AlloCiné : Quel a été le point de départ de La Taularde ?
Audrey Estrougo, réalisatrice : Avec mon deuxième film, Toi, moi, les autres –ça remonte à un petit moment maintenant-, j’ai voulu profiter du côté plus populaire du film pour aller le présenter dans des endroits où le cinéma n’existe pas : il y avait des hôpitaux, ce que j’ai fait avec l’association Les Toiles enchantées, et des prisons. J’ai contacté une association qui s’occupe de ça. Donc j’ai présenté ce film en détention d’hommes et de femmes. J’ai commencé par les hommes. Avant de rentrer dans la prison, je pensais savoir ce que c’était : on est nourri de ça au cinéma. (…)
La veille de rentrer dans la maison d’arrêt des femmes, je me suis demandé face à qui j’allais me retrouver. Contrairement à la prison pour hommes, je n’avais aucune idée du profil des détenues que je pouvais rencontrer puisqu’on en parle jamais. Je suis sortie de là et je me suis dit : "mais en fait, je peux aller en taule!" Parce que ces femmes sont là essentiellement à cause ou pour des hommes. Elles ont soit aidé des hommes par amour, par exemple à planquer des armes, à faire du trafic de drogues… Soit parce qu’elles ont tué un homme qui les maltraitait. Ou elles sont là parce qu’elles veulent faire comme les hommes.
J’ai trouvé que cette omniprésence masculine, alors que physiquement il n’y a pas un homme -à part un prof de sport ou dans les hauteurs de l’administration-, était très intéressant cinématographiquement. Puis sont venus s’ajouter des questionnements plus généraux comme à quoi sert la prison ?
Ce que j’ai essayé de raconter au travers de l’évolution du personnage de Mathilde dans la prison, c’est que la détention aujourd’hui ne sert à rien. On prend des êtres, on les broie et on les relâche ensuite dans la nature… Il ne faut pas s’étonner après de toutes les déviances qui se passent après la détention. On ne sait pas quoi faire des personnes détenues quand elles sont incarcérées.
La détention aujourd’hui ne sert à rien. On prend des êtres, on les broie et on les relâche ensuite dans la nature…
Et d’une manière encore plus générale, je trouvais que comme la prison est finalement le lieu idéal pour observer la société –on retrouve entre quatre murs ce qui se passe à l’extérieur, et c’est vraiment très significatif, et très bien reconstitué-, je me suis questionnée sur la place des femmes dans la justice. Est-ce que ce sont des victimes ou des bourreaux au même titre que les hommes quand ils commettent des délits?
Cette question qui est irrésolue, qu’on retrouve un peu avec Jacqueline Sauvage aujourd’hui par exemple, se pose dans toutes les strates de la société quand on parle des femmes. On ne sait pas si une femme peut être une meilleure présidente qu’un homme. On ne sait pas si une femme est une sportive aussi valeureuse qu’un homme, sinon pourquoi ne sont-elles pas autant payées, etc., etc. Je trouvais que c’était finalement l’endroit idéal pour poser ma caméra pour traiter toutes ces questions.
Quel a été ensuite le travail de documentation ? Etes-vous retournée plusieurs fois en prison ?
Suite à cette projection dans une prison, j’ai monté un atelier d’écriture chez les hommes et chez les femmes en prison pendant un an et demi. J’y allais assez régulièrement, une semaine chez les hommes, une semaine chez les femmes pour pouvoir déjà garder en tête les différences. Ce ne sont pas les mêmes manières de vivre la détention. Pour être au cœur de la détention et de m’en nourrir pour écrire au plus proche de la réalité.
Sophie Marceau possède à la fois une grande force et une grande faiblesse. Cette contradiction était le vecteur parfait pour raconter Mathilde
D’avoir Sophie Marceau en tête d’affiche, est-ce que cela a été un chemin compliqué ?
Je n’ai pas du tout écrit en pensant à Sophie. Et l’histoire, c’est que j’ai vu Sophie sur un quai de gare et j’ai pensé : "oh là là !" D’abord, je ne l’ai pas reconnue. J’avais en tête Sophie Marceau dans James Bond quoi ! Je ne l’avais jamais vue en vrai avant ce moment.
J’ai tout de suite été saisie par ce qu’elle a, c’est-à-dire une grande force et une grande faiblesse. J’ai trouvé dans cette contradiction le vecteur parfait pour raconter Mathilde. Je ne me suis jamais posé la question de si ça allait être crédible ou pas. Pour moi, c’est une actrice comme une autre.
En France, on aime bien cataloguer les gens, les ranger dans des cases. Mais Meryl Streep, on ne se pose pas la question quand elle joue du rock ou quand elle chante ABBA ou quand elle fait Le Choix de Sophie ou Sur la route de Madison. Et puis, surtout, j’étais tellement convaincue que c’était elle que je suis allée au bout de mon idée.
Et pour entourer Sophie Marceau, vous avez trouvé des pépites…
Il fallait rendre cette prison crédible. On a tourné dans un endroit désaffecté, donc il a fallu peupler cette prison, avec une figuration choisie vraiment au détail près. Il fallait des détenues plus vraies que nature. Il y avait des anciennes détenues, des filles avec un certain parcours… Il y avait ce besoin de redonner vie à ce lieu et après de rendre toute cette prison crédible. Toutes les filles qui entourent Sophie Marceau devaient être très convaincantes.
Toutes les filles qui entourent Sophie Marceau devaient être très convaincantes.
Après, j’ai une manière de travailler qui est la même pour tous mes films : je prends mes comédiens pendant trois semaines en amont du tournage et je les fait travailler comme une troupe de théâtre, et on travaille l’improvisation dirigée sur l’amont de chaque personnage, avant qu’elles ne rentrent en prison. Tout le monde se mêle pendant la séance collective et on fait les alliances, les contre-alliances, les amitiés, les trahisons… Tout ce qui peut exister dans une prison. On a également travaillé l’amont du rapport mère-fils entre Sophie Marceau et Benjamin Siksou. En jouant l’amont, les comédiens apprivoisent leurs personnages, leur façon de se tenir, de marcher...
Un mot sur la suite de vos projets. Vous avez réalisé une série pour Arte, Héroïnes. Pouvez-vous m’en dire quelques mots ?
C’est une série très à l’anglaise, très sociale et très loufoque. Ca se passe dans une ville nouvelle en grande banlieue, à l’Américaine où tout est pareil. C’est l’histoire de quatre filles qui sont interprétées par Romane Bohringer, Naidra Ayadi, Marie Denarnaud et Marie-Sohna Condé. Deux ont été licenciées de leur usine de confection. Pour pouvoir "bouffer", elles montent un tournoi de catch féminin, et avec leurs confections, elles habillent les combattantes. Les mecs viennent parier et elles empochent le gain! Il y a des trames personnelles qui se jouent autour de ça. Et en parallèle, il y a la montée du Front national. C’est très à l’anglaise, c’est une "couillonnerie" sérieuse !
Comme tous les gens de ma génération, je regarde énormément de séries télé.
C’est la première fois que vous réalisez une série. Etait-ce une envie de votre part ou est-on venu vous proposr ce projet ?
Non, c’est mon projet, mon idée. Comme tous les gens de ma génération, je regarde énormément de séries télé. En France, les conditions de création sont compliquées. Ce n’est pas HBO ! Mais on a accès à une liberté de ton qui est de plus en plus difficile à trouver au cinéma. Ca devient très très compliqué au cinéma de sortir des cases pré-établies. Au cinéma, on me demanderait si je veux faire du social ou une comédie ! Là, j’ai fait une comédie sociale et on ne me pose pas la question. Même si c’est compliqué parce qu’on a peu de temps, c’est à nous de trouver des solutions pour que ça aboutisse et surtout essayer de passer un bon moment. Il devrait peut être y avoir une saison 2 de cette série et on l’espère tous.
La bande-annonce de La Taularde, disponible en DVD dès aujourd'hui :