Dans le drame Vendeur, aujourd'hui en salles, Gilbert Melki incarne Serge, l’un des meilleurs vendeurs de France. Il a tout sacrifié à sa carrière : sa santé, ses amis, ses femmes et son fils, Gérald, qu’il ne voit jamais. Lorsque ce dernier, joué par Pio Marmaï, vient lui demander du travail pour financer les travaux de son futur restaurant, Serge l'embauche comme vendeur à ses côtés.
AlloCiné a rencontré Gilbert Melki et Pio Marmaï pour parler de Vendeur, long métrage en forme de "western poétique" qui explore les relations père-fils et plonge le spectateur dans le milieu particulier de la vente.
AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Gilbert Melki : C'est surtout le portrait de ce vendeur, Serge, qui m'intéressait beaucoup. Le portrait de ce type, son parcours, ses addictions, sa solitude, ses malaises cardiaques, ses suffocations dues à son travail et à son fils qui revient sur le devant de la scène. Ce type qui est malade, qui fume deux paquets par jour et qui se drogue. Il est dans une espèce de tourbillon, il arrive en bout de course, il est crevé et son fils arrive... Il y a une tension, ça me plaisait beaucoup de jouer ça. Pour Vendeur, je tenais à me coucher tôt, à être en forme pour jouer un type qui ne l'est pas du tout. Je ne voulais pas travailler le personnage en vivant ce qu'il vivait dans la vie. Je voulais être en forme et aller creuser le type sur le plateau.
Pio Marmaï : Il y a le milieu de la vente, qui n'est pas qu'un décorum. Un univers très symptomatique, très symbolique de plein de choses, qui raconte beaucoup plus que simplement vendre des cuisines, qui est un truc de compétition. Mais au-delà de cet univers, ce qui m'a touché, c'est le rapport qui s'installe, ce qui existe à l'écran entre le mec que je joue et son père. Au fond, mon personnage fait de la vente pour que son père le regarde, pour s'approprier une partie de sa vie car il ne l'a jamais rencontré.
Le film montre la solitude que chaque personne très active peut ressentir...
Gilbert Melki : Le personnage de Serge a un côté un peu schizophrène. Il vend des cuisines avec ses collègues, c'est un très bon vendeur, il est très content, il exulte, il est éxubérant. Mais ce qui me plaisait le plus, c'était de travailler tout le côté sordide du personnage. La solitude, la suffocation, sa santé qui vacille. C'est comme nous tous, on peut avoir un boulot très prenant le jour, et le soir se retrouver seul. C'est Woody Allen qui disait que parfois, quand il faisait ses one-man-show à la fin des années 60, les gens l'applaudissaient et puis il rentrait seul dans sa chambre d'hôtel pour regarder la télé et manger un hamburger.
Pio Marmaï : Cette solitude, c'est ce qui donne de l'humanité aux gens. Les acteurs et les personnages sont beaux car ils ne sont pas parfaits, ils ne sont pas comme Superman. Le personnage de Serge a beau s'agiter, au final il prend de la drogue, il est tout seul dans un hôtel. Moi, à l'écran, quand je vois ça, ça m'interroge plus que si c'était un mec brillant et, au final, un peu lisse.
"Vendeur" évoque également avec subtilité la relation entre un père et son fils...
Gilbert Melki : A partir du moment où Gilbert va demander du travail à son père, je vais voir apparaître en lui une espèce de "moi" à son âge, un "moi" allant dans toutes les directions ou je suis allé et où il ne faut pas qu'il aille. A partir de ce moment, mon personnage va se mettre en quête de le sauver et peu importe comment il va le faire. Il veut sauver son fils, le mettre dans quelque chose où il puisse s'épanouir. C'est un peu le devoir d'un père, de temps en temps, de le dire.
Pio Marmaï : Une relation père-fils, c'est ce genre de choses qui donne le plus de matière à un film, ces choses qui peuvent être les plus complexes et en même temps les plus simples car elles touchent une dimension humaine, personnelle, intime, de la relation que j'ai ou que j'ai pu avoir avec mes parents. Et en même temps, elle peut être extrêmement étrange et malsaine. Ce qui m'intéresse surtout, c'est de créer de l'humanité, de voir des gens maladroits, imparfaits, qui tentent des choses et qui ne vont pas forcément y arriver... Il y a une épaisseur, un truc à créer, c'est pour ça que j'aime faire ce travail-là.
Avez-vous fait des recherches pour incarner ces vendeurs ?
Pio Marmaï : On a juste regardé des mecs sur le plateau, on a discuté avec des vendeurs. Mais je n'ai pas fait de recherches. Pas par fainéantise, mais parce que je voulais garder ce que vit Gérald dans le film, passer du mec mal dans sa peau et qui ne sait pas vendre a quelqu'un qui va progressivement prendre du plaisir. Je voulais garder cette fébrilité. Il ne fallait pas non plus tomber dans ce truc d'aisance, il fallait trouver quelque chose d'assez fin dans l'évolution. Quelque chose d'abord inexistant, puis faire éclore ce sentiment de plaisir de vendre, d'avoir la tchatche, de dire : "J'ai réussi à vendre un truc à 15 000 balles à quelqu'un qui, au fond, n'a pas besoin d'un truc à 15 000 balles." Moi, je suis fasciné qu'on m'ait vendu un robot-mixeur aussi facilement il y a cinq ans ! Quand je le revois aujourd'hui, jamais ouvert, je me dis : "Ce mec m'a bien eu mais sur l'instant, ça m'allait !"
Gilbert Melki : Moi non plus,je n'ai pas fait de travail de recherches. J'avais acheté un appart il y a quelques années ou je devais faire une cuisine, ça m'a servi, voilà c'est tout ! (rires) Tout était assez bien écrit et puis j'ai de l'expérience, j'ai l'âge du personnage, les recherches étaient dans ma tête.
Le film fait parfois un peu penser à un western...
Gilbert Melki : Il y a un côté solitaire du mec qui va tout le temps sur les routes, de ville en ville, vendre des cuisines...
Pio Marmaï : Oui, c'est vrai qu'il y a une dimension western, un western très poétique, avec un vrai univers musical. Le film a été tourné dans la banlieue industrielle de Tours, on a vu plus sexy ! Et pourtant, dans le film, il y a une dimension poétique à l'image, de l'ordre du western.
La bande-annonce de "Vendeur" :