AlloCiné : Quel a été le déclic pour faire ce projet ?
Marie-Castille Mention Schaar, réalisatrice : Ca n'a pas vraiment été un déclic. Je suis quelqu'un dans la vie d'assez intuitif dans la vie. Je suis des intuitions, souvent sans savoir pourquoi. Je ne me pose pas de questions, j'ai comme des choses qui me poussent. Et là, c'était ça, il y avait quelque chose en moi qui me poussait à gratter ce sujet.
Je sortais des Héritiers. Je travaillais sur un autre film, dont j'étais contente. J'avais écrit, j'étais en train de commencer à caster le film. Malgré ça, il y avait quelque chose qui était rentré en moi, qui me poussait à aller plus loin tout le temps. Jusqu'au moment où j'ai rencontré Dounia Bouzar, et que j'ai mis le doigt sur certaines choses qui pour l'instant restaient très mystérieuses ou inconnues de ma part. Là, je me suis dit, il faut que j'y aille à fond. On a écrit très vite, financé très vite, tout s'est fait très vite.
On apprend énormément de choses en voyant le film, notamment sur les personnes pouvant être touchées par l'embrigadement, comme l'illustrent les deux jeunes femmes du film (Noémie Merlant et Naomi Amerger). Une façon pour vous de montrer que cela peut toucher tout le monde...
Marie-Castille Mention-Schaar : Personne n'est à l'abri. Oui, c'est ce que j'ai découvert en travaillant sur le sujet, en me rendant compte qu'il y a plus de 40% des filles qui sont radicalisées, ou qui s'embrigadent qui sont converties, qui viennent de milieux socio-culturels moyens voire plus. J'ai rencontré des parents médecins, avocats, psychiatres, policiers... Beaucoup de profs. Issus de milieux et de fois très différentes, parents athés, catholiques. Ca concerne tout le monde. Il faut sortir justement de ces a priori qu'on peut avoir, du genre ça ne concerne que les quartiers. Non, non, ce n'est pas du tout ça. Ca aussi, je voulais le partager.
Naomi Amarger, comédienne (rôle de Mélanie) : Il y a des solutions, ce n’est pas une fatalité. Moi quand j’ai commencé le film, je pensais que c’était une fatalité, j’étais pleine d’a priori. Je me disais que les jeunes étaient forcément des musulmans, de banlieue, qui avaient des problèmes dans leur famille, en échec scolaire. J’avais ces préjugés. En faisant ce film, j’ai compris à quel point j’avais tort, à quel point la situation était complexe, et du coup je trouve ça super d’être là pour expliquer ce que j’ai compris, d’être là pour le partager avec d’autres personnes.
Noémie Merlant, comédienne (rôle de Sonia) : Ce qui nous a frappées, c’est que ça peut toucher tout le monde. On a rencontré des familles, de culture, de milieu social, de religion différents, et ça c’est important de le savoir aussi.
Comment vous êtes vous documentées pour ces rôles ?
Naomi Amarger : On a lu des livres de Dounia Bouzar, d’autres livres comme Dans la peau d’une djihadiste, L’islam expliqué aux parents et à leurs enfants de Tahar Ben Jelloun, parce que je ne connaissais rien sur la religion musulmane.
Noémie Merlant : On a fait un travail personnel à côté, de découverte de l’islam, par des livres, par des rencontres. J’ai rencontré un imam, on a parlé avec des musulmanes.
Naomi Amarger : Après, je pense qu’on a eu des démarches un peu différentes. Noémie, par exemple, son personnage commence dans le film en étant déjà embrigadé, et en se faisant désembrigader, donc il y avait toute une connaissance de l’embrigadement qu’elle devait déjà avoir. Alors que le personnage que je joue, Mélanie, commence son embrigadement, donc découvre tout ça avec une grande naïveté, une innocence. Par exemple, il y a des choses que je n’ai pas faites avant, comme regarder les vidéos de propagande, parce que je me disais que si je les regardais avant, dans le film, je n’arriverai pas à avoir cette réaction de découverte forcément très forte. Du coup, j’ai essayé de les regarder avec l’innocence de Mélanie, bien qu’évidemment, moi Naomi, je savais qu'il s'agissait de vidéos de propagande, j’avais une distance par rapport à ça.
Le Ciel Attendra - EXTRAIT "Complot"
Noémie Merlant : Mon personnage, étant donné qu’il est déjà embrigadé au début de l’histoire, il fallait que je fasse un travail sur la connaissance de l’embrigadement. J’ai regardé les vidéos, j’ai rencontré Dounia Bouzar, j’ai participé à un groupe de parole avec les parents. J’ai travaillé avec une jeune fille qui a été embrigadée et qui a été en processus de désembrigadement avec qui j’ai beaucoup parlé, beaucoup échangé pour essayer de comprendre. La manière de réagir à ce qui nous entoure quand on est embrigadé, les mots qu’on peut employer, et puis ce cheminement qui est assez compliqué, douloureux du désembrigadement. Par bribes, on revient à la réalité ; c’est un peu un passage à vide de néant, de schizophrénie… J’en ai parlé beaucoup pour essayer d’être le plus vrai possible.
Un point important à souligner est que ce film de fiction montre des choses qu'il aurait été impossible de capter sous la forme d'un documentaire...
Marie-Castille Mention-Schaar : Bien sûr. Autant on peut suivre une fille dans un travail de désembrigadement, pour peu qu'elle accepte qu'on la filme, ce qui est encore un autre problème, mais une jeune fille qui est dans la dissimulation, dans le processus d'embrigadement à l'insu de ses parents, ses amis, on ne peut pas la suivre avec une caméra pour faire un documentaire. La fiction est le seul moyen de raconter ça. Mais je ne pouvais pas faire un état des lieux de manière romancée, il fallait que ça soit extrêmement documenté, crédible, le plus juste possible, comme si c'était un documentaire.
Le film a été tourné dans un contexte très particulier, trois jours après les attentats de novembre 2015… Le sujet est délicat, mais comment avez-vous réagi face à ce contexte ? Est-ce que vous a donné encore plus envie de faire le film ? Ou est-ce le contraire ?
Clotilde Courau : Nous avons eu deux réactions différentes. [Sandrine Bonnaire], ça lui a donné une envie, une énergie, une volonté puissante. Et moi, peut être parce que j’ai tendance à trop me poser de questions, j’ai toujours peur. En me disant "mais comment je peux faire ce métier, faire du cinéma, incarner, interpréter face à ces gens. Il y a une indécence". (…) Et comme je travaille avec Abdennour Bidar, qui est un philosophe qui travaille sur la problématique de la laïcité dans nos sociétés en dehors du dogme religieux, la chance a fait que je l'ai vu. (…) Et ce sont les familles, la volonté que ces familles existent et qu’elles puissent interroger et permettre de comprendre qu’il ne faut pas faire d’amalgame islam-islamisme. Que ça peut arriver à n’importe qui. Qu’il y a des familles qui souffrent derrière tous ces événements. C’est une détresse immense pour nous tous. Et qu’il n’y a finalement que le lien, humain. Remettre l’humain au centre des sociétés. Le cinéma, ça sert aussi à ça.
Sandrine Bonnaire : C’est vrai que quand j’ai commencé le film, ça m’a donné une force. J’avais bien sûr peur. D’abord, je me suis questionnée : est-ce que je le fais, ce film ? Sujet casse-gueule, quoi. Il y a des sujets, il faut faire gaffe. Et en même temps, avec ce que m’a raconté Marie-Castille, et de voir à quel point, elle s’était documentée, et à quel point c’était nécessaire pour elle de faire ce film, je me suis dit : je peux y aller en toute confiance. Mais ça fait peur. Et du coup, les événements ont fait que oui, il faut, si on peut contribuer un tout petit peu pour comprendre justement. La force du film, c’est ça, c’est de comprendre le processus.
Le film est un pur constat. Il n’est pas dans le jugement, il est dans le constat d’un cheminement d’un discours de propagande. Il est dans le constat de dégâts que ça fait sur tout le monde, sur la souffrance des parents, sur ces gens qui partent et qui ne reviennent pas. Ou au contraire qui reviennent, ce qui est le cas de ma fille dans le film. Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui pour que les choses s’arrêtent ? (…) Ce n’est pas par hasard que tout ça arrive. On est dans une société qui va mal. Et pour ces jeunes filles, c’est être en quête d’idéal, de vie meilleure, et comme il y a de l’innocence parce qu’elles sont jeunes, ça bascule dans un piège, dans une "conscience capturée".
La bande-annonce du Ciel attendra, sur les écrans ce mercredi :
Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2016