Synopsis : Libéré après 20 ans de réclusion, le tueur d’enfants Guy Béranger trouve refuge auprès des moines de Vielsart, un petit village des Ardennes. Il est placé sous la protection d’une inspectrice de la police fédérale. Quelques jours après, une fillette disparaît.
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Comment est né le projet d'Ennemi Public, qui est une série belge produite pour la RTBF ?
Matthieu Frances : On a répondu à un appel à projets de séries venant de la RBTF. C'était à l'été 2013. 150 projets ont été déposés. On a d'abord été sélectionnés parmi les 10 derniers de la compétition puis on a terminé finalistes avec La Trêve (ndlr: diffusée avec succès il y a quelques mois sur France 2). C'était une première aussi bien pour le jury que pour nous. C'est clairement le pitch qui a retenu leur attention intialement. C'est d'avoir proposé de traiter LE sujet qui a traumatisé la Belgique depuis le milieu des années 90, l'affaire Dutroux, et d'en avoir fait une histoire qui nous est propre. Avoir l'assurance aussi que nous avions de quoi tenir sur 10 épisodes.
Pourquoi ne pas avoir choisi d'adapter très clairement et fidèlement l'affaire Dutroux justement ?
On ne peut pas faire ça. C'est encore trop présent dans notre mémoire, dans celle du pays, et le naturalisme n'est pas dans notre culture, dans celle de notre génération. On ne cherchait pas à coller à la réalité. Le plus important pour nous, c'était de raconter notre histoire. Mais les questions soulevées par la série sont des questions réélles. La distance de notre histoire permet au public de réfléchir à froid sur ces questions-là et nous orientons des réponses. Quand on pense à Michelle Martin, la femme de Marc Dutroux, et à la liberté conditionnelle dont elle a bénéficié, il y a une émotion qui gagne la population. Tout à coup, les gens ne résonnent plus. Notre volonté c'était de montrer l'être humain et réfléchir plus sainement à la situation.
Quels étaient vos références en matière de séries ?
Il y a eu deux références principales. True Detective d'abord, parce que c'était la série à la mode au moment de l'écriture et qu'elle nous a conforté dans l'idée que l'on pouvait faire du polar différemment, d'autant que ce n'est pas notre genre de prédilection à l'origine. Et puis Breaking Bad, pas tant dans ce que l'on raconte, mais dans les méthodes d'écriture de Vince Gilligan, le créateur de la série. On a lu pas mal de scripts qu'il a écrits seul pour s'en inspirer, notamment dans sa manière d'appréhender les personnages et d'écrire les dialogues.
Comment vous décririez ce personnage de Guy Béranger, le serial killer fascinant de la série ?
C'était un personnage difficile à écrire car on souhaitait impérativement étre réaliste médicalement, sur ce qu'est vraiment un psychopathe, c'est à dire quelqu'un qui ne peut pas comprendre l'émotion des autres, dont le seuil de tolérance à la douleur est très élévé, au point de chercher à vivre des expériences qui peuvent aller jusqu'au meurtre. Un psychopathe est capable, dans la pulsion, de voir l'humain qui est en face de lui comme un objet dont il peut se débarrasser. Pour écrire Guy Béranger, nous nous sommes renseignés auprès de psychiatres et de criminologues, et ce qu'il en est ressorti c'est que nous voulions le montrer comme une sorte de robot, incapable de second degré, qui va tout questionner car le sens des choses lui échappe.
Est-ce que vous aviez des références cinématographiques pour construire le personnage ?
Contrairement à ce que j'ai pu lire, notre référence ce n'était pas Hannibal, car il n'est pas médicalement réaliste. On a plutôt pensé à Anton Chirgurh de No Country for Old Men ou Amon Goeth dans La liste de Schindler, des psychopathes réalistes. On a lu les scripts de ces films pour voir comment dialoguer avec ces personnages.
La religion joue un rôle important dans la série. C'est un thème qui n'est jamais facile à aborder à la télévision. Quel angle avez-vous choisi ?
C'est amusant que vous posiez cette question car c'est justement ce qui a beaucoup questionné le jury de l'appel à projets. Ils savaient que l'on aurait un personnage de moine et que ça risquait de cliver le public. Mais ça ne nous a pas fait peur. On n'est pas bigot, on est même plutôt l'inverse mais notre curisoité est née quand on a découvert que Michelle Martin avait été acueillie chez les bonnes soeurs. On voulait savoir comment elles avaient vécu ça. Outre le plaisir d'écrire sur un univers tabou, c'était un véritable défi que l'on se lançait car les moines ont un autre rapport à la réalité que nous, ils sont guidés par Dieu. Les choix que Lucas, notre moine, fait sont toujours mystiques, bibliques, jamais logiques.
Est-ce que vous aviez vu Ainsi soient-ils, série française d'Arte qui traitait également de religion ?
On l'a vue après. Elle est très différente de la nôtre car il s'agit dans Ainsi Soient-Ils de séminaristes qui veulent devenir prêtres, et leur vision de la vie est totalement différente; la question de la foi ne se pose pas chez nos personnages, ils l'ont sans aucun doute. Il y a une radicalité chez les moines qui n'existe pas de manière aussi prononcée chez les prêtres. Et ce qui nous intéressait plus que tout c'est la vie monacale, en communauté, d'après des règles qui datent quand même du 5e siècle. Ils parlent peu, ils sont organisés différemment que dans la société. Du coup, c'est vrai que l'on n'était pas inquiets de la comparaison.
Après La Trêve et Ennemi Public, est-ce qu'on peut déjà dire qu'il y a un style Belge ?
C'est trop tôt. Mais Ennemi Public et La Trêve se ressemblent car on était copains de promo avec leurs auteurs, on a les mêmes références, la même envie de raconter des histoires à l'anglo-saxonne. La France n'est pas une une référence pour nous car on a été biberonné à autre chose. On en regarde des séries françaises, on capte les chaînes en Belgique, mais elles nous parlent moins. En fait, on n'ose pas vraiment aller dans le genre en France, on est plus naturaliste justement.
Le fait de ne pas avoir de financement français pour la production de la série ça vous a permis d'avoir plus de liberté ?
Je n'ai pas cette expérience de série française donc c'est difficile de vous répondre, mais on a eu une grande liberté en tout cas. Et puis, petit indice de réponse : les dirigeants de la RTBF sont français... On avait vraiment un petit budget mais le diffuseur a eu l'intelligence de ne pas exiger une mainmise absolue. Ils ont eu un sacré courage de faire confiance à des gens comme nous qui débutions.
Vous avez le rôle de showrunner sur la série. Est-ce que c'est la même chose qu'aux Etats-Unis ?
Ce n'est pas tout à fait pareil qu'aux Etats-Unis et pas du tout comme en France. Chez vous, si je ne trompe pas, il y a un directeur d'écriture, qui est Dieu le père et qui commande les auteurs. Aux US, le showrunner produit vraiment, il est d'ailleurs producteur délégué. Pour ma part, j'étais présent à tous les stades de décisions, j'étais l'ambassadeur des auteurs auprès de la chaîne, je les représentais politiquement dans les moments tendus, en étant moi-même co-auteur et co-réalisateur.
Une deuxième saison est-elle déjà en préparation ?
Elle est en cours d'écriture, on espére la tourner dès cet été. On aimerait en faire une troisième également et s'arrêter là.
Grâce à la diffusion en France, est-ce que le budget de la saison 2 a été revu à la hausse ? D'autres pays l'ont-ils achetée d'ailleurs ?
Le budget a été négocié à la hausse, mais timidement, raisonnablement. Et Ennemi Public a été achetée dans 10 pays à l'heure actuelle : notamment en Scandinavie, en Allemagne, en Espagne, en Pologne, en Australie aussi j'ai appris récemment, et elle sera prochainement diffusée en Angleterre.
Et du côté des séries françaises les plus prometteuses...
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