordinateur.
Une méthode plutôt organique, donc.
Voilà c'est ça ! Organique.
Votre cinéma a un point commun avec David Gordon Green, c'est que vous semblez aimer la ruralité. Le choix de l'Arkansas s'est-il fait pour des raisons d'authenticité ?
Absolument. Je connais très bien l'Arkansas, je connais son son, ses couleurs, ses textures. Et en tant qu'artiste, lorsque vous vous sentez [en lien] avec un lieu et son identité, vous voulez capturer cela avec précision. Le son peut être un personnage, donc il faut être authentique avec cela.
Vous avez choisi avec des acteurs non professionnels pour "Stupid Things". Comment avez-vous travaillé avec eux ?
C'était difficile pour moi, car je n'avais jamais fait ça. Notre casting était génial, donc je me suis contenté d'ajouter une routine quotidienne, nous répétions une heure ou deux chaque jour, puis nous mangions ensemble. Pour créer du lien et apprendre à se connaître, à se faire confiance. (...) Ils se sentaient plus à l'aise pour proposer des choses ou une modification de dialogue. Et cette collaboration nous a tous rendu enthousiastes. Et ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Nous avons fait cela pendant deux ou trois mois, et nous nous sommes sentis prêts à partir de là.
J'ai une question anecdotique pour terminer : le titre du film a-t-il toujours été "Dayveon" ? Car je crois qu'il est dérivé de Devin, votre acteur principal, mais quel était-il au départ ?
Le titre était Loud Mouth [Grande gueule, NdlR]. Steven et moi avions envisagé un personnage plus irréfléchi, mais lorsque j'ai rencontré Devin, mon acteur, il était plus calme et introspectif. Et c'était trop beau pour s'en priver. Donc nous avons changé le titre et le personnage. Et ce nouveau titre laissait entendre que nous faisions le portrait de quelqu'un, ça nous allait beaucoup mieux.
J'hésitais à poser cette question, mais je ne regrette pas car la réponse était intéressante.
Vous savez, je suis un grand fan des frères Dardenne, notamment leur film Rosetta. Et avec un titre simple, pratique et honnête, c'est pur, j'adore ça.
"Stupid Things" est depuis ce mercredi dans les salles :