Pascal Mayer est le créateur de "Noddles (supervision)", qui a "supervisé" en sept ans la bande originale de plus de 70 longs métrages français, des Combattants à Guillaume et les garçons à table, en passant par Love ou Les Neiges du Kilimandjaro. Il revient pour nous sur sa collaboration avec le maestro Ennio Morricone sur En mai, fais ce qu'il te plait, réalisé par Christian Carion.
Comment avez-vous réussi à obtenir le grand Ennio Morricone pour travailler sur un film français, lui qui a si peu composé pour ce pays ces derniers temps ?
Effectivement, Ennio Morricone n’avait plus composé pour un film français depuis 1985 (La Cage aux folles III) !
Travailler avec Ennio Morricone c’était un rêve pour moi. Ma société ne s’appelle pas Noodles (supervision) pour rien. C’est un hommage direct à Ennio Morricone et plus particulièrement à La bande originale du film de Sergio Leone II était une fois en Amérique*… J’ai toujours eu dans un coin de ma tête l’envie folle de faire un film avec lui. Encore fallait il avoir un projet à sa mesure… Je l’ai contacté une première fois pour Marguerite et Julien le film de Valérie Donzelli en juillet 2014. Il a dans un premier temps accepté de faire ce film avant de finalement décliner car il avait déjà composé une musique pour un film dans les années 70 traitant de la même histoire (Addio Fratello Crudele, film de Giuseppe Patroni Griffi). Quelques semaines plus tard, en octobre 2014, Nord-Ouest Films me contacte pour le film de Christian Carion.
Lorsque la productrice Eve Machuel m'a raconté le film au téléphone, j’ai immédiatement pensé à Ennio Morricone et quand elle a ajouté que Christian et sa monteuse Laure Gardette avait utilisé des musiques d’Ennio Morricone à titre provisoire en attendant de démarrer le travail avec un compositeur. (...) Connaissant déjà Giovanni Morricone (Son fils) nous sommes allés assez vite et le 6 novembre, Christian et moi avons rencontré le maestro pour la première fois chez lui à Rome. C’est ce jour-là après avoir vu le film et discuté avec Christian qu’il a accepté de faire le film. Et il nous a proposé de nous jouer au piano l’idée de thème qu’il avait eu à la lecture du scénario.
Comment a-t-il procédé ? A-t-il voulu voir le film ou comme d’autres compositeurs de renom a-t-il composé en se basant sur le scénario ?
Quand nous l’avons rencontré, le film était déjà en montage. Ennio Morricone a donc vu une version de travail le 6 novembre. Et cette version contenait des musiques provisoires (dont certaines musiques de lui). D’ailleurs sa première réaction a été de dire : "le film est superbe, vous devriez acheter ces musiques !…" Christian lui a dit qu’il n’en était pas question, que son film aurait une musique originale quoiqu’il arrive, et ce même si lui ne souhaitait pas la composer… C’est à ce moment là qu’Ennio Morricone a dit : "Je la ferai"...
A partir de ce moment-là, j’ai organisé le travail avec lui. Les deux moments forts de cette préparation furent deux journées entières de travail, chez lui à Rome. Ennio Morricone et Christian Carion accompagné de son équipe de montage, de Fabio Venturi (Ingénieur du son de Morricone) et de moi-même, avons passé en revue toutes les scènes du film nécessitant de la musique. Ennio avait son chronomètre à la main pour noter tous les points d’entrée et de sortie, ainsi que les endroits à marquer…
A-t-il posé beaucoup de questions sur la trame et le sujet du film ? Demande-t-il à travailler en étroite collaboration avec le réalisateur ?
Bien sûr. Ces deux journées de travail très denses ont donné lieu à un échange très profond sur le film entre Ennio et Christian. C’est de ces 16 heures de travail et de discussion que la musique du film est née. Car Ennio Morricone ne fait pas de maquettes. Mis à part deux idées de thème jouées au piano par Ennio lui-même, Christian n’a pas pu faire d’essai avec la musique de Morricone avant l’enregistrement. Nous avons travaillé comme dans les années 60 ou 70. Il faut souligner le courage de Christian qui a accepté de travailler de cette manière et qui a fait une confiance totale à Ennio Morricone. Leur collaboration a été très étroite.
A l’issue de la deuxième journée de travail le 22 décembre, Ennio nous a dit : "maintenant je vais préparer mes partitions et composer la musique du film. Je vous donne rendez-vous le 12 janvier en studio pour l’enregistrement!"
D’où lui viennent ses idées ? A-t-il partagé le secret de sa "méthode" avec vous ?
J’avais lu dans plusieurs interviews du maestro que pour lui le travail était la chose la plus importante, bien plus que le talent disait-il. Eh bien je l’ai vu à l’œuvre… Ennio Morricone a composé, orchestré et dirigé seul toute la musique de ce film. Il a dirigé toutes les séances d’orchestre, il était avec nous au studio de 9h à 19h. Il était avec nous également durant toutes les séances d’édits ainsi que pour toutes les séances de mix avec Fabio Venturi. Le premier jour de l’enregistrement, je me souviens être arrivé 1h avant la première séance d’orchestre. Je l’ai vu arriver seul au volant de sa voiture. Je l’ai salué et il m’a dit "mais que fais-tu là, il est trop tôt, moi je vais tout préparer mais toi tu peux prendre ton temps !" En plus de son génie, il a une capacité de travail hors du commun, et tout cela à 86 ans passés !
Comment s’est déroulé l’enregistrement en studio ?
L’enregistrement fut un moment absolument magique. Tout d’abord parce que nous avons découvert pour la première fois toute la musique qu’il avait composée. Contrairement aux autres films où nous travaillons longtemps avec des maquettes, cette fois la découverte était totale et l’émotion monumentale. Ensuite, parce que le lieu est habité. Le Studio Forum a été créé en 1969 par Morricone, Trovajoli, Piccioni et Bacalov et il se trouve juste en dessous de l’église Sacro Cuore Di Maria sur la Piazza Euclide. Enfin parce que nous avons enregistré avec le Roma Sinfonietta, orchestre qui accompagne Morricone depuis des décennies. Tous les ingrédients de la magie étaient réunis…
Ennio Morricone accompagne-t-il le film jusqu’au montage ou livre-t-il une bande originale qu’il laisse soin au réalisateur d’articuler avec son film ?
Ennio laisse le dernier mot au réalisateur. Il sait que certaines musiques peuvent finalement ne pas être retenues au montage ou que certaines nécessitent d’être éditées. Christian a tenu à associer Ennio jusqu’au bout. Après l’enregistrement, Christian a encore fait évoluer le montage de son film. Et nous sommes donc revenus à Rome en février pour montrer à Ennio la version finale. Christian en a profité pour lui demander son avis sur certains choix encore en balance. D’ailleurs sur l’un d’entre eux c’est Maria Morricone, la femme d’Ennio qui a eu le dernier mot !
Quelles sont vos partitions préférées du maestro ?
C’est difficile, il y en a tellement… Il était une fois en Amérique a forcément une place à part. J’aime beaucoup La Cosa Buffa, Metti una sera a cena, Gli Intoccabili, Le foto Proibite de una signora per bene, Il Grande Silenzio, pour n’en citer que quelques-unes.
*Noodles est le surnom du personnage de Robert De Niro dans le film de Leone