AlloCiné : Macadam Popcorn est un film qui donne envie d'aller ou de retourner au cinéma, en rendant hommage au travail des exploitants de salles de cinéma. Etait-ce le point de départ du film ?
Jean-Pierre Pozzi, réalisateur : C’est venu assez vite. Mais ce n’était peut être pas l’élément déclencheur. J’ai fait le film aussi pour des raisons personnelles : je me suis construit professionnellement, socialement, grâce au cinéma, en toute modestie. A travers le témoignage de Mathieu [Sapin] et des exploitants, j’ai retrouvé beaucoup de sentiments, de souvenirs qui étaient liés à la pratique du cinéma, le fait que la salle reste l’endroit privilégié pour découvrir une œuvre cinématographique.
C’est vrai que c’est un petit peu en train de changer, beaucoup même. Je le vois avec mes enfants. J’ai des enfants qui sont encore assez jeunes. Ils ont une pratique du cinéma que je n’avais pas du tout, et donc ça m’interroge un petit peu. Mais à l’arrivée, et je suis très heureux de ça, il y a beaucoup de gens qui me font la même remarque : 'super, ça me donne envie de retourner voir des films, de rencontrer des exploitants, les directeurs de salles, et d’aller au cinéma'.
Ce qui est intéressant avec ce documentaire, c’est qu’on voit beaucoup de profils différents. On rencontre les exploitants de salles dans toute leur diversité… J’imagine que c’était quelque chose qui était important pour vous lorsque vous avez choisi les exploitants, de faire une sorte de "casting"…
J.P.P. : Très vite, quand j’ai commencé à travailler sur le film, j’ai découvert plein de choses, plein de situations d’exploitant. Derrière ces salles, on s’aperçoit qu’il y a des histoires. On a par exemple filmé un jeune couple qui vient d’acheter un cinéma. Michèle Berrebi s’est lancée dans l’exploitation quand elle était quasiment à la retraite. A chaque fois, il y a des histoires un peu différentes. L’éventail est très large, c’est très vivant. Ca se réinvente tout le temps. On peut être inquiet en se disant ‘les salles, ça ne va pas durer longtemps’, mais en fait non.
Ce qui m’épate, c’est que ça marche encore aussi bien alors qu’on est bombardé d’images partout. On a un choix invraisemblable, des plateformes. Le cinéma résiste. Cahin caha. Pour les petites salles, c’est assez difficile, mais il y a quand même une espèce d’énergie souterraine, où l’on s’aperçoit qu’il y a de nouvelles générations qui reprennent des salles, qui se relancent dans le « combat ». Au-delà de l’amour du cinéma en tant que tel, je pense que c’est plus l’envie de partager, d’accueillir du monde… C’est leur moteur premier. C’est pour ça que je suis plutôt optimiste.
Le film est un road movie. C'est la forme qui s'imposait pour ce documentaire ?
J.P.P. : J’avais envie de prendre la route. J’avais envie de filmer une voiture avec des mecs dedans. Et j’avais envie de m’offrir de liberté moi-aussi. Ce sera peut être une occasion unique de faire un film en dehors des clous, avec de l’improvisation. Toutes les parties entre Mathieu et Gary qui sont plus de la fiction, je voulais que ce soit un moment de liberté totale. On a beaucoup tâtonné, il y avait des choses qui ne fonctionnaient pas. Mais à l’arrivée, je trouve qu’il y a une espèce de ton assez libre, qui peut interroger. Ca aurait pu être un film dossier avec des témoignages très argumentés. Ca aurait très bien marché, mais c’est vrai que ce petit côté foutraque, chemin de traverse que je revendique complètement, ça peut déstabiliser.
Mathieu Sapin, dessinateur et personnage de Macadam Popcorn : C’est vrai qu’il y a plein de manière de le présenter, d’en parler. C’est ça que j’aime bien aussi.
J.P.P. : J’aime bien être surpris par les films. Je n’aime pas quand on me prend par la main.
Mathieu, êtes-vous vous-même dans ce film ? Ou est-ce que vous vous inventez un personnage?
M.S. : C’est une vaste question ! Je suis en train de faire un bouquin dont ce sera le sujet. Le point de départ est Macadam Popcorn. Je fais un carnet qui raconte mon vécu par rapport à Macadam. Ca s’appelle Docu-fiction. Ca raconte ce que ça fait d’être un personnage. Il y a beaucoup de moi et des choses que Jean-Pierre a apporté. A quel moment est-ce complètement moi ? J’adore ça. Moi qui écris à la fois des fictions et à la fois beaucoup de documentaires en BD, j’adore être sur cette frontière très poreuse et floue. Ca s’est fait naturellement et c’est une question de confiance aussi bien sûr.
De tous les témoignages que vous avez reçu pour le documentaire, quel est celui qui vous a le plus marqué ? Quel est celui qui vous revient en mémoire ?
M.S. : Je pense que nous n’aurons pas les mêmes. Moi, j’avais été touché par le couple à Bagnols-sur-Cèze, Mathieu et Anne Marie. Déjà je ne connaissais pas la ville. Ca fait vraiment l’effet d’un cinéma dont la splendeur est passée. Le lieu est vraiment impressionnant. Quand c’était à son âge d’or, ça devait être un lieu magnifique. Aujourd’hui, tu sens vraiment que c’est derrière nous. Ils perpétuent ça. Tu sentais qu’ils y avaient mis beaucoup d’affect. C’est touchant.
J.P.P. : Moi j’ai bien aimé Vincent, le cinéma itinérant, c’est le premier qui apparaît dans le film. A la fois, il parle très bien de l’évolution du cinéma, en étant à l’extrémité de l’éventail du parc de salles. Il n’a pas de salles en dur ; il se balade d’endroit en endroit. Pareil, ce sont des passionnés ; ils font ça presque par abnégation. C’est très touchant. Tu sens que sa vie entière est dévolue à ça. Il a sa camionnette, son projecteur… Il vient porter la bonne parole de village en village. Je trouve ça très touchant, très respectable. C’est presque un sujet en soi d’ailleurs.
Quel est pour tous les deux votre premier souvenir d’une salle de cinéma ? Etes-vous allés très jeunes au cinéma ?
M.S. : C’est Le Retour du Jedi, à Auxerre, dans une salle qui n’existe plus, je pense. Blanche Neige aussi, mais je ne me rappelle pas de la salle. J’habitais à la campagne donc c’était vraiment un événement d’aller au cinéma.
J.P.P. : On n’avait pas la télévision. Mon père ne voulait pas de télé. Ce qui me frustrait énormément quand j’étais gamin. J’habitais aussi à la campagne et on avait un tout petit cinéma qui était tenu par des curés, qui avait une programmation surréaliste, avec le recul.
Mais j’ai plusieurs souvenirs marquants, comme Ben Hur. J’étais terrorisé, c’est mon premier vrai souvenir physique. J’avais passé la moitié de la projection sous le fauteuil. J’ai un autre souvenir, beaucoup plus tard, au lycée. Mon prof de philo nous avait emmené voir Le Parrain.
M.S. : Calmé !
J.P.P. : Ca a été un choc. Je suis sorti de là totalement bouleversé. Je me suis dit : le cinéma, ça peut être ça aussi. A la fois du divertissement et des histoires profondes. C’est ce jour là, où je me suis dit : le cinéma, c’est pas mal ! Ca remue ! Pareil, c’était une petite salle. A Belfort. On était avec des potes, surtout pour sortir. J’étais interne. C’était une sortie pour draguer les copines. Mais en fait, on s’est tous fait embarquer. Ca a été un souvenir extrêmement puissant, qui me poursuit encore.
Est-ce qu’aujourd’hui vous avez une salle de prédilection, une salle où vous avez vos habitudes ?
M.S. : Je vais faire mon bobo, mais j’ai la chance d’habiter pas loin du Quartier Latin. Donc je profite vraiment d’être là. J’adore aller au cinéma à pied, je trouve ça super. Donc je vais dès que j’en ai l’occasion rue Champollion ou rue des Ecoles. Après, je n’ai pas de préférence, mais la Filmothèque dans le Quartier Latin, tu peux y aller sans même regarder ce qu’il y a l’affiche et tu sais que tu vas voir un super film ou en tout cas intéressant.
J.P.P. : Là actuellement, je vais un petit peu moins au cinéma depuis quelques années. Je suis dans un quartier assez mal desservi en fait, dans le XXe. Je suis beaucoup allé au MK2 Quai de Seine / Quai de Loire. Là, j’avais droit à tout. Et puis c’est aussi en fonction des endroits où tu habites, des gens que tu fréquentes.
M.S. : J’ai deux filles assez jeunes et je suis content car elles aiment bien voir des vieux films. C’est parfait.
J.P.P. : Tu révises tes classiques et tu leur fais découvrir !
M.S. : Et elles sont ravies ! Mais je vais voir des films récents aussi : le dernier en date, ça doit être Alien et Les Fantômes d’Ismaël.
Quelle est la suite pour vous ? Un autre documentaire ? Un projet totalement différent ?
J.P.P. : Totalement différent. C’est à l’état de projet. Ce sera une fiction.
M.S. : J’ai un projet de film qui va s’appeler Le Poulain, avec Pyramide Productions. Nous tournons à la rentrée, avec Alexandra Lamy, Finnegan Oldfield et plein d’autres comédiens. C’est une comédie qui se passe dans le contexte d’une campagne présidentielle. Je n’aime pas dire que c’est un film politique. C’est plus une comédie de mœurs qui se passe dans le milieu politique.
Bonus : Mathieu Sapin dessine une case de Docu Fiction, sa prochaine BD dont le point de départ sera le documentaire Macadam Popcorn