Le documentaire Au Royaume des Singes, nouvelle production Disneynature après notamment Chimpanzés, Il était une forêt et Grizzly, nous plonge au cœur d’anciennes ruines antiques perdues en pleine jungle d’Asie, afin de vivre le quotidien mouvementé des macaques à toques du Sri Lanka.
A l'occasion de la sortie du film ce 11 novembre, AlloCiné a rencontré la primatologue française Emmanuelle Grundmann et le réalisateur britannique Mark Linfield afin d'évoquer ces animaux si proches de nous.
AlloCiné : En quoi l'espèce du macaque à toque est-elle différente des autres espèces de singes ?
Emmanuelle Grundmann : Déjà, ce qui est intéressant, c'est qu'on ne trouve cette espèce qu'au Sri Lanka. C'est vraiment un macaque très précis : c'est le plus petit d'entre eux, évidemment menacé. Ce n'est malheureusement pas une exception, la plupart des primates le sont. Ce qui est vraiment intéressant avec les macaques en général, mais aussi avec les chimpanzés ou d'autres espèces, c'est qu'ils vivent en grands groupes, comme on le voit dans Au Royaume des Singes. Je cherchais une comparaison, et je trouve que c'est un peu comme la série Downton Abbey, mais au pays des macaques. On a une hiérarchie très stricte, les dominants, la royauté si on veut, avec ces femelles dominantes et le chef mâle, et puis tous les autres qui essaient de se faire leur petite place et d'accéder aussi à une part du gâteau.
Ce qui est intéressant, c'est justement de voir un peu les interactions des uns avec les autres. Ce n'est pas différent des autres singes, mais en les suivant, on s'apercevoit qu'ils ont tous un caractère différent, une personnalité. C'est intéressant, car jusqu'à il n'y a pas si longtemps, on était persuadés que finalement, un animal était un animal, qu'il avait un répertoire comportemental dont il ne sortait pas, que c'était juste une espèce d'entité figée, bien loin de ce que l'humain peut être, car on se différenciait évidemment des autres animaux, on se mettait bien en haut. Et là, on s'aperçoit que ce n'est pas du tout le cas : ils sont tous différents, capables d'inventer de nouvelles choses, de nouvelles façons de chercher de la nourriture, car ils en ont besoin. Ils sont inventifs, ont chacun leurs caractères, leurs différences. C'est intéressant de montrer ça, car il y a un siècle, c'est une idée qu'on ne voulait pas du tout admettre.
On a un peu l'impression de regarder les informations à la télé
AlloCiné : En regardant le film, on se rend compte une nouvelle fois combien les singes sont proches de l'homme... Le macaque à toque l'est-il un peu plus ?
Les chimpanzés, les orangs-outans, les bonobos sont plus proches, donc je dirais oui et non. Oui, car de manière générale, les macaques sont relativement proches des humains. Ils ont des personnalités, on peut calquer des personnes qu'on connaît sur chacun des personnages, on se voit tous quelque part. Evidemment, il y a une dose d'antropomorphisme dans un film comme celui là, mais la grande partie de ce qui est montré et des commentaires du film sont basés sur des faits, c'est appuyé par une équipe de spécialistes dont un chercheur qui travaille sur le sujet depuis 60 ans. Ce ne sont pas des élucubrations de la part des réalisateurs, on peut se voir, les singes ont ces personnalités. On a vraiment l'impression de se voir dans un miroir. Le fait qu'ils vivent en groupe, avec ces stratégies presque politiques, ces coups d'états, ces renversements d'alliances, on a un peu l'impression de regarder les informations à la télé, ça ressemble à ça quand même ! Ils nous renvoient une image de ce qu'on est nous aussi. On est du coup tout de suite en empathie avec eux, ça rend les choses d'autant plus intéressantes.
AlloCiné : On imagine qu'une telle expérience, au bout du monde, aux côtés de ces espèces, ne doit pas laisser indemne...
On apprend plein de choses. Déjà, la patience. Quand j'étudiais, il fallait être patient, observer avec des jumelles des choses pas faciles à voir. Mais quand, en plus, il faut prendre des photos ou filmer, c'est décuplé. Après, c'est une question de curiosité, il faut essayer d'avoir le regard ouvert sur un peu tout ce qui se passe. Au-delà des animaux qu'on observe, on gagne une ouverture d'esprit car on va dans des endroits avec des cultures complètement différentes, humainement parlant. Forcément, on apprend plein de choses. A rester, je pense, assez humble, ouvert et tolérant... Il faut se mettre à la place de l'autre, comprendre. Et puis ça permet de voir ce qui se passe dans la nature. Personnellement, je suis émerveillée. C'est pas simple, on attend beaucoup, il fait chaud, humide, il y a plein de parasites, de moustiques, tout ce qu'on veut, ce ne sont pas les endroits les plus charmants. Mais en même temps, ils foisonnent de vie. C'est juste incroyable d'observer tout ce qui se passe, de découvrir tout ça.
On apprend plein de choses. Déjà, la patience
AlloCiné : Quelle est la situation actuelle pour ces espèces ?
Il ne faut pas se voiler la face, nous sommes dans des zones tropicales, qui sont les plus touchées par la déforestation pour des raisons économiques évidentes, et c'est difficile de blâmer les pays qui ont besoin d'accéder à un certain niveau de vie, à une certaines sécurité alimentaire. Après, on peut parler des heures de la manière dont c'est fait... Toutes les espèces de singes sont menacées, les macaques sont en plus victimes de trafics, en particulier pour tout ce qui est expérimentations médicales et autres. Aujourd'hui, le constat n'est donc guère positif, d'autant qu'il y a le réchauffement climatique, etc... Mais d'un autre côté, pour préserver ces espèces, il y a énormément d'initiatives, qui émanent souvent des scientifiques qui les étudient. Des associations aussi, des initiatives individuelles... Et puis il y a aussi des réserves, des parcs nationaux. On peut donc dire que les choses bougent. Il y a un siècle, le constat n'était pas si doré que ce qu'on peut imaginer. Donc, c'est une balance : le constat n'est pas tout à fait positif, mais il y a des initiatives qui font qu'on peut quand même espérer que ça bouge.
AlloCiné : En quoi des films comme "Au Royaume des Singes" sont-ils importants ?
Ce sont de beaux films qui suscitent l'émerveillement. On parle des espèces et on allie ça avec une belle image. C'est bien qu'il y ait des constats déprimants et réels sur ce qui ne va pas, mais je pense que c'est bien aussi qu'on garde cette capacité à s'émerveiller avec ce genre de films. Une amie me disait : "On ne protège que ce qu'on connait et ce qu'on aime." Tout est dit dans cette phrase : si on perd cette capacité à s'émerveiller de la nature, on ne la protégera plus. Ce genre de film, avec ces magnifiques images, est là pour garder ce petit trésor d'émerveillement afin que ce soit protégé par la suite.
AlloCiné : Il y a quatre ans, vous réalisiez "Chimpanzés. Aujourd'hui, vous dévoilez "Au Royaume des Singes". Pourquoi cette fascination pour les singes ?
Mark Linfield : Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, le tout premier job que j'ai eu, c'était à l'université, un film sur les gorilles. Je me suis rendu dans la jungle, au Congo, et j'ai senti une connection. Je sentais qu'ils étaient des cousins. C'est très facile de s'identifier à des primates, en particulier avec les singes. Les chimpanzés sont géniaux, on peut vraiment se sentir proches d'eux, mais ils se ressemblent beaucoup. Les macaques à toque, eux, ont des personnalités et des visages si distincts... On peut aisément s'identifier à eux. Et puis beaucoup de thèmes de leur vie font écho aux thèmes de nos propres existences. L'adolescence, le fait de quitter le foyer familial, les réunions en cachette ! (rires) Il y a tant de parallèles avec les humains. Je trouve ça fascinant.
On peut aisément s'identifier à eux
AlloCiné : En quoi l'espèce des macaques à toques vous a-t-elle intéressée en particulier ?
Je suis allé à la rencontre des macaques à toques il y a 18 ans. J'avais rencontré le scientifique qui travaille sur cette espèce depuis 60 ans et j'avais passé du temps avec les animaux. J'avais été fasciné par leur structure sociale. Il y a cette hiérarchie, qui est un peu comme le système de caste indienne, c'est incroyable. Les animaux tout en bas de l'échelle sont les plus ingénieux, inventifs... Il y a 18 ans, je savais déjà qu'il y avait avec eux matière à faire un incroyable film, qu'on pouvait raconter une incroyable histoire à propos de ce système social. Il y a tant de parallèles avec les humains. Il y a de quoi faire un drame très crédible en suivant ces animaux.
AlloCiné : Quelle est la principale qualité à avoir lorsqu'on part faire un film de ce type ?
On doit être très patient. Nous avons passé deux ans et demi juste à filmer. Et puis il faut aimer le travail d'équipe : on filme ensemble quatorze heures par jour, on mange ensemble, on voit plus son équipe qu'on ne voit sa femme. C'est comme être marié, mais plus que ça... (rires) On a besoin de tolérance envers son équipe. Et puis on a aussi besoin de comprendre le comportement des animaux, afin d'être capable d'anticiper, de prévoir, de capter les bonnes choses. Travailler avec le scientifique nous a beaucoup aidé à ce niveau. Au final, cette aventure est un grand investissement émotionnel car ça prend trois ans de votre vie.
La bande-annonce d'"Au Royaume des Singes" :