AlloCiné : Quelle relation entretenez-vous avec l'univers de Star Trek ?
Aaron Harberts : Je me suis toujours considéré comme un Trekkie en devenir, car pour moi être un Trekkie nécessite une admiration qui s'apparente presque à un style de vie, or je n'ai découvert la série qu'après un certain temps. Je suis donc encore en train de la découvrir, ce serait mentir que de dire que je suis un fan absolu. Ce que j'ai adoré en travaillant sur la série c'est justement de découvrir pourquoi la série plaît à autant de gens, et ce quelle représente pour eux. Cela a été un énorme apprentissage pour moi et je n'éprouve que de l'admiration pour ces fans inconditionnels.
La série s'appelle Discovery : concrètement, qu'allons-nous découvrir ?
Nous allons découvrir la Fédération et Starfleet en temps de guerre et quelles sont les décisions à prendre ou à ne pas prendre en cas de conflit. A cette occasion, nous allons faire la connaissance de Michael Burnham, qui est dans l'attente d'une promotion à la fonction de capitaine de vaisseau, mais dont certaines décisions vont changer le cours des choses, et lui permettre de découvrir sa vraie nature. Nous suivrons également les Klingons depuis leur propre point de vue, ce qui est à ma connaissance quelque chose qui n'a encore jamais été fait.
Quelle a été l'ampleur de la tâche pour vous d'être à la tête d'une série Star Trek ?
Cela a été le boulot le plus important de toute ma carrière. J'ai déjà dirigé d'autres séries par le passé, des séries plus modestes, et cela représentait déjà un travail extrêmement exigeant. En tant que showrunner, on a plus de libertés et d'autonomie, nous sommes à l'origine de toutes les décisions. Mais en ce qui concerne Star Trek, et j'imagine que cela s'applique pour n'importe laquelle des autres Star Trek, on réalise très vite que la série est plus importante que n'importe qui et que n'importe quoi.
Tout le monde a la possibilité de s'exprimer, ce qui est vraiment une bonne chose, car il y a énormément de pression et il est beaucoup plus agréable de partager les tâches plutôt que d'essayer de tout faire soi-même. Cela a été l'un des plus gros défis de toute mon existence ! Nos scénaristes sont fantastiques, nos monteurs basés à Los Angeles font un travail remarquable, mais je pense que dans ce cas précis, l'ignorance m'a été bénéfique. Je connaissais très bien l'univers de Star Trek, mais quand on nous a demandé à Gretchen J. Berg et moi-même de succéder à Bryan Fuller après son départ, je pense que je n'aurais pas accepté si j'avais réalisé l'ampleur de la tâche. (rires)
Vous avez mentionné votre volonté de respecter l'héritage de Star Trek, est-ce pour cela que vous avez fait appel à des légendes de la franchise comme Nicholas Meyer (La Colère de Khan) ou Jonathan Frakes (Star Trek La Nouvelle Génération) ?
Nicholas Meyer est l'incarnation même de la joie de vivre (ndlr : en français dans le texte), c'est tout simplement le meilleur ! Il a un incroyable sens de la narration et c'est véritablement un symbole iconoclaste de Star Trek. Il adore les fans, mais il ne fait aucune concession sur son travail, il veut juste raconter les meilleures histoires possibles. Avec lui tout est authentique et personnel, et c'est pourquoi La Colère de Khan est un aussi bon film, car ce que l'on croit être un simple film de vengeance devient peu à peu une histoire d'un père et de son fils, et il y a aussi la mort inattendue de Spock. Avec Gretchen, nous sommes allés chez lui et nous avons regardé le film tous ensemble ce qui constitue l'un des plus grands honneurs de toute ma vie. C'est pour cela que nous avons fait appel à lui, c'est quelqu'un qui n'hésite pas à prendre des risques.
Quant à Jonathan Frakes, c'est un ami que nous avons croisé pour la première fois lors du tournage de la série Roswell. Et selon moi il n'y aucune raison de ne pas vouloir travailler avec Jonathan. Dès que nous avons été nommés showrunner, nous avons décidé de faire appel à lui et heureusement pour nous, il était disponible. Il a d'ailleurs réalisé l'un des meilleurs épisodes de cette saison. L'équipe a adoré travailler avec lui et sa connaissance de Star Trek lui a permis diriger avec merveille les comédiens. Il était tellement content, je l'ai contacté après avoir vu le premier montage de son épisode et il m'a confié avoir passé un moment inoubliable. Nous avons hâte de faire de nouveau appel à lui, j'adore ce type ! Non seulement il sait ce qui fait une bonne série Star Trek, mais aussi comment reproduire au mieux l'essence de la série, c'est aussi quelqu'un qui sait comment tirer le meilleur de ses comédiens. Il a été une sorte de mentor pour certains d'entre eux, qui ne réalisaient peut-être pas encore à quel point leur vie allait changer grâce à la série.
En quoi était-ce différent pour vous d'écrire une série destinée à une plate-forme de streaming plutôt qu'à un réseau traditionnel de télévision ?
Il y a encore quelques saisons, quand les plate-formes de streaming ont commencé à avoir du succès, de nombreux scénaristes ont cherché à écrire pour ces formats parce qu'il était possible de raconter des histoires plus sombres, mettant en scène des personnages complexes. Il était alors possible de faire tout ce qui n'était pas permis de faire à la télévision classique. C'est pourquoi je pense que sur de nombreuses plate-formes, à part pour les comédies, on trouve de nombreuses histoires dystopiques. Ce n'était pourtant pas ce que nous souhaitions faire avec Star Trek Discovery. Nous voulions être sûrs que la série serait quelque chose d'optimiste. Et ce malgré le fait que certains passages de la série sont plutôt sombres, et parfois même difficiles à supporter. Nous souhaitions qu'à la fin de chaque épisode, le téléspecteur soit plus excité à l'idée de voir la suite plutôt que déprimé par ce qu'il venait de voir. L'autre différence selon moi avec le format streaming est que notre narration ne prend pas son temps. J'ai pu remarquer que sur d'autres séries de ce format, certains épisodes sont parfois trop longs. Par conséquent, l'histoire est momentanément mise de côté, et c'est pourquoi nous avons voulu que la durée de chaque épisode soit justifiée par le contenu de son intrigue.
Nous avons également eu la possibilité de monter davantage de violence, de grossièreté et de nudité que sur la télévision traditionnelle, mais à mon avis ce n'est pas quelque chose qui est nécessaire sur une série Star Trek. Si nous le souhaitons, nous pouvons montrer un personnage se faire poignarder, ou quelqu'un se faire égorger, parce que nous ne sommes pas sur une chaîne publique, et c'est agréable d'avoir ce genre de liberté. Mais nous essayons de nous limiter et de ne pas employer de vulgarité gratuite. Nous ne faisons pas non plus beaucoup de nudité. C'est quelque chose qui ne me paraît pas très approprié pour ce genre de série.
Star Trek Discovery met en scène le premier couple ouvertement gay de la franchise. Est-ce que cela aurait pu être fait sur un réseau traditionnel ?
Oui, tout à fait. Etant moi-même gay, il était important à mes yeux que ce couple soit avant tout un vrai couple. Ce qui m'a intéressé à propos de ces personnages, c'est qu'ils ont fait le choix d'allier vie personnelle et vie professionnelle, ce qui est selon moi beaucoup plus intéressant que de les définir simplement par leur sexualité. En quoi leur travail impacte leur relation ? C'est l'un des principaux enjeux de leur histoire. Les choix entrepris par le lieutenant Stamets vont entraîner son partenaire dans des conflits moraux de grande importance. En temps de guerre, comment réagir quand votre partenaire est la clé de la victoire ? Et quel en sera le prix à payer ? Leur sexualité est effectivement une part importante de leur identité, mais les moments qui m'ont le plus tenu à coeur sont ceux qui les montrent comme un simple couple, par exemple en se brossant les dents le soir avant d'aller au lit.
Pourquoi selon vous il a fallu attendre si longtemps pour voir un couple LGBT de la sorte dans Star Trek ?
Honnêtement je n'en sais rien, je n'ai pas la réponse à cette question. Parfois on imagine un couple gay et si parmi les acteurs que nous audtionnons aucun ne convient, alors on décide de modifier l'un des personnages pour en faire un couple hétéro. Il était très important à nos yeux que ce couple soit incarné par des comédiens ouvertement homosexuels. Ce qui n'est pas facile à trouver… Il nous a fallu un certain temps pour trouver Anthony Rapp et Wilson Cruz. A l'époque où la diffusion d'Enterprise s'est achevée (ndlr : en 2005), je pense qu'il y avait encore beaucoup d'acteurs qui n'auraient pas voulu incarner de personnage gay. Ce qui est assez étonnant, car on pourrait penser d'une série comme Star Trek qu'elle aurait déjà brisé ce tabou par le passé. Pour moi, il ne s'agissait pas de quelque chose que l'on s'obligeait à faire mais au contraire il paraissait normal de le faire, et je suis très fier que Wilson et Anthony, deux acteurs ayant fait leur coming-out, aient accepté de jouer ces rôles pour nous. Il aurait sûrement été plus simple de trouver un acteur hétéro pour jouer le rôle d'un homme gay.
Pourquoi Michael Burnham s'appelle Michael alors qu'il s'agit d'une femme ?
Je m'attendais à cette question ! (rires) Nous avons travaillé avec Bryan Fuller sur de nombreuses séries, et à chaque fois, nous y croisions des personnages féminins qui avaient des noms habituellement réservés aux hommes. Quand nous avons commencé l'écriture de la série, nous avons immédiatement décidé de donner à l'héroïne un nom masculin. Nous avions retenu plusieurs options et j'ai suggéré Michael car je me suis souvenu que dans le Chicago Sun Times, une journaliste signait ses articles sous le nom de Michael Sneed. Et il y a aussi la bassiste du groupe The Bangles qui s'appelait Michael Steele. J'ai toujours pensé que le prénom Michael était vraiment cool. Nous avons donc soumis l'idée à Bryan et il a réfléchi un certain temps avant de valider notre choix. Mais je pense que c'est un nom vraiment cool, et qui sait si nous ne verrons pas dans le futur davantage de femmes s'appelant Michael ?
En quoi Star Trek Discovery est-elle connectée à la série originale ? Et à quel genre de références et clins d'oeil pouvons-nous nous attendre ?
Notre producteur Akiva Goldsman voulait un Tribble (ndlr : petite créature poilue et mignonne se reproduisant à une vitesse incontrôlable). Il m'a dit un jour "il nous faut un Tribble", donc j'ai fait en sorte de répondre à sa demande. La présence de Harry Mudd a été un choix qui a divisé. A l'origine, nous avons rencontré Rainn Wilson pour discuter avec lui d'un autre rôle, et il était alors question d'un personnage nécessitant un long travail de maquillage. Rainn est un énorme fan de Star Trek, et à la base il voulait juste nous rencontrer par curiosité. A l'issue de cet entretien, nous nous étions promis de nous recontacter, et c'est en repensant aux clins d'oeil que nous pourrions glisser dans la série que quelqu'un a fini par dire "il faut que Harry Mudd fasse une apparition dans le show". Et nous avons alors réalisé que Rainn serait l'acteur parfait pour l'incarner. Les deux épisodes auxquels il a participé ont été très amusants à faire, parce que nous faisons allusion à beaucoup d'épisodes de la vie de Harry Mudd, et évidemment il y aura des références pour les fans. C'est toujours sympa de pouvoir en glisser une ou deux.
Nous avons voulu faire cette série en nous adressant à deux types de spectateurs. D'une part, il y a la communauté de fans de Star Trek qui aura droit à quelques bonus, tandis que les autres n'auront pas besoin d'avoir vu les autres Star Trek pour apprécier la série.
Star Trek Discovery est diffusée chaque lundi en US+24 sur Netflix.
Qui sont les héros de la série "Star Trek Discovery" ?