AlloCiné : "La Passion d'Augustine" a été récompensée par 6 prix lors du Gala du CInéma Québécois après un beau succès public. Sentiez-vous pendant le tournage qu'il se passait quelque chose de spécial ?
Céline Bonnier : On a senti un moment donné que nous faisions quelque chose de très particulier, qui touchait probablement à quelque chose de plus large que la si petite histoire d'un petit couvent de bord de fleuve. Mais quand on est en train de travailler sur quelque chose, les impressions restent diffuses.
Que dire aux spectateurs qui pourraient avoir peur d'aller voir un film sur des "bonnes soeurs" ?
La Passion d'Augustine n'est pas un film sur la religion. Il touche plusieurs thèmes: la force du clan, le renoncement et donc la renaissance, la transmission... Mais pas la transmission, comme on l'entend souvent, de par son unidirection de l'aînée vers la jeune fille mais réellement une transmission de l'une à l'autre. C'est une fresque humaine touchante, toute en douceur, qui ne peut laisser indifférent, peu importe si nous avons connu cette époque ou ce pays dans lequel le drame se passe, et peu importe le sexe aussi. C'est un film très féminin dans la pudeur de son approche du sujet mais j'ai vu beaucoup d'hommes, de tous âges, pleurer en voyant le film. C'est aussi un film teinté d'humour aussi qui laisse une empreinte.
Dans "La Passion d'Augustine", vous êtes très différente de vos rôles précédents. Moins "expansive" et plus dans la retenue. Est-ce que cela a représenté un des principaux défis de ce rôle, d'autant que, comme dans "Unité 9", vous réfléchissez à des petits détails d'interprétation...
Effectivement, Augustine s'est jouée tout en retenue. C'est aussi ce que Léa Pool, la réalisatrice, avait envie de voir... Cette retenue laisse voir néanmoins une forte vibration pour sa passion et ce qui est intéressant. Sa passion est la musique finalement, une passion sans limites et sans frontières, qui touche le sacré et qui guérit de presque tout. On m'a souvent demandé d'interpréter des rôles plus explosifs et extravagants, où par exemple les dépendances à l'alcool ou à la drogue était un enjeu majeur, où le combat du personnage était plus "à vif". C'est aussi pour cela j'étais très surprise qu'on m'imagine d'emblée dans ce genre de personnage et c'est pour cela j'ai accepté d'emblée Augustine.
"J'étais surprise qu'on m'imagine dans le rôle d'Augustine."
Augustine est un personnage fascinant, dans le sens où elle doit "taire" la passion qui coule dans ses veines. Mais elle trahit cette passion par des sourires vite réprimés, un regard enflammé soudainement éteint... Cet interstice de jeu était-il un casse-tête amusant pour vous ? Le fait de vivre pleinement sans laisser exploser la passion...
Ce n'est pas un casse-tête, plutôt comme une enquête, une énigme à résoudre. Ce n'est pas morceau par morceau qu'il me semble avoir construit le personnage, mais plutôt dans le fil tendu vers sa résolution ou sa révolution c'est-à-dire le choix, le libre arbitre: sa révolution tranquille à elle.
Vous avez tourné la scène du dévoilement relativement tard. C'était une volonté de Léa Pool, qui souhaitait que vous viviez dans cet habit suffisamment longtemps pour que le fait de l'enlever soit significatif. Est-ce que cette stratégie a payé et est-ce que cette scène a bel et bien été chargée émotionnellement ?
Je ne savais pas que la scène avait été placée dans le planning de façon "stratégique". (Rires) Ce fut pour nous une scène très étrange car de l'ordre de la mise en scène théâtrale: très placée, le filet de lumière était mince donc la chorégraphie devait être très précise. Léa nous dirigeait, dictait le mouvement pendant que nous le faisoins, en laissant naturellement l'émotion monter selon l'inspiration de chacune des actrices. Pour Augustine, enlever cet habit est un espoir mêlé d'un geste d'évolution et de révolution, en même temps qu'un adieu à un berceau quelconque.
Vous avez l'habitude de dire que vous apprenez sur vous-même à travers les rôles que vous interprétez. Qu'avez-vous appris sur vous avec "La Passion d'Augustine" ?
Justement la force de la retenue, la confiance qu'on doit faire au silence, à la simplicité, à l'espace-cadre aussi du directeur photo (ndlr: Daniel Jobin), qui a été pour ce film d'une écoute très juste et a permis de magnifier de beaux moments.
Et à travers "Un Tramway nommé désir", que vous jouez sur scène ?
Blanche Dubois est un personnage très complexe, sa direction de pensée et d'état est toujours en changement, elle est en constante recherche d'équilibre et ce tangage finit par faire craqueler lentement le "plâtre" de la statue dans laquelle elle s'était édifiée elle-même pour pouvoir survivre en société. Sa folie n'est pas exprimée par un manque de contrôle ou l'expansion de sa dérive... mais par un contrôle névrosé qui tend son corps, jusqu'à le faire éclater en morceaux et le bruit des éclats qui tombent sont autant de cris étouffés.
Que pouvez-vous nous dire à propos d'"Embrasse-moi comme tu m'aimes" dont vous avez fini le tournage ?
Je ne l'ai pas encore vu, mais j'aime toujours les films d'André Forcier (ndlr : Je me souviens, Coteau Rouge...). C'est premièrement un scénariste exceptionnel, ses histoires comportent toujours des références exactes à l'Histoire du Québec, la petite ou la grande, et en même temps, ses personnages sont toujours un peu courbés vers une certaine poésie de dentelle de métal.
Propos recueillis par Thomas Destouches le 25 mars 2016
"La Passion d'Augustine" sort ce mercredi 30 mars en salles: