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    Tu ne tueras point : la fin du purgatoire hollywoodien pour Mel Gibson ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    "Tu ne tueras point" sort en DVD / Blu-ray. Avec ce film, Mel Gibson effectuait un vrai retour en grâce dans un paysage hollywoodien où il était devenu depuis dix ans Persona Non Grata en raison de ses multiples dérapages. Récit d'un long purgatoire.

    Mark Rogers

    A l'occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de son film "Tu ne Tueras point", nous republions ci-dessous le portrait que nous avions consacré à Mel Gibson.

    6 novembre 2016, Beverly Hills. Mel Gibson est rayonnant et détendu sur le Red Carpet de la 20e soirée annuelle des Hollywood Film Awards, qui se déroule au mythique hôtel Beverly Hilton. Il a d'ailleurs de vraies raisons de l'être. Comme ses illustres prédécesseurs Oliver Stone, Martin Scorsese, Ron Howard ou John Schlesinger pour n'en citer qu'une poignée, Gibson doit se voir décerner un Hollywood Director Award. Alors même que son nouveau film, Tu ne tueras point est sorti sur les écrans américains deux jours plus tôt.

    Le film raconte l'histoire vraie de Desmond Doss - interprété par un Andrew Garfield très habité et potentiellement oscarisable - qui s'engage dans l'armée, déterminé à sauver des vies sur la ligne de front en tant qu'infirmier, mais qui refuse de porter une arme à feu, par conviction religieuse. "Cela met en lumière ce que cela signifie pour un homme de conviction et de foi de se retrouver dans une situation infernale... et, au milieu de ce cauchemar, cet homme est en mesure d'approfondir sa spiritualité et d'accomplir quelque chose de plus grand", expliquait Mel Gibson, lors d'une conférence de presse à Beverly Hills autour du film, le 22 octobre dernier.

    L'oeuvre bénéficie de critiques extrêmements positives, comme celle de David Rooney du Hollywood Reporter par exemple, qui qualifie le film de "puissant Come-Back combinant avec brio l'horreur et la grâce". Présenté à la Mostra de Venise, Tu ne tueras point fut accueilli par une Standing Ovation de dix minutes. De quoi réchauffer un peu plus le coeur meurtri de Gibson.

    C'est que l'intéressé revient de loin : il n'avait plus rien réalisé depuis Apocalypto, sorti il y a déjà dix ans. Celui qui fut jadis au faît de sa gloire avec la moisson d'Oscars réalisé par son Braveheart en 1995, puis le triomphe absolu -non sans polémique- de sa Passion du Christ et ses 612 millions de dollars de recettes au Box Office, est devenu Persona Non Grata à Hollywood en 2006. Lui qui a rapporté au Box Office hollywoodien au cours de sa carrière plus de 3,6 milliards de dollars de recettes.

    Le Prix qui vient d'être décerné à ce très grand réalisateur, porteur d'un cinéma à la puissance visuelle peu commune quoi qu'on puisse en dire, couplé au succès critique et, souhaitons-le, commercial, de son film, marque incontestablement la sortie du purgatoire dans lequel Mad Mel était plongé depuis de longues années.

    La descente aux enfers

    Le pire ennemi de Mel Gibson, c'est lui-même, ainsi que son très fort penchant pour la boisson. En 2006, il est ainsi arrêté pour excès de vitesse et ivresse par un policier, à Malibu. Agressif, Gibson fini par être menotté, tandis qu'il se met à déverser sur l'agent de police un torrent d'insultes antisémites, en déclarant notamment que "les juifs étaient responsables de toutes les guerres dans le monde", avant de tenir des propos menaçants envers le policier.

    En une poignée d'heures à peine, l'affaire s'ébruite, notamment par le biais du site People trash TMZ. Stupeur et tremblement à Hollywood. Déjà plus ou moins taxé d'antisémite depuis la Passion du Christ, voilà un nouveau dérapage de Mad Mel, qui devient définitivement incontrôlable. L'intéressé a beau se confondre en excuses dans les jours qui suivent, notamment dans le cadre d'une interview télévisée où il affirmait ne pas avoir été lui-même ce soir-là car sous l'emprise de la boisson, rien n'y fait. Le clou de la mise au ban est enfoncé par Ari Emanuel, fondateur de Endeavor Talent Agency, très puissante agence des stars hollywoodiennes, qui publie une lettre ouverte affirmant que "l'industrie hollywoodienne ne pouvait pas laisser Gibson s'en sortir aussi facilement avec de tels propos incendiaires". Ce dernier montre même l'exemple en virant de son catalogue d'artistes Mel Gibson, dont il représentait les intérêts en tant qu'agent artistique...

    Metropolitan FilmExport

    Peu de temps après l'incident de Malibu dont le soufflé ne retombe absolument pas, bien au contraire, Gibson prend un second coup de massue avec le divorce de son épouse Robyn. Les deux se séparent après 26 ans de mariage. L'acteur connait une traversée du désert de quatre ans, incapable d'obtenir des rôles de tête d'affiche. Il faudra attendre le Thriller Hors de contrôle en 2010 pour le retrouver. Tandis que le film est très tièdemment accueilli, la promotion du film vire en plus au chemin de croix pour l'acteur-réalisateur déchu : les journalistes ne manquent pas une occasion de revenir sur le comportement de Gibson.

    Un bon exemple est cette interview réalisée en Duplex (et avec le décalage horaire) pour une émission matinale américaine sur la chaîne WGN - TV. Le début de l'interview se passe plutôt bien avec le journaliste animateur Dean Richards, qui pose effectivement des questions sur le film. Avant que ce dernier n'embraie avec des questions sur le mode "Tout le monde se demande ce que vous avez fait ces sept dernières années ?" suivi d'un "vous pensez être une meilleure personne qu'il y a quelques années ?". Manière évidente de tenter de faire parler l'acteur de ses problèmes personnels. Gibson, bien que pincé, se prête malgré tout au jeu des réponses, en disant notamment que "le temps fait aussi son oeuvre et qu'il a appris de ses erreurs, car les gens changent". L'échange ci-dessous commence vers 03''48 :

    Dean Richards : Pensez-vous que le public vous percevra différemment après tout ce qui a été dit dans l'actualité vous concernant ?"

    Mel Gibson : A quoi faites-vous allusion exactement ?

    Dean Richards : Je pense notamment à vos problèmes d'alcool, à vos propos antisémites... Enfin, vous savez de quoi je parle non ?

    Mel Gibson : Ca fait presque quatre ans que tout ca s'est passé mec ! [...] J'ai fait mon Mea Culpa et... Enchaînons s'il-vous-plaît..."

    Le journaliste s'exécute, avant de remercier l'acteur pour avoir répondu aux questions. Ce dernier lui lâche alors un "Bye Bye...Connard !"

    En 2011, Sa prestation touchante dans le Complexe du castor, réalisé par son amie Jodie Foster, résonne aux yeux de la Critique comme un écho évident aux vicissitudes rencontrées dans la vie par Gibson. Walter, son personnage, touche en effet le fond, s'éloignant de sa famille et de ses proches. Dépressif, alcoolique, il utilise une marionnette de castor trouvée un soir par hasard pour extérioriser toutes les choses qu'il n'ose pas dire à sa famille et à ses collègues. Le film sera pourtant un énorme flop au BO mondial, avec à peine plus de 7 millions de $ de recettes.

    Toucher encore plus le fond, c'est possible

    Cette même année, le scandale le rattrape à nouveau. Il échappe en effet de peu à la prison en admettant avoir frappé son ex compagne, la russe Oksana Grigorieva, qui l'a par ailleurs piégé à son insu en diffusant des enregistrements audio d'une conversation téléphonique au cours de laquelle, ivre de rage et même ivre tout court, Gibson lui tient des propos racistes et menaçants. Il fut condamné à trois ans de mise à l'épreuve, alors même qu'il sortait déjà en 2009 de trois autres années de mises à l'épreuve avec obligation de suivre une cure de désintoxication pour sa conduite en état d'ivresse de 2006.

    Les projets de films que Gibson développe en prennent logiquement un coup. Son film sur les Vikings par exemple, dernièrement intitulé Berserker, et qui faisait sacrément envie, est mis en Stand By, notamment depuis le départ de Leonardo DiCaprio du projet, vraisemblablement parce que Gibson était devenu infréquentable. Quand on voit la prestation de DiCaprio dans The Revenant, on a envie de croiser très fort les doigts pour que ce projet se fasse malgré tout un jour...

    SND

    En 2012, c'est le clash entre le scénariste Joe Eszterhas et Gibson qui fait surface, et ne manque pas de donner de l'eau au moulin des détracteurs du cinéaste qui passe pour être un antisémite indéboulonnable. Gibson souhaitait porter à l’écran la vie de Judas Maccabée, héros juif du IIe siècle av. J.-C. qui mena la révolte de son peuple contre la dynastie hellénistique des Séleucides qui dominait alors la Judée. Une histoire que Gibson qualifiait "d'extraordinaire", et qu'il envisageait "comme une sorte de western". Le script écrit par Eszterhas est pourtant rejeté par Mel Gibson et par Warner Bros.

    Dépité, ce dernier a envoyé une très longue lettre -rendue publique par le site The Wrap- au réalisateur dans laquelle il l'accuse d'avoir annulé le projet parce qu'il "déteste les juifs". "Je suis arrivé à la conclusion que tu refuses de faire ce film pour la plus horrible des raisons", écrit le scénariste. "Je crois que tu as annoncé ce projet avec fracas dans l'espoir de faire taire les accusations d'antisémitisme qui ont plombé ta carrière", ajoute-t-il. "Mais tu n'as jamais eu et n'a aucune intention de réaliser ce film."

    Dans un communiqué publié sur le site Deadline, Gibson balaye ces accusations, expliquant que le projet a été abandonné à cause du scénario qui n'était pas suffisamment bon. "Je veux vraiment faire ce film : c'est juste que ni moi, ni Warner Bros ne voulons de ton script. [...] En 25 ans de carrière, je n'ai jamais vu un premier jet de scénario aussi peu à la hauteur".

    Après le purgatoire, la rédemption ?

    Depuis 2014 pourtant, des voix s'élèvent contre ce Hallali envers Mel Gibson, estimant qu'il était plus que temps de le sortir du purgatoire hollywoodien dans lequel il était enfermé depuis des années. L'une des voix qui s'élèvent en sa faveur est d'ailleurs Robert Downey Jr, qui parle en connaissance de cause, lui qui fut passablement plombé pendant des années avec ses problèmes de drogues avant de remonter la pente et d'entamer une brillante résurrection sous les auspices de Disney / Marvel. A Hollywood, la rédemption est parfois possible.

    HT / Bestimage

    Des éditorialistes, et non des moindres, prennent sa défense. C'est notamment le cas d'Allison Hope Weiner, qui écrit sur le site réputé Deadline Hollywood. Ancienne avocate devenue éditorialiste notamment au New York Times puis chez Entertainment Weekly, celle-ci a publié une passionnante (et très longue) tribune en mars 2014, intitulé "Plaidoyer d'une journaliste pour les 10 ans de La Passion du Christ : Hollywood, sortez enfin Mel Gibson de votre liste noire".

    Son point de vue est d'autant plus intéressant que, de confession juive, elle fut profondément blessée par les propos antisémites du cinéaste. Un homme qu'elle a pourtant appris à connaître, donc loin des "on dit" assassins qui courent sur Gibson, est qui est même devenu un vrai ami.

    Voici un petit extrait de son billet, l'intégralité étant consultable ici :

    "Ceux qui sont sceptiques sur ma démarche, je les comprends. Durant des années, j'ai détesté Gibson et je pensais même qu'il était un négationniste concernant l'Holocauste, homophobe, misogyne, un ivrogne raciste. J'ai écrit sur lui dans des articles du New York Times, d'Entertainment Weekly. Et à chaque fois que j'écrivais sur lui, je me prenais des appels énervés de la part de ses représentants qui me disaient que je ne connaissais rien de lui. [...]

    Puis quelque chose de totalement inattendu est arrivé. Ca a commencé en 2006 lorsque je l'ai interviewé pour une couverture d'Entertainment Weekly. Je voyais que c'était quelqu'un de brillant, exprimant une sincère empathie pour les gens qu'il avait pu blesser. J'ai dû admettre que j'étais impressionnée par cette personne qui ne se dérobait pas devant mes questions difficiles. Une autre fois, nous avons parlé du projet qu'il développait sur les vikings avec le scénariste de Braveheart, Randall Wallace. Après ça, nous avons parlé occasionnellement au téléphone et nous nous sommes revus pour le déjeuner au sein de sa société Icon Production, pour discuter de Kill the Gringo. Nos conversations portaient surtout sur le Business, mais partaient aussi sur les films ou livres que nous aimions, les voyages que nous avions fait. J'aimais comment son esprit fonctionnait. Comme les films qu'il réalise, les histoires qu'il raconte sont incroyablement visuelles". Jean-François Richet, qui l'a dirigé tout récemment sur Blood Father, ne dit d'ailleurs pas autre chose, lorsque Gibson lui a raconté pendant deux heures montre en main comment il voyait son film sur les vikings.

    Et la journaliste de poursuivre : "Il ne m'a jamais demandé quoi que ce soit comme service et a toujours été honnête, et j'ai interviewé suffisamment de stars de films pour savoir et reconnaître lorsque quelqu'un essaie de se jouer de moi. Gibson n'avait pas peur de ne pas être d'accord avec moi, et de me relancer dans la discussion. Nos conversations se sont élargies à la famille, à nos relations amicales, à la religion. Cela s'est développé en quelque chose que je peux qualifier d'amitié, ce qui n'arrive pas souvent entre un journaliste d'investigation et la personne qui fait l'objet de l'enquête. C'était d'autant plus étrange que c'est arrivé avec un homme dédaigné et méprisé par mes collègues, mes amis et ma famille qui sont, comme moi, des juifs plutôt pratiquants.

    Depuis, j'ai appris à très bien connaître Gibson. Je pensais que ca serait difficile pour quelqu'un comme lui d'avoir une amie travaillant dans un Media, mais il s'est révélé de manière surprenante être quelqu'un d'honnête et en qui on peut avoir confiance. En tant qu'avocate devenue journaliste, je n'ai aucun problème à poser des questions difficiles, même à mon entourage. Gibson n'a jamais esquivé ni botté en touche lorsque je l'ai confronté, que le sujet concerne son addiction à l'alcool, ses convictions politiques, son approche de la religion ou ses relations avec les femmes. Il est devenu dès lors clair pour moi que mes convictions de journaliste du début étaient totalement erronées. [...] Cela peut sembler naïf après avoir passé 20 ans à écrire sur les célébrités, mais mon amitié avec Gibson m'a fait reconsidérer d'autres célébrités dont l'image publique fut ternie par les Medias toujours prompt à juger et marginaliser les riches et les puissants".

    Tu ne jugeras point

    Lundi 24 octobre 2016, Beverly Hills. L'équipe du film Tu ne tueras point prend la pose devant les flash des photographes massés autour du Red Carpet du Samuel Goldwyn Theatre, où se tient l'avant-première du film. Tout le gratin hollywoodien est là pour assister à l'événement. En creux, c'est évidemment la résurrection officielle d'un cinéaste qui signe un film dont il n'est pourtant pas à l'initiative. "Je connais Mel depuis des années, et ses talents en tant que réalisateur sont indéniables" déclarait Sue Kroll, responsable monde du service Marketing & Distribution chez Warner Bros., dont les propos sont rapportés par The Hollywood Reporter; "c'est un raconteur d'histoires brillant, et a créé des films exceptionnels".

    Zuma Press / Bestimage

    Un autre lui emboîte le pas dans les compliments : David Permut. Homosexuel déclaré et de confession juive, il se trouve être un des producteurs du film. Si ce dernier avait de vraies réserves avant de travailler avec Mel Gibson sur ce film, il décida quand même de mieux connaître l'intéressé avant de fermer la porte à toute collaboration. Il a découvert un individu très éloigné de l'image désastreuse qu'Hollywood a brossé de lui. "Croyez-moi, j'ai eu pas mal de discussions avec des personnes qui ne comprenaient pas pourquoi je m'engageait à travailler avec Mel" explique David Permut au Hollywood Reporter; "mais il n'est pas la personne que certains ont décrit en surface. Demandez à n'importe quelle personne ayant travaillé sur ce film, que ce soit devant et derrière la caméra : tous ont une vraie admiration pour lui. L'équipe se coucherait même sur les rails du train pour lui. Ca été une extraordinaire expérience et une vraie leçon pour moi, parce que j'ai appris à connaître un homme que je ne connaissais finalement pas vraiment. Je pense que Mel a été totalement incompris par des gens qui ne le connaissent pas, mais personne ne peut lui ôter son talent. En fin de compte, le temps fera son oeuvre et apaisera les choses".

    A voir. Surtout lorsque dans un tout récent Podcast organisé par Variety, Mel Gibson confiait à nouveau avoir mis l'incident de 2006 derrière lui, mais qu'il était "agaçant" que ce soit en permanence rappelé. "Dix ans ont passé. Je me sens bien. Je suis sobre, tout ça c'est pour moi quelque chose de vague dans le passé." Espérer que le temps fasse son oeuvre donc. Pour enfin retrouver avec bonheur la patte d'un grand cinéaste.

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