C'est l'histoire d'Ava (la révélation Noée Abita), 13 ans, en vacances au bord de la mer. La jeune fille apprend qu'elle va perdre la vue, plus vite que prévu. Sa mère (Laure Calamy) décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite…
Commençant comme un film d'ado naturaliste, Ava va ensuite traverser différents genres, rappelant ainsi par certains égards, un autre film très remarqué à Cannes il y a trois ans, Les Combattants de Thomas Cailley. Nous avons rencontré Léa Mysius, 28 ans, diplômée de la section scénario de la Fémis (elle est également co-scénariste des Fantômes d'Ismael d'Arnaud Desplechin, présenté en ouverture de Cannes), et Noée Abita, 18 ans, qui tient de rôle d'Ava
AlloCiné : Ava navigue entre différents genres. Etait-ce une idée qui vous a guidé dans ce projet ?
Léa Mysius, réalisatrice et scénariste : Dès le début, je voulais vraiment travailler sur une hybridation des genres, et dès le scénario, commencer vraiment par quelque chose de plus naturaliste et au fur à mesure aller vers le conte puis vers le film de genre. C’est un peu le trajet que fait Ava aussi, dans le sens où, depuis qu’elle sait qu’elle va perdre la vue, elle est dans une urgence de voir, une urgence d’être dans quelque chose de plus romanesque, de réenchanter le monde un peu.
On décolle du naturalisme pour aller vers le surréalisme, du réel pour aller vers le fantasme.
Je voulais que le film ait ce trajet là aussi, c’est-à-dire qu’au fur et à mesure qu’elle perd la vue, elle est de plus en plus dans son corps. Elle découvre ses autres sens. Au début, elle est très pudique, elle est très agressive par rapport au monde, elle est très inquiète. Et petit à petit, elle s’ouvre. On décolle du naturalisme pour aller vers le surréalisme, du réel pour aller vers le fantasme.
La perte de la vue d’Ava a aussi une portée symbolique, par rapport au monde qui s’obscurcit, avec l’inquiétude de la montée de la vague noire, du FN... Je voulais que ce soit un petit peu en arrière plan, mais que ça reste quelque chose de presque fantastique, avec les chevaux qui passent, et qu’Ava en fuguant avec Juan, en vivant cette petite parenthèse utopique avec lui soit vraiment un acte de liberté politique contre cette société un peu liberticide et cette montée de l’obscurantisme.
Trouver l'actrice pour jouer Ava a dû être comme une quête de la perle rare...
Le personnage a 13 ans dans le film, mais il fallait qu’elle ait plus de 16 ans dans la vie pour des questions de production, pour la DDASS et aussi parce qu’il y a des scènes de nu. C’était un peu compliqué. On nous avait dit que ce serait impossible de trouver quelqu’un de bien, qui en plus a quelque chose d’étrange dans le regard, qui soit super actrice, et qui est en plus de 16 ans et fasse 13 ans.
Noée Abita a fait le mur avec une de ses amies pour se renseigner dans une agence de comédiens et l’agent venait de recevoir l’annonce pour notre casting. Elle est venue dès le premier jour de casting. C’était la 5ème personne qu’on voyait. Quand elle est rentrée dans la pièce, on a tout de suite su que ça allait être Ava. On l’a eue très vite.
On a eu du temps pour travailler sur son corps, sur le fait qu’elle ait 13 ans au début. On a travaillé sur la démarche, sur la voix. On allait dans la rue, on allait au restaurant… Sur le tournage, il y avait le costume. On lui bandait les seins pour la première partie du film. Je travaille beaucoup sur le physique dans la direction d’acteurs. Petit à petit, elle s’ouvre. Petit à petit, ses vêtements sont un petit peu plus féminins. On lui enlève le bandeau et elle devient une femme.
Noée, ton personnage évolue au fil du film, d'ado à femme. Comment as-tu travaillé sur cet aspect ?
Noée Abita (Ava) : En amont du tournage, on a beaucoup travaillé sur le corps d’Ava. Elle se tient un peu comme ça (elle se recroqueville, Ndlr.), elle baisse la tête. Elle tourne la tête un peu comme un oiseau. On a beaucoup travaillé là-dessus. Et il y avait ce mot magique : "action" ! Quand il y avait "action", j’étais Ava. Mon corps était comme une porte d’entrée. J’étais Ava avec tous ses désirs, ses peurs, ses questionnements, toute sa pensée. J’étais quelqu’un d’autre. Et quand il y avait "coupez", hop, c’était terminé ! Parfois, quand la prise était bien, j’avais du mal à saisir l’instant qui venait de se passer ; j’étais vraiment quelqu’un d’autre. Je me rendais compte que je ne réfléchissais pas en tant que moi, j’étais Ava.
Comment raconterais-tu cette expérience de tournage ?
N.A. : C’était un moment vraiment magique. Les scènes sont assez profondes, elles demandent du travail. On prenait vraiment le temps de travailler, d’arriver au bout. Il y avait une entente incroyable avec l’équipe. C’était très familial, très simple. Je plonge vraiment dans le personnage et je deviens quelqu’un d’autre au fur et à mesure. Jusqu’à ce que ce soit bien, on continuait. On ne s’arrêtait pas.
Est ce que ça te donne envie de continuer dans le cinéma ?
N.A. : Oui, bien sûr. J’ai adoré. J’aimerais bien devenir comédienne.
Ava a la particularité d'avoir été tourné en pellicule...
L.M. : C’est Paul Guilhaume, le chef opérateur avec qui on a co-réalisé mon dernier court métrage L’Ile jaune, il avait insisté pour qu’on le tourne en 16 mm. On m’avait tellement dit que c’était impossible, que ça coutait trop cher, que je l’étais vraiment interdit de le faire. Déjà j’adore l’argentique, je fais des photos en argentique, et je me suis aperçu sur le tournage, que je tournais assez peu finalement, moins d’une heure par jour. Donc c’était possible financièrement parlant.
La pellicule, c’est vraiment la matière ; le film travaille vraiment la matière, que ça soit les corps, les décors, les couleurs, le soleil que je voulais. Ava, elle veut voir des choses, et elle a peur de n’avoir vu que de la laideur comme elle le dit dans le film. Pour moi, avec la pellicule, il y a quelque chose d’un peu sublime aussi. C’est plus facile de faire des films beaux en pellicule qu’en numérique. Grâce aux producteurs Jean-Louis Livi et Fanny Yvonnet, on a pu tourner en 35 alors qu’au début les gens sont un peu réticents quand même, sur 8 semaines, avec un budget qui n’était pas énorme.
Passage du court au long métrage, est-ce que cela s’est fait assez naturellement ?
Ce long métrage est mon scénario de fin d’études de la Fémis. J’étais en section scénario à la Fémis. J’avais aussi réalisé un court métrage pour une productrice. Dans ce jury, il y avait Jean-Louis Livi, qui est mon producteur maintenant. C’est en voyant le court métrage qu’il a voulu me rencontrer pour le long. Et puis Fanny Yvonnet, la 2ème productrice avec qui j’ai monté une boite de production, avait vu mon premier court métrage à Clermont-Ferrand. C’est vraiment en voyant les courts qu’ils ont voulu travailler avec moi par la suite et qu’ils ont lu le long. Je pense que ça aide car les courts métrages ont eu quelques prix, ils ont été un peu vus. Ca aide pour les financements pour le long.
Vous étiez en section scénario à la Fémis et vous réalisez. Est-ce que vous aviez derrière la tête l’envie de réaliser ?
J’avais hésité. Je ne savais pas si je le passais en scénario ou en réalisation au début. En fait, j’écris depuis que je suis vraiment toute petite et ce qui m’intéressait vraiment dans l’écriture, c’était comment écrire, la manière d’écrire... Je voulais apprendre à raconter des histoires. Ca ne sert à rien de faire un film qui ne raconte rien. Et j’étais plus à l’aise à l’écrit.
Donc j’ai décidé de passer le concours en scénario pour vraiment apprendre ce métier, et ensuite passer à la réalisation. J’ai toujours eu envie de réaliser ce que j’écrivais. Mais je voulais aussi savoir écrire pour d’autres personnes. A la Fémis, on écrit quatre scénarios de longs métrages. Le diplôme, c’est le dernier. Pour les producteurs, les financiers, c’est beaucoup plus rassurant d’avoir un scénario déjà terminé.
Encore un petit mot au sujet de la Fémis. On assiste à l'émergence de nouveaux réalisateurs, de vingtenaires, de trentenaires... On sort du cliché Fémis qu’il y a eu pendant des années et qui était peut être injuste sur le cinéma français dans un appartement parisien...
Je ne connaissais pas très bien, qui en sortait, qui n’en sortait pas. Mais je sais que dans notre promotion à la Fémis, il y avait quatre Parisiens sur 40 personnes. Je ne serai pas capable d’écrire un film sur un appartement à Paris car ça ne m’est pas familier. Ca me paraît très naturel d’aller tourner dans les lieux de mon enfance, à la campagne, au contact des éléments. Je sais qu’à la Fémis, on pousse les gens à trouver leur style, leur patte, et finalement ce sont des films très différents qui sortent.
Vous disiez que vous ne veniez pas de Paris. D’où venez-vous ?
Je suis née à Bordeaux. J’ai grandi dans le Médoc, au bord de l’Atlantique, là où j’ai tourné Ava en partie, et dans les Landes aussi. Puis, à 13 ans, j’ai déménagé à l’Ile de la Réunion. Au début, je voulais être écrivaine quand j’étais petite, et ça correspond au moment où j’ai déménagé à La Réunion, où j’ai eu envie d’images et de sons.
Mon désir de littérature s’est un peu transformé en désir de cinéma. C’est là où j’ai commencé à écrire des choses qui étaient plus des scénarios que des nouvelles ou des romans. Après, j’ai continué dans les lettres, avec une prépa littéraire. Et c’est peut être un film de Desplechin Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle...) qui a fait un peu la transition entre littérature et cinéma. J’ai réalisé qu’on pouvait être littéraire au cinéma et ça peut marcher.
La bande-annonce d'Ava, premier long métrage de Léa Mysius, en salles le 21 juin :