Lorsque les talents du cinéma prennent la plume pour écrire, ça donne une prose parfois étonnante, lucide, cruelle, drôle, émouvante, dévoilant aussi quelques fois les coulisses de la création d'un film, l'humeur de l'intéressé(e)... Tous les 15 jours, en partenariat avec le site DesLettres.fr, nous vous proposerons une lettre sur la thématique du cinéma.
Le premier à ouvrir le bal des correspondances est Jean Renoir, à propos du scénario de son futur film Madame Bovary. C'était d'autant plus d'actualité qu'une nouvelle adaptation de l'oeuvre de Flaubert est sortie en salle cette semaine, portée par Mia Wasikowska.
Dans cette lettre qu’il adresse à Robert Hakim, ami et collaborateur, Jean Renoir exprime sa volonté d’adapter le roman à scandale Madame Bovary. Il y évoque sa volonté de faire ressortir la morale du livre différemment de Gustave Flaubert, le medium y étant différent. Il est facile d’imaginer que la réponse de son ami producteur fut positive puisque les aventures de l’indomptable Emma seront portées aux écrans en 1933. La recherche constante de théâtralité que Renoir recherchait ne remportera malheureusement pas un franc succès.
"Je vais indiquer et tenter d'expliquer les grandes lignes selon lesquelles nous pourrions établir un scénario de Madame Bovary..."
8 juin 1946
Cher Robert,
Conformément à la décision dont nous sommes convenus après notre entrevue avec Mr. Joseph Breen, je vous écris cette lettre dans laquelle je vais indiquer et tenter d’expliquer les grandes lignes selon lesquelles nous pourrions établir un scénario de Madame Bovary.
Le premier point que je souhaite souligner est la nécessité de suivre le livre de Flaubert avec une fidélité absolue ; pourtant, comme le sujet est très vaste — d’un champ beaucoup plus étendu que celui habituellement traité dans un film — je pense que nous pouvons, sans prendre de liberté avec l’histoire, faire ressortir avec force certains points et en laisser d’autres dans l’ombre.
Nous devons également tenter de tirer une morale des expériences émotionnelles de l’infortunée Emma. Flaubert y parvient fort bien par le biais du roman car il profite pleinement du commentaire et de la description. Un film étant limité au dialogue et à la photographie, il nous faut trouver un autre moyen pour mettre en évidence cette morale.
Pour commencer, j’insisterai sur l’éducation d’Emma et certains faits qui ont formé son caractère : l’erreur profonde commise par son père en l’envoyant dans un collège à la mode, où elle fut en contact avec des filles beaucoup plus riches qu’elle, coudoyant ainsi un monde qui était loin d’être le sien ; c’est là aussi qu’elle a appris à mépriser son père, un simple fermier normand. J’aimerais insister sur ses rêves, les livres qu’elle lit et aussi, peut-être, l’aspect superficiel de son sentiment religieux.
Avec l’aide de ces éléments, je pourrais peut-être commencer à élaborer un film sur une base solide — et on ne peut plus familière au public. Le refus d’affronter les faits et de voir la vie telle qu’elle est constitue une erreur courante chez les jeunes filles d’aujourd’hui. Et en Amérique en particulier, si tant de femmes passent d’un divorce à un autre et mènent pour finir une vie extrêmement malheureuse, c’est parce que,15 comme Emma Bovary, elles perdent leur temps à poursuivre un idéal impossible, d’autant plus impossible et inaccessible qu’il n’existe que dans leur imagination...
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