AlloCiné : Parmi les romans de Daphné du Maurier, pourquoi avoir choisi celui-ci en particulier ?
Roger Michell : Au départ, je l’ai lu sans penser à une adaptation éventuelle. Je l’ai lu comme un livre quelconque, sans savoir que j’en tirerais un film. Vous savez, quand on travaille dans le cinéma, ce n’est pas reposant de lire des livres dans le but de les adapter. En l'occurrence, je ne courais pas ce risque puisque ce roman avait déjà été adapté pour le cinéma. En plus, je ne pensais pas qu'il me plairait. Je l’ai trouvé sur une étagère, chez ma mère. Sur la couverture, il y avait une femme avec une robe courte en haut d’une falaise sur laquelle des vagues s’écrasaient. Je me suis dit que ça allait être sympa, mais pas sérieux. Et j’ai découvert que c’était les deux. J’ai tout de suite voulu l’adapter.
C’est la première fois que vous signez vous-même un scénario, n’est-ce pas ?
Presque. J’avais écrit quelques adaptations il y a très longtemps. Un téléfilm, ainsi qu'un long métrage qui devait se dérouler en France mais qui ne s’est pas fait. J’ai beaucoup aimé écrire et je compte renouveler l’expérience. Souvent, par le passé, j’ai travaillé de près avec mes scénaristes et ça m’a plu. Voilà pourquoi je m’y suis mis avec entrain. Je savais exactement comment je voulais adapter ce livre en film.
Qu’on le veuille ou non, on finit toujours par faire des œuvres sur ce qui nous entoure.
Aviez-vous vu la première version, de Henry Koster, ou l’adaptation en série, qui date de 1983, avant de faire votre film ?
Non, aucun des deux. C’est surtout le film, que je ne voulais pas voir, parce que j’avais peur de trop l’aimer ou de le trouver nul. Je le verrai probablement quand j’en aurai fini avec ce film. Mais avant, je trouve ça plus sage de m’abstenir. Tous ces films en disent plus des époques auxquelles ils ont été réalisés que de celles dans lesquelles ils sont sensés se dérouler. Le mien se déroule quelque part dans les années 1830, mais ce n’est pas précisé dans le livre. On sent bien que du Maurier n’était pas très regardante quant à l’exactitude historique. Par contre, elle l’a écrit en 1950 et ça se sent vraiment à la lecture. C’est comme pour mon film : je pense que, lorsqu’on le verra dans dix ans, ça fera très 2017. Qu’on le veuille ou non, on finit toujours par faire des œuvres sur ce qui nous entoure.
Vous marchez sur les traces d’Alfred Hitchcock et de Nicolas Roeg en adaptant Daphné du Maurier. C’est un lourd fardeau ?
Ils sont tous deux très différents et ce qui m’a encouragé, c’est que la première adaptation de My Cousin Rachel n’est pas devenue un classique, contrairement à Rebecca. Ce serait compliqué de refaire Rebecca, et impossible de refaire Ne vous retournez pas. C’est la plus belle des adaptations de Daphné du Maurier. Mais Rebecca est un film si iconique qu’il y aurait de l’arrogance à prétendre à une nouvelle version. My Cousin Rachel est plus obscur. Personne ne le connaît vraiment et ceux qui l’ont vu, c’était il y a vingt ans à la télévision, et on ils l’ont oublié depuis. Je n’avais pas la sensation d’un précédent intimidant, comme j’aurais pu aussi l’avoir sur Les Oiseaux. Mais même Hitchcock a réalisé une adaptation de Daphné du Maurier, La Taverne de la Jamaïque, qu’ils n’aimaient ni l’un ni l'autre. Il faut faire son film à soi, sans se soucier de tout ça.
Est-ce que les films d’Hitchcock adapté de Daphné du Maurier vous ont aidé à imaginer votre mise en scène ?
Non. Je sais que du Maurier s’est vraiment inspirée de Soupçons, par exemple. Je pense que, même inconsciemment, quand elle a écrit cette scène de dispute sur un escalier avec des perles ou des chandeliers, elle s’est laissé influencer par cette fameuse scène avec le verre de lait dans lequel Hitchcock avait placé une ampoule. Je ne peux pas croire que ce n’était pas dans un coin de sa tête, mais j’ai essayé de me dégager de ça.
Je suis d’autant plus British que je suis d’influence multiculturelle.
Vous qui avez beaucoup vécu dans d’autres pays, vous considérez-vous un réalisateur d’inspiration britannique avant tout ?
Mon père était diplomate. Je suis né en Afrique du Sud, mais je n’en ai aucun souvenir. Plus tard, j’ai vécu en Tchécoslovaquie. On a aussi vécu à Beyrouth et à Damas. Beaucoup plus tard, nous avons emménagé à Prague. J’ai eu une enfance itinérante et très joyeuse, mais je suis 100% British. Certes, j’ai des influences très multiculturelles. Mais la Grande-Bretagne est aussi devenue très multiculturelle. Donc je suis d’autant plus British que je suis d’influence multiculturelle. Londres, comme Paris, est une des grandes capitales de la diversité et j’y tiens beaucoup.
Est-ce que tout réalisateur British doit un jour ou l’autre se lancer dans un mélodrame romanesque avec pour cadre le XIXème siècle et la campagne anglaise ?
Ce sont des grands mots, tout ça ! (Rires) Non, d’ailleurs je l’avais déjà fait avec un de mes premiers films pour la télévision, Persuasion, qui se déroulait dans les années 1840. My Cousin Rachel ne se passe que dix ans plus tôt. Je ne dirais pas non plus qu’il s’agit d’un mélodrame, parce que le mélodrame filme une puissance sentimentale que je n’essaie pas d’atteindre ici. C’est plutôt un film contemporain. Son ton est moderne et doit l’être pour des raisons pratiques. Mais je ne l’ai pas vu du tout comme un élément d’héritage culturel. Je préfère l’éviter, d’ailleurs. Et, quand on y pense, ce n’est pas non plus le cas de Loin de la foule déchaînée de John Schlesinger. C’est plus réaliste et pas du tout romantique. Thomas Hardy a écrit Loin de la foule déchainée sur le mode rétrospectif, lui aussi, mais il y décrit une société agraire où entre autres problèmes, la pauvreté fait rage, bien autant que les peines de cœur. Même lui n’essayait pas de rendre l’époque plus romantique. Peu de films font vraiment ça, en réalité. En tout cas ce n’est pas mon cas.
Comment avez-vous travaillé avec Rachel Weisz pour incarner ce personnage si profond ?
En répétant. Beaucoup! Nous avions un accord : je ne lui donnais pas les intentions de son personnage, et je ne voulais pas savoir ce qu’elle en pensait. Je voulais simplement qu’elle soit sincère dans chaque scène du film. Si vous le revoyez, je vous mets au défi de deviner si elle joue la manipulation, ou la ruse, ou si elle mène un double jeu. Ensuite, il fallait jouer chaque scène – même les plus complexes – en ayant évacué tout sentiment. Une scène de colère, un bouleversement, une émotion, une joie soudaine… Et finalement elle est plus vivante que tous les autres personnages. Je n’aurais pas pu trouver mieux qu’elle dans ce rôle. Elle est formidable.
Elle réagissait donc au premier degré à tout ce qui lui arrivait ?
Le but était qu’elle soit toujours sincère et cohérente et laisser le scénario décider si elle jouait un double jeu ou pas. Le scénario suffit à entretenir le doute et il ne fallait surtout pas que le jeu de l’actrice donne le fin mot de l’histoire. Je voulais que tout le monde sorte de la salle en se demandant si l'héroïne était fautive ou pas. Qu’en avez-vous pensé, vous-même ?
À mes yeux, elle n’a rien à se reprocher.
Très bien. D’autres concluent à l’opposé. Tant mieux : il faut que le spectateur reste sur une incertitude.
Le féminisme est une partie de notre monde moderne.
Vous disiez que votre film était le témoin d’aujourd’hui. En effet, l’histoire de cet homme qui essaie de posséder une femme et de cette femme déterminée à rester libre en fait un film féministe. Ce discours politique était votre intention ?
Oui, à ceci près que je ne pense pas que le féminisme soit encore une question de politique. Je pense que le féminisme est une partie de notre monde moderne. Le mot féminisme ne figure pas une fois dans le roman que j’ai adapté. Pourtant, il est forcément l’une des graines du mouvement féministe qui est apparu dans les années 1960, la décennie qui a suivi sa publication. C’est ce que j’ai voulu souligner dans mon film en l’ancrant davantage dans le monde d’aujourd’hui. Voilà cette femme très contemporaine, parachutée dans un roman de Jane Austen. C’est un personnage plutôt post-freudien, créé au milieu du XXème siècle, mais environnée d’un monde patriarcal de documents, de possessions, de propriétés, tandis qu'elle refuse d’appartenir à qui que ce soit.
Justement, comment avez-vous repéré ces morceaux de campagne ?
Les paysages ont été dénichés un peu partout dans le sud de l’Angleterre. Souvent, le même endroit dans le film a été filmé en deux lieux éloignés de plusieurs centaines de kilomètres. Dans le Devon, autour d’Oxford... La maison principale était à peine à vingt-cinq minutes en train depuis Waterloo Station. Pardon d’avoir mentionné Waterloo. (Rires)
On s’en est remis, depuis.
Nous, nous en avons célébré l’anniversaire en négociant le Brexit. (Rires)
Vous avez beaucoup éclairé votre film à la bougie, aussi ?
Oui, parce que c’est toujours très étonnant de voir ce que la lumière d’une bougie peut faire sur le visage d’un être humain. Avec les caméras numériques d’aujourd’hui, ça ne pose plus de problème.
Vous qui avez travaillé avec Peter O’Toole, Harrison Ford, Julia Roberts, Hugh Grant… quelle acteur vous a fait la plus forte impression ?
Ils sont tous si singuliers et exceptionnels... J’ai eu de la chance de travailler avec tant d’êtres comme eux. C’est un petit peu comme avoir des enfants, vous savez. On ne peut pas en préférer un au détriment des autres. Mais ils sont très bizarres, tous ! Vous le savez mieux que personne : vous avez dû en rencontrer plus d'un. Ils ont ce talent singulier que vous et moi n’aurons jamais. Ils ont cette vivacité que la caméra sublime. Et ça n’a rien à voir avec le simple fait d’être en vie. C’est un pouvoir magique qui fait que le détecteur qu’est la caméra peut sentir une certaine radioactivité chez quelqu’un. C’est un talent qui ne se transmet pas et de nombreux grands acteurs de théâtre ne l’ont pas, de la même façon que beaucoup de stars de cinéma ne sauraient que faire sur scène. C’est indéfinissable.
Vous les faites toujours répéter avant de tourner, comme Rachel Weisz sur My Cousin Rachel ?
Oui, mais pas comme une pièce de théâtre. Je viens pourtant du théâtre et j’en fais toujours. Mais c’est un art différent parce qu’on y prépare un acteur pour qu’il joue chaque soir un spectacle qui va durer deux ou trois heures. Alors que dans un film, on prépare l’acteur à faire quelque chose de très court qu’il ne fera qu’une fois. Ça fait appel à d’autres muscles et à d’autres tactiques de préparation. Par exemple, quand je répète un film, je n’essaie jamais de faire en sorte que les comédiens produisent une performance artistique. Ce serait un échec s’ils étaient meilleurs en répétition que devant la caméra. Il ne faut pas les épuiser. On cherche simplement le ton de la scène, on défriche l’histoire et on trouve la bonne architecture. On en n’est pas encore à repeindre et à décorer.
Il y a vingt ans, vous étiez sur le point de tourner Coup de Foudre à Notting Hill. Avez-vous envisagé une suite, vingt ans après ?
Non, sûrement pas. Je ne vois pas du tout ce que ça donnerait. Par contre, j’aimerais bien en sortir un director’s cut. Il y avait vraiment beaucoup de choses que nous n’avons pas gardées au montage final. C’était très long. La première version de travail durait trois ou quatre heures. C’est ça qui m’intéresserait : retourner creuser dans ce que nous avons mis de côté et trouver un moyen de remonter le film. Mais une suite... Dans toute comédie romantique, il faut fabriquer une dispute. Il la rencontre, il la perd, il la reconquiert. Là, il faudrait reprendre avec Hugh Grant et Julia Roberts dans une grande maison de Notting Hill avec des petits enfants… Ecrivez-moi un scénario et on verra ce qu’on peut en faire. (Rires)
On n’a plus du tout l’impression que les séries sont les films du pauvre.
Vous avez reçu deux BAFTA pour votre travail à la télévision. Y a-t-il une différence singulière quand on travaille pour le grand et le petit écran ?
Il n’y a plus vraiment de différence. La télé et le cinéma son deux partenaires dans une seule et même famille. La télévision vous autorise aujourd’hui à raconter des histoires plus complexes sur de plus longues durées. Dans un sens, ça ressemble plus à un roman qu’à une pièce de théâtre. Les films ont gardé ce côté pièce de théâtre : il y a un début, un milieu et une fin. C’est aristotélique. Maintenant, on produit des histoires bien plus compliquées qui vont jusqu’à dix, vingt, trente heures. Je trouve ça très stimulant, surtout en termes de budget. Je suis venu en France il y a quelques années pour tourner un film qui s’appelle Un Week-End à Paris. Après quoi, je suis rentré en Angleterre pour faire un projet télévisé dont le budget était beaucoup plus important. On n’a plus du tout l’impression que les séries sont les films du pauvre.
Où en êtes-vous de votre projet avec Ryan Reynolds qui devait s’appeler "Truth & Advertising" ?
C’était un projet sur le monde de la publicité à New-York auquel j’étais attaché il y a deux ans, mais c’est fini. L'ensemble reposait sur un livre très intéressant, et ça se fera peut-être quand même un jour, mais sans Ryan Reynolds, je pense. C’était un drame, qui racontait comment un type se laisse démolir par son milieu. Le personnage principal faisait un burn out et essayait d’en trouver la cause. Bien sûr, il évoluait dans un monde ridiculement factice que tout le monde prenait trop au sérieux. Je suis certain que nous prenons nous aussi notre travail trop au sérieux, mais c’est sans doute encore plus grave chez ces gens-là. Ça commençait par une remise de récompenses décernée par le milieu de la pub. Le héros remportait un prix mais ne comprenait plus ce que cela signifiait, soudain. En plus de ça, il y avait un deuxième scénario, sur son rapport à son père mourant. De quoi faire, en somme. C’est un de ces projets avec lesquels j’ai un peu joué parce que ça m’intéressait, mais ça ne sera probablement pas mon prochain film. Je ne sais même pas comment tout ça est arrivé jusqu’à vos oreilles. Disons que c’est une information qu’on peut oublier. Voilà pourquoi je préfère ne rien vous confier de mes projets actuels, sinon un autre journaliste va m’interroger dans une prochaine interview, quand justement ces projets ne seront plus dans les tuyaux. (Rires)
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