Maître incontesté du cinéma iranien, Abbas Kiarostami a accompli une oeuvre d'une puissance exceptionnelle dans un pays où la censure aurait dû le museler. De ces contraintes, le cinéaste iranien a su faire le terreau d'une oeuvre rugueuse, renversante de poésie et toujours en prise avec la réalité de ses compatriotes. Homme d'images, Abbas Kiarostami était également un photographe de grand talent. Il s'est éteint à Paris ce lundi 4 juillet, selon l'agence iranienne Isna. Il avait 76 ans.
Pubs, courts et longs
Abbas Kiarostami quitte ses parents à 18 ans après avoir réussi le concours de la Faculté des Beaux-Arts de Téhéran. Il finance ses études en travaillant la nuit comme employé de la circulation routière, puis est engagé au début des années 60 par la société Tabli Film pour qui il réalise près de 150 spots publicitaires.
En 1969, il fonde le département cinéma de "l'Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes", et y réalise plusieurs courts-métrages dont Le Pain et la Rue, remarqué dans des Festivals en 1970. Il signe son premier long métrage Le Passager en 1974, et continue durant les années 70 et 80 à créer autour du thème de l'enfance avec Les Elèves du cours préparatoire (1984) et Ou est la maison de mon ami? (1987).
Rester en Iran
L'histoire de l'Iran, et par extension celle du cinéma de Kiarostami, sont bouleversées en 1979 avec la révolution iranienne. Contrairement à ses confères du 7e art, le cinéaste choisit de rester dans son pays, assumant alors les contraintes dictées par la nouvelle politique du pays. Cette décision fut l'une des plus importante de sa carrière : son cinéma n'aurait, selon lui, pas supporté le déracinement.
Devenu directeur du Kanun où il tourne ses films, Kiarostami revient aux courts métrages avec Rage de dents et Le Choeur. Mais 1987 marque un tournant pour le cinéaste. Avec Ou est la maison de mon ami?, Kiarostami attire l'attention des cinémas étrangers. Dans ce film il dépeint avec talent les croyances des campagnards iraniens et use du paysage iranien comme soutien poétique à sa narration.
C'est le premier opus de ce que les critiques nomment la "Trilogie de Koker", dont fait partie Et la vie continue (1992) et Au travers des oliviers (1994). Bien que ces trois films ne constituent en rien une suite narrative, cette trilogie est ainsi nommée en raison du village de Koker où se situent chaque histoire.
Reconnaissance internationale
Les années 90 sont marquées pour le réalisateur par une véritable reconnaissance de son travail dans les festivals internationaux. Devenu une figure emblématique de la culture iranienne, le cinéma de Kiarostami revêt également un intérêt diplomatique en montrant un visage nuancé de l'Iran. Marque de son succès à l'étranger : Close up (1991) relate les motivations d'un imposteur se faisant passer pour le réalisateur Mohsen Makhmalbaf. Ce film qui fleurte avec le documentaire sur la société iranienne fût applaudi, entre autres, par Quentin Tarantino, Martin Scorsese, Jean-Luc Godard et Nanni Moretti.
Kiarostami connaîtra la reconnaissance suprême en 1997 en recevant (ex æquo avec L'Anguille de Shohei Imamura) la Palme d'Or au Festival de Cannes pour son film sur le suicide : Le Goût de la cerise. Le long métrage, jusque-là interdit en Iran, fut autorisé la veille de la remise des prix, avec quelques variantes plus conforme à la politique islamique.
Cannes, Venise, San Francisco...
Avec Le Vent nous emportera, primé à la Mostra de Venise, Kiarostami aborde le thème de la dignité au travail, entre rural et urbain, entre femmes et hommes. En 2000, c‘est le Festival du Film de San Francisco qui remet au cinéaste un prix pour l'ensemble de sa carrière et son style poétique. Quelques années plus tard, il entraîne le spectateur au coeur du processus créatif de ses films avec 10 on ten, avant de participer au collectif de Chacun son cinéma, avec tous les autres palmés à l'occasion de l'anniversaire du Festival de Cannes de 2007.
C'est là qu'il propose à Juliette Binoche de tenir le premier rôle de sa future Copie conforme (2010). Egalement en 2010 sort en salles Shirin, contant l'histoire de 140 personnes assistant à l'adaptation théâtrale d'un poème iranien du 12e siècle. En 2012, Kiarostami dirige une production franco-japonaise avec le film Like Someone in Love, qui est par ailleurs présenté à Cannes cette même année. Deux ans plus tard, il préside le Jury de la Cinéfondation et des Courts Métrages du festival de Cannes 2014, montrant une fois de plus à quel point sa carrière est indissociable du célèbre festival, dont il avait également été juré en 1993 et Président de la Caméra d'Or en 2005.