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    Cannes 2017 : selon Tilda Swinton et Jake Gyllenhaal, "Okja est le seul personnage qui ne se trompe jamais"

    Dans "Okja" de Bong Joon Ho, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes, Tilda Swinton et Jake Gyllenhaal jouent les méchants. Ils nous parlent de leur travail avec le réalisateur dans ce film familial tendre et inattendu.

    Netflix France

    AlloCiné : Vous venez à Cannes présenter Okja, un film familial qui sera à voir sur Netflix, et donc facilement en famille. C’est inhabituel pour la compétition cannoise, n’est-ce pas ?

    Tilda Swinton : Tout Cannes cancane ! Je sais que Jake [Gyllenhaal, ndlr] est friand de mes jeux de mots. Cannes cancane, donc, mais il est prudent de faire le bilan de ce que le cinéma est devenu, aujourd’hui. Moi, j’étais très heureuse d’apprendre que le Festival reconnaissait enfin Netflix comme un des grands studios de productions, puisque c’en est un, maintenant. Ça aide beaucoup les cinéastes, puisque notre film est en compétition, comme celui de Noah Baumbach. Le spectre s’élargit !

    Jake Gyllenhaal : On a tendance à s’enfermer dans une idée précise de ce que devrait être l’art. On prend tout ça trop au sérieux. Par exemple, on fait toujours la part belle au drame et jamais à la comédie. Alors que le travail comique n’a pas à être méprisé. Il en va de même pour les films familiaux. Quand un festival comme celui de Cannes sélectionne un film pareil, de surcroît réalisé par Bong Joon Ho, c’est une vraie chance de rendre ces lignes plus mobiles. C’est le signe que relever de l’art n’exige plus d’être limité au public adulte.

    C’est tout à l’honneur du Festival de Cannes de remettre en avant le divertissement.

    T.S. : C’est toute l’histoire du cinéma qui, à la base, s’appuie sur l’idée de popularité. C’est la première couche du gâteau. On a monté ça en épingle de façon prétentieuse en disant que le "vrai" cinéma ne peut être vu que par des adultes. Souvenez-vous de la façon dont Truffaut sonnait déjà l’alerte en parlant d’Hitchcock comme d’un maître, des décennies avant notre naissance ! Donc c’est tout à l’honneur du Festival de Cannes de remettre en avant le divertissement.

    J.G. : Il est toujours question d’intention. C’est celui qui est à l’origine du projet qui en est le responsable. Si, à l’origine du projet, il y a une ambition commerciale, le public le perçoit. De la même façon si le film repose sur une volonté de créer. Peu importe la forme que prend le projet, finalement, c’est l’intention première qui compte.

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    Par la façon dont Bong Joon Ho vous fait travailler, on vous découvre un talent comique presque excentrique ! Comment s’opère cette magie, sur le tournage ?

    T.S. : Sa manière très anti conventionnelle de travailler ne pourrait coller à aucun autre metteur en scène. Il tourne avec un monteur près de lui, sur le tournage. Par exemple, si on tournait ici et que le premier plan était sur nous en train d’entrer, et le dernier sur nous en train de sortir, ces deux plans seraient déjà prêts. Il nous les montrerait en nous disant : "Voilà le début, voilà la fin". C’est comme un grand puzzle dont on connaîtrait le contour, mais pas le milieu. Cela nous donne toutes les limites de l’exercice et une formidable clarté sur ce qu’on attend de nous. Il faut joindre les deux plans et nous surpasser pour remplir ce vide. Et, le plus important, c’est d’amuser Bong Joon Ho. (Rires) C’est capital parce que son gloussement justifie beaucoup d’humiliations.

    J.G. : La plupart du temps, on joue toute la scène comme au théâtre, puisque c’est l’art noble de référence. Lui, parfois, il ne vous fait faire que la moitié d’un plan, alors que d’habitude, on nous demande de jouer toute la scène. Bong Joon Ho a déjà le découpage en tête : il sait qu’il ne se servira peut-être que d’un quart ou d’un huitième de votre scène. Alors il va à l’essentiel et vous demande de ne rejouer que de petites choses très spécifiques. Mais il vous demande aussi d’être à fond. Parfois, quand on a fini la scène et qu’on la visionne on découvre des choses inattendues sur soi-même !

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    Avant de travailler avec lui, vous vous sentiez capables de devenir aussi dingues ?

    T.S. : Vous n’avez peut-être pas vu tout notre travail ! (Rires) Je me souviens d’un tournage à Mexico qui avait lieu dans une rue. Soudain, des tas de gamins qui passaient par là se sont rués sur moi parce que le premier Narnia venait de sortir. J’étais surprise et je me demandais comment ils m’avaient reconnue et mon amie Sandra m’a dit : "Ce sont de futurs fans de Derek Jarman !" [Le réalisateur qui a découvert Tidla Swinton, ndlr].

    J.G. : C’est aussi à notre initiative qu’on devient dingues à ce point sur le tournage.

    Le pouvoir d’un clown public, c’est quelque chose qui me fascine et que je partage avec Bong Joon Ho.

    T.S. : Je repense à Snowpiercer, Le Transperceneige, puisque c’est là que tout a commencé pour moi avec Bong Joon Ho. Je me souviens de nos discussions sur le degré d’exubérance qu’on voulait donner à mon personnage de tyran. Je devais être un leader politique dont la folie transcende la réalité. On passait en revue Berlusconi, Hitler, Kadhafi, Thatcher… On ne s’avait pas encore à l’époque que nous attendait un dirigeant encore plus incroyable, encore plus maniéré et au moins aussi infect, pour être tout à fait franche. Mais c’était justement l’idée que nous développions à l’époque : d’une certaine façon, ces monstres tirent profit de leur aspect clownesque. Ça les sert beaucoup. Ils accomplissent beaucoup de choses sous couvert de ridicule. Ça fonctionne aussi très bien avec le personnage de Jake Gyllenhaal dans le film, Dr. Johnny Wilcox. Le pouvoir d’un clown public, c’est quelque chose qui me fascine et que je partage avec Bong Joon Ho.

    J.G. : Avec lui, on essaie plusieurs trucs jusqu’à ce qu’on trouve celui qui rend un peu mieux et sur lequel on peut commencer à travailler. Pour moi, il a longtemps cherché quelque chose à faire sur ma voix jusqu’à ce qu'on tombe d’accord.

    T.S. : Le plus important, quand on joue un personnage secondaire, c’est de trouver ce qu’on peut apporter au personnage principal. Donc pour le Dr. Wilcox et pour mon personnage de Lucy, il nous fallait représenter quelque chose d’abject pour Mija et Okja. C’est ça, la ligne directrice à emprunter. D’autre part, on a beaucoup évoqué l’univers de Hayao Miyazaki, et pas seulement Mon Voisin Totoro, très proche d’Okja, mais aussi du Voyage de Chihiro. Jake a très bien suivi cette idée : son Dr. Johnny Wilcox est vraiment un personnage sorti tout droit de chez Miyazaki.

    J.G. : Et comme le monde d’Okja n’est pas réaliste, ses personnages se doivent d’être hauts en couleurs. On a donc vraiment l'occasion de jouer de façon cartoonesque, parce que c’est le ton du film.

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    Le film pose la question de la cruauté animale de façon assez militante. Comme si l’être humain était forcément plus malveillant qu’un animal…

    T.S. : Ce film est en effet plein d’humains qui font des erreurs. Okja est le seul qui ne se trompe jamais. Même l’héroïne, Mija, doit faire des compromis. Tous les personnages du film sont confrontés à la possibilité de mentir et même l’association protectrice des animaux finit par le faire.

    Le rôle du cinéma, c'est de déranger comme de conforter.

    J.G. : Il y a cette duplicité, dans Okja, où même les personnages inspirés par des intentions louables participent à la violence contre laquelle ils militent. Et c’est une question pertinente et fascinante à la fois. Moi-même, je suis profondément contre la violence, mais je pense aussi qu’il faut savoir prendre parti. Les films sont précieux car ils essayent de comprendre les différents points de vue. C’est aussi pour ça que le Festival de Cannes est un endroit passionnant. Chaque réalisateur est confronté à des censeurs qui lui dit de quoi il peut parler ou pas. Mais c’est le rôle du cinéma de déranger, comme de conforter. Justement, Netflix autorise davantage de cinéastes à explorer des sujets encore en friche. C’est justement le cas sur ce film, parfois même de façon déroutante. Mon personnage de Dr. Wilcox est probablement le plus coupable de tous. Bien sûr, il est encouragé par Lucy Mirando, mais il fait quand même des choses qui sont contraires à ses convictions de vétérinaire. C’est répugnant ! Il s’agit tout simplement d’un être humain dévasté.

    T.S. : C’est aussi un film sur la passion, puisque chaque personnage est motivé par son obsession. La leçon à en tirer, c'est que suivre exclusivement la voie de sa passion mène droit dans le mur. Il faut savoir inclure la morale dans son discernement, ainsi que l’intégrité et la vérité. La passion seule vous perdra toujours.

    Découvrez la bande annonce d'Okja, disponible dès le 28 juin 2017 sur Netflix

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