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    Un vrai faussaire : voleur ou génie ? [INTERVIEW]

    Dans "Un vrai faussaire", en salles cette semaine, le réalisateur Jean-Luc Leon retrace la vie et l'oeuvre (illégale) de Guy Ribes, faussaire de génie et auteur de plusieurs centaines (voire milliers) de toiles "à la manière de". Rencontre.

    AlloCiné : Votre documentaire trouve son inspiration… chez Orson Welles ?

    Jean-Luc Leon : Orson Welles a tourné en 1973 un documentaire fantastique : Vérités et Mensonges (F For Fake). Le film était découpé en trois parties, dont une consacrée au faussaire hongrois Elmyr de Hory, qui avait abusé le futur réalisateur de documentaires François Reichenbach quand il était marchand de tableaux : après la vente d’un faux tableau, Reichenbach le retrouve et le filme mais n’en fait rien… Orson Welles s’est alors servi de ces rushes et le résultat m’a vraiment impressionné. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire autour des faux, sur l’énorme différence qui peut exister entre la valeur esthétique et la valeur marchande. Je me suis rendu compte que la notion de chef d’œuvre n’avait plus aucun sens dans une époque où l’art est devenu une monnaie… puis une fausse monnaie.

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    Comment êtes-vous amené à croiser le chemin de Guy Ribes ?

    J’ai tourné beaucoup de documentaires, mais je gardais en tête cette idée de faux et de faussaire. Même si on me disait qu’un faussaire n’accepterait jamais de passer devant une caméra ! Et puis un jour, en 2010, ma femme Sylvie voit dans Le Parisien un article autour d’un faussaire condamné dans le cadre d’un trafic en bande organisée. Nous avons appelé l’avocat, qui a organisé le rendez-vous à la rentrée suivante. J’allais enfin connaître un faussaire ! Je ne savais pas quel genre de film cela allait donner, mais j’allais voir un faussaire. Guy Ribes est venu à notre bureau, puis nous nous sommes rencontrés une bonne cinquantaine de fois par la suite, à déjeuner, à dîner… J’ai pu voir quel genre "d’animal" c’est. Ma curiosité d’imbécile a été satisfaite.

    Guy Ribes était-il méfiant vis-à-vis de votre projet ?

    Pas du tout. Il avait été condamné, les gens savaient que c’était lui… Il était donc très ouvert et nous a demandé très vite quand nous souhaitions commencer. Sachant que dans sa tête, on sentait qu’il se demandait ce que ça allait pouvoir lui rapporter. Notamment en termes de notoriété, car pour devenir peintre sous son propre nom, il a besoin d’être connu. Mais il a aussi essayé d’obtenir de l’argent de notre part. (...) Guy Ribes rejoint tous les faussaires dont j’ai lu les biographies. Ils ont en commun d’avoir été dans l’ombre. Et plus ils ont abusé de gens, plus ils sont frustrés de ne pas être reconnus. Quand vous avez réussi à abuser de grands marchands ou de grands experts, c’est le pied –c’est ce que nous raconte Guy Ribes. Mais au bout d’un moment, les années passant, ça créé de la frustration : "je suis génial mais personne ne le dit" "il a gagné beaucoup avec mon faux et moi presque rien", etc…Alors qu’il a gagné pas mal d’argent, Guy Ribes. Il a vécu grand train, il a flambé joyeusement : les beaux vêtements, les voitures et les jeunes femmes, c’était son truc. Mais quand je l’ai connu à la sortie du procès, il vivait avec très peu. Il a bénéficié du RSA ou du RMI, il a pu travailler six mois durant sur le film Renoir où il faisait les mains de Michel Bouquet ce qui lui a permis de profiter d’un an d’Assédic. Donc durant un an et demi, j’ai été tranquille. Mais quand tout a pris fin, c’était soudain à moi de payer le loyer, sinon le documentaire s’arrêtait… Ce qui n'était pas envisageable. On ne s’est donc pas vus pendant un temps, avant de reprendre.

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    Votre film, au-delà du portrait de Guy Ribes, parle en filigrane de l’hypocrisie du monde de l’Art, et de la valeur qu’on accorde (ou pas) aux œuvres…

    Depuis l’Antiquité, il y a eu très peu de problèmes de faux : beaucoup de gens avaient des faux, que ce soient des bustes, des tableaux ou des idoles. Et quand un disciple parvenait à égaler le maître, on l’applaudissait. Le faux a pris un tournant légal et punissable au XXe siècle, uniquement pour des raisons d’argent : maintenant, on s’intéresse simplement au certificat d’authenticité. Que le tableau soit vrai ou faux d’ailleurs. L’important c’est de pouvoir le revendre, qu’il ait une valeur financière. Les gens achètent des marques : comme on achète des Nike, on achète des Dufy. Dans les banques, il y a même désormais un petit département "Achats d’art" pour placer son argent… C’est un peu triste. Heureusement, tous les collectionneurs ne sont pas comme ça.

    Votre film s’intitule "Un vrai faussaire". Pourquoi ajouter le mot "vrai" ? Il y a des faux faussaires ?

    C’est un vrai faussaire parce que Guy Ribes est VRAIMENT faussaire, de sa vie aussi : il n’est pas faussaire qu’en tableaux. Mais ce n’est pas un mythomane, contrairement à ce qu’on a pu croire au début : il y a toujours un petit quelque chose de vrai dans ce qu’il dit, qui est ensuite multiplié et enrobé dans un écrin inventé. Il a vraiment tendance à faire ça, et il finit par y croire parce qu’il le répète et le répète encore. Pour en revenir à votre question, y’a-t-il des faux faussaires ? Non. Mais il y a des mauvais faussaires ! (…) Dans l’escroquerie des faux tableaux de Ribes, il y a très peu de plaintes en réalité. Pour deux raisons. Si les victimes portent plainte, le tableau est saisi et détruit, donc ils perdent tout. Par ailleurs, certains les ont achetés avec des fonds dont ils seraient peut-être gênés de révéler la provenance ! Et puis il y a la vexation de s’être fait avoir, aussi. Et au final, Guy Ribes profite de ça : si quelqu’un se fait avoir, il n’a peut-être pas envie de le dire.

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    Toujours à propos de votre titre, est-ce que le mot "faussaire" est vraiment adapté à Guy Ribes ? Mine de rien, c’est un peintre assez génial, capable de produire une toile à la manière de nombreux grands artistes…

    Quand on regarde la définition dans le dictionnaire, un faussaire agit avec l’intention de tromper. Ce que fait Guy Ribes. S’il ne les signe pas Picasso, vous avez raison, c’est un génie. Mais à partir du moment où lui-même fait la signature, il tombe dans la catégorie du faussaire, car il trompe volontairement pour une question d’argent. Votre question est délicate… Est-ce que parce qu'on est doué on est absous ? Le policier qui nous parle de Guy Ribes a par exemple une grande sympathie pour lui. Car finalement il n’y a pas mort d’homme. C’était la même chose durant son procès : les procureurs et les avocats admiraient vraiment son œuvre ! "Il a escroqué des gens ? Oui mais il est tellement génial !" "Il a escroqué des gens ? Oui mais pas nous !" Avec Guy Ribes, on est constamment pris entre ces deux sentiments. (…) Il était très content de tromper et d’abuser. Il ne s’agissait pas juste d’imiter bien. Il vient d’un milieu de voleurs, il l'assume et c’est quelque chose de normal pour lui. Même de se voler entre amis. Donc ce n’est pas parce qu’il est doué que je dois l’excuser. C’est comme avec les attentats horribles de 2015 : le Premier ministre dit qu’il ne faut pas essayer de comprendre, parce qu’on risquerait d’excuser. Je ne suis pas d’accord : on peut très bien comprendre et dire en même temps que c’est inexcusable. Sinon il n’y a plus de notion de Bien ou de Mal. Guy Ribes fait quelque chose de terrible avec ses faux : il casse la confiance. Or notre société est basée sur la confiance : que ce soit dans l’alimentation, dans les transports ou dans l’art, donc. Les faussaires contribuent à saper la confiance. Pour ça, il est inexcusable. Mais… j’admire évidemment son talent !

    Un vrai faussaire - Sortie le 2 mars 2016

    Peintre de talent et voyou, Guy Ribes, 65 ans, est le plus prolifique des faussaires Français recensés à ce jour ayant inondé le marché de l’art pendant 30 ans. En 2005, la police a saisi plus d’une centaine de ses « faux » et en 2010 le Tribunal de Créteil l’a condamné à trois ans de prison, dont un an ferme. Guy Ribes n’a jamais rien copié. Ses Picasso, ses Matisse, ses Chagall, et autres Léger ont l’apparence trompeuse du « vrai » et égalent leurs inspirateurs. Mais combien de faux de sa main, authentifiés par des experts, vivent encore aux murs des collectionneurs, des galeries ou des musées ? Et dans les pages de catalogues raisonnés ? Guy Ribes nous livre les secrets de fabrication de ses «balourds » contant, avec une gouaille de marlou, une vie de flambe, de plaisir et d’arnaques. La dernière, celle qui l’a fait tomber, sort tout droit d’une série noire. On y croise une veuve bidon, de faux héritiers, un « pigeon » Suisse collectionneur et des marchands sans scrupules. Le policier qui l’a arrêté, le procureur, l’expert judiciaire et un collectionneur floué révèlent les autres facettes de ce personnage incroyable, qu’on pourrait croire sortir tout droit d'une fiction... Tout au long du film, le pinceau de Guy Ribes crée sous nos yeux une toile qui semble être de la main des maitres qui l’ont inspiré.

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