"Je me souviens de ce débat autour de Titanic : qui peut bien aller voir un film dont on connait déjà la fin ?", déclarait au Hollywood Reporter le 24 août dernier Eric Newman, l’un des scénaristes de la série Narcos. Car avec cette saison 2, la plateforme de SVOD prend un risque en choisissant de jouer sa campagne marketing sur le spoiler ultime : #PabloMeurt. Ce n’est pas un scoop, c’est de l’Histoire.
Alors comment écrire un scénario dont on connait déjà la fin ? Comment attirer un public qui connaît le dénouement de l’histoire ? Pour avoir des éléments de réponse, nous sommes allés à la rencontre de Jean-François Richet, alors en pleine promotion de son nouveau film Blood Father. Ce réalisateur et dialoguiste connaît l’exercice puisqu’il a raconté et retranscrit sur grand écran l’histoire d’un criminel connu de tous : Jacques Mesrine.
AlloCiné : Quel est le processus de création quand on adapte une histoire vraie ? Quelle approche faut-il adopter ?
Jean-François Richet : Sur Mesrine, j’ai adapté le scénario d’Abdel Raouf Dafri. Il a écrit un scénario qui était exceptionnel et qui s’appelait à l’époque Le Prophète. C’est très rare d’avoir un scénario d’un tel niveau. J’ai dit à Thomas Langman que je souhaitais travailler le scénario avec lui. Je rencontre Abdel et je lui explique ma vision du film : je voulais qu’il commence sur la mort de Mesrine. Il avait la même idée. Et je vais vous dire pourquoi : on ne va pas créer un faux suspense. Le plus important n’est pas de savoir comment il meurt, mais POURQUOI il meurt. On ne voit pas la scène où le flic appuie sur la gâchette mais on sait qu’il va mourir. Cette scène passée, on va pouvoir vous raconter l’histoire de ce mec, pourquoi et comment cela va arriver. C’est le plus important. La dramaturgie n’est pas une surprise, c’est plutôt la tension entre les personnages, les antagonismes. Une fois qu’on a compris ça, qu’il meure ou pas, qu’on le sache ou pas, ce n’est pas important. Pour moi la dramaturgie parfaite, c’est Othello de Shakespeare. On sait qu’il tue Desdémone à la fin, mais la puissance, la tension et l’écriture te permettent d’être en immersion. D’ailleurs les enfants ont compris ce processus : on leur raconte toujours la même chose, ça finit à chaque fois pareil mais c’est la manière dont on raconte l’histoire qui les intéresse.
AC : Est-ce qu’un scénariste doit prendre parti ? Dans le travail d’écriture, on peut rendre le personnage sympathique ou antipathique par exemple.
JFR : Ca dépend de ta nature. On m’a proposé un premier scénario de Mesrine, j’ai tout jeté. C’était un super-héros, un robin des bois alors qu’il ne l’a jamais été. Ce qui m’intéresse, ce sont les aspérités. Il peut être sympa, avoir un code d’honneur mais il peut mettre un flingue dans la bouche de sa femme. La dramaturgie, c’est le conflit. Dans la vie, personne n’est tout blanc ou tout noir, on n'est plus dans le cinéma des années 50. J’aime traiter des personnages qui ont des zones de gris, je ne vais pas enlever les phases noires. Il faut trouver un juste milieu pour ne pas perdre le processus d’identification. Sur Mesrine, j’ai eu de la chance d’avoir un scénariste exceptionnel.
AC : Pablo Escobar et Mesrine ont connu le même destin funeste. On sait qu’ils vont mourir. Dès lors, comment retranscrire cette fameuse scène à l'écran ?
JFR : Le plus réaliste possible. Pour vous donner une anecdote : je commence le début du tournage et il y a cet homme – qui travaille pour l’Etat – qui vient me voir et me demande de lui expliquer la scène. Il me dit que ça ne s’est pas passé comme ça. Je lui dis que si et je lui réexplique comment le camion double la voiture de Mesrine, passe sur l’arrêt de bus etc. Cet homme part cinq minutes, va sur la place et réfléchit. Il revient et me dit que j’ai raison. J’ai découvert ensuite que c’était lui le conducteur du camion… Il y a bien sûr des interprétations mais mon but dans Mesrine a été de faire le plus proche possible de la réalité. Par exemple pour la scène de torture du journaliste d’extrême droite, on l’a tournée dans le vrai lieu, avec le vrai Charlie Bauer sur place. Il nous a expliqué ce qu’il s’était passé et m’a avoué avoir eu la chair de poule en voyant la scène. Pour la décrire rapidement : Mesrine arrive, tire sur le journaliste à 2 mètres et le rate ! Ça ne s’invente pas ! J’ai tourné la réalité, même si je n’étais pas présent. Si j’étais scénariste sur Narcos, je me serais approché le plus possible de la réalité, car elle est souvent plus extraordinaire que ce que tu peux inventer.
La traque reprend dans la saison 2 de Narcos :