A l'occasion de la sortie de Braqueurs mercredi dernier et du festival international du film policier de Beaune, AlloCiné a pu rencontrer les acteurs Guillaume Gouix et Sami Bouajila. Suite à notre interview de Kaaris qui joue un truand dans le film, les deux comédiens ont partagé leur travail sur le film de Julien Leclercq.
Gouix était le premier arrivé, et Bouajila nous rejoignit peu après :
Kaaris m’a dit que votre réalisateur Julien Leclercq avait tout prévu et n’avait rien laissé au hasard, vous l’avez ressenti vous aussi ?
Guillaume Gouix : Oui, c’était très précis et très renseigné, oui. Mais ce qui donne du charme à son film, c’est aussi qu’il a aussi laissé la place à la vie. Les personnages sont vivants, on sent les mecs touchés, même lorsqu’ils braquent. Ce n’est pas si facile d’appuyer sur la gâchette. Il arrive à donner corps aux personnages comme ça, en laissant place à un certain réalisme.
Vous avez tourné à Sevran, mais aussi à Paris, c’était un plus pour l’ambiance, d’être réellement dans ce monde-là ?
GG : Oui, et c’est assez rare de pouvoir filmer des scènes d’action de cette ampleur dans Paris. On retrouve ça dans le film (…), mais malheureusement, on n’est pas prêts de pouvoir en retourner.
(A cet instant, Sami Bouajila arrive, et l'interview se poursuit après les salutations d'usage).
Ces scènes de braquage, comment les avez-vous travaillées, comme des chorégraphies ?
Sami Bouajila : C’est de la mise en scène. Ça participe à la démarche qu’a eu Julien [Leclercq] de fédérer une énergie commune autour de son scénario. Déjà la partition était assez précise pour savoir le registre de chacun d’entre nous et [la façon de] s’intégrer dans le groupe. Et puis les valeurs ressortaient : la fidélité, par exemple.
Et Julien a démarré très tôt un travail "à la table" très poussé, où l’on prenait le temps –presque la journée- et très vite il nous a mis dans un espace qui était dirigé par un gars du GIGN. Il fallait qu’on ait une approche commune du maniement des armes et qu’on mette en place une chorégraphie. Ça a permis à Julien d’anticiper sur sa mise en place, et de créer une complicité entre nous et avec les techniciens pour retranscrire ce qu’on allait faire. Et il y avait un rythme qui était là.
GG : Oui, ça nous a permis d’aller droit au but sur le tournage.
SB : Direct ! Et on optimisait la journée car comme Julien était au combo, les retours étaient tout aussi directs. Il voyait tout et rectifiait de suite. TAC TAC TAC TAC, on rechargeait et pouf, on y retournait.
C’est ce qui permet au film de garder ce rythme sur un temps ramassé de 1h20…
GG : Voilà, il n’y a jamais de superflu dans le film. Il a tout épuré pour qu’il y ait un rythme non-stop. Mais autant dans la comédie que directement à l’émotion ou qu’à la scène d’action. Y a pas de coup de feu en trop, le petit effet de trop dans les scènes d’action, c’est toujours très bien dosé (…). Et ça donne un effet sec et brutal.
Un autre aspect important du film, c'est la famille. D'abord Yanis [joué par Bouajila], qui a le paradoxe de vouloir protéger sa famille, tout en faisant participer une partie d'elle à ses braquages. C'est ce paradoxe qui vous a intéressé ?
SB : Mais bien sûr, complètement. Comme l’idée du sacrifice ou des valeurs dont on a parlé. Et surtout : ce sont des énergies contradictoires. Il veut la protéger, mais c’est la brebis galeuse de la famille. Ça fait penser au personnage de Pacino dans Scarface, qui protège sa sœur à l’insu de sa mère. Mais ce qui est habile de la part de Julien, c’est que pour le personnage de Guillaume comme pour le mien, la famille est le talon d’Achille du personnage. Et c’est par là qu’ils vont se faire torpiller…
Et pour votre personnage, Eric, rien n'est plus important que sa femme et son fils...
GG : Il est en train de les redécouvrir. Le personnage sort de prison lorsque le film commence, donc il aimerait rêver d’une autre vie, mais ce n’est pas évident. Quand on a gouté à cette adrénaline-là, à cet argent-là et à ce mode de vie là, c’est très compliqué de redevenir normal. Jusqu’à ce que ça déborde et que cela aille trop loin dans le film, mais ce sont des gars qui se battent pour redevenir normaux, bizarrement.
Et vous pensez que cette réflexion vient du fait que ce sont des personnages matures, loin de la caricature du groupe de jeunes qui « veut se faire » un fourgon.
GG : il n’y a pas de frime, surtout. Il n’y a pas de fantasme cinématographique des voyous. Dans la réalité, les voyous ne s’affichent pas en Porsche en permanence, c’est trop visible. Il n’y a pas ça, et c’est ce qui est perturbant : ils font [les braquages] comme n’importe quel autre travail. J’imagine que ça existe dans le grand banditisme, et c’est perturbant.
SB : Je rejoins Guillaume à fond, mais pour moi c’est le point de vue de Julien Leclercq de poser sur ces personnages, sur ces rôles le regard que Guillaume vient de vous décrire. C’est sans artifice, et on peut vraiment s’identifier à [ces braqueurs].
D’ailleurs Julien Leclercq a dit qu’il s’était beaucoup documenté pour le film, c’est quelque chose que vous avez ressenti quand il vous parlait des personnages ?
GG : Ah oui, c’était très très documenté.
SB : Il a un univers très fort, et constructif car une idée, il la nourrit de ses fantasmes. Et moi, c’est ce qui m’aide. C’est ce qui a rendu clair son scénario et nos personnages. Ils ont une colonne vertébrale et…
GG : Oui, ils sont une ligne très claire.
Quel est votre film de braquage préféré ?
SB : Alors ça c’est la peau de banane assurée, parce qu’il y en a un qui va ressortir tout de suite, c’est Heat. Mais moi je préfèrerais dire que tous là : de Julien au dernier d’entre nous dans l’équipe, on a une filmographie commune, qui doit faire partie de la vôtre aussi. Tous ces films de braquage des années 80 -et Heat en fait partie même s’il est d’un peu plus tard, Un après-midi de chien, Le Solitaire avec James Caan, ce sont mes fantasmes.
GG : C’est vrai que c’est ce qui a nourri le film.
Kaaris m’a dit que vous l’aviez mis à l’aise pour son premier tournage de fiction. Comment cela s’est-il passé ?
SB : On a échangé avec lui de la même façon qu’il a échangé avec nous. Parce que quand nous étions à Sevran, on était protégé par le plateau et tout ça, lui tacitement par sa présence et l’aval qu’il nous donnait, on se libérait, on prenait de l’assurance. (…) On ne joue pas seul, seul on s’éteint. On ne joue qu’à travers le regard de l’autre. Et Kaaris je veux dire… Kaaris quoi ! L’humilité et la générosité qu’il avait… C’est comme avec Guillaume : au bout de 2-3 prises, il me disait : "tiens Sami, fais gaffe à ça, on pourra faire comme ça"…
GG : Il est en train de dire que je lui ai donné des conseils (rires) !
SB : On a vraiment fait comme ça, pourtant ! (…)
Et pour finir : Sami, vous avez joué Omar dans "Omar m’a tuer", quel conseil donneriez-vous à Guillaume, qui va jouer Alain Prost ?
SB : C’est intéressant, je pense qu’il va avoir le même réflexe que celui que j’ai eu. Pour ne pas me faire écraser par le mythe et mieux le réinventer et mieux le servir, je m’étais éloigné d’Omar lui-même. Il faut distancer la personne et la fantasmer. Avec ce qu’avait traversé cet Omar et le fait divers, je pouvais y glisser plein de choses. C’est le symbole qui m’importait.
GG : C’est bien ce qu’il dit. Comment en faire un héros de cinéma. Moi, je ne suis pas Laurent Gerra, je ne saurais pas faire l’imitation. J’ai d’autres films à venir, mais ça va me prendre beaucoup de temps, oui…
Découvrez "Braqueurs", actuellement dans les salles :
Propos recueillis à Beaune le 2 avril par Corentin Palanchini