Le documentaire La Glace et le ciel, qui s'intéresse au parcours hors du commun du scientifique Claude Lorius, homme du froid qui a passé sa vie à étudier les glaces de l’Antarctique et à traquer les secrets bien gardés du climat, sort ce mercredi en salles.
AlloCiné a rencontré Luc Jacquet pour évoquer ce nouvel ode à la nature après La Marche de l'empereur, Le Renard et l'enfant et Il était une forêt. D'abord à Paris, il y a un an, à l'occasion du lancement du projet plurimédia lancé par le cinéaste et son association Wild Touch, disponible ici en libre accès. Puis à Cannes, en mai dernier, lorsque La Glace et le Ciel a fait la clôture du Festival.
AlloCiné : "La Glace et le ciel" aborde la question du bouleversement climatique à travers l'histoire du scientifique Claude Lorius... Pouvez-vous nous le présenter ?
Luc Jacquet : C'est un scientifique français, récompensé par le Blue Planet Prize, l'équivalent du Nobel pour les sciences de l'environnement. C'est lui qui, le premier, dans les années 60, a un fort pressentiment à partir d'une anecdote amusante : alors qu'il fait un forage dans les glaces antarctiques, il récupère de la glace qui a environ 20 000 ans et le soir, lui et ses potes, un peu fatigués, en mettent un morceau dans un verre de whisky ! Ils s'aperçoivent alors que des bulles se dégagent de cette glace extrêmement concentrée. Ils se disent que ces bulles ont 20 000 ans et que s'ils sont capables de les analyser, alors ils pourront remonter 20 000 ans en arrière et peut-être analyser les climats du passé.
Il va falloir plus de 20 ans à Claude Lorius pour arriver à démontrer ça scientifiquement. Mais c'est lui, avec ses équipes, qui, le premier, démontre que l'homme a une influence directe sur son climat. Que dès 1850, avec le début de la Révolution industrielle, la courbe du CO2 dégagée par les activités humaines est parfaitement corrélée avec la hausse des températures. Et donc, il y a 30 ans, c'est lui qui a tiré la sonnette d'alarme, qui a dit qu'il était en train de se passer quelque chose, quelque chose qui à l'époque ne s'appellait pas encore le bouleversement climatique.
AlloCiné : On vous sent passionné par l'histoire de cet homme...
Il fallait s'intéresser à l'aventure de cet homme qui est allé récolter des données scientifiques là ou personnes n'allait, en Antarctique, dans des conditions absolument effroyables. J'ai toute sa vie en images, j'ai raconté sa vie et son cheminement à la fois humain et scientifique, mais je l'ai aussi emmené aujourd'hui, agé de 82 ans, dans les endroits ou il avait prédit le réchauffement climatique. Pour donner ce témoignage à la fois très humaniste et presque optimiste : il y a 30 ans, on avait prédit quelque chose, et bien, regardez : c'est avéré, c'est en train de se passer ! Mais, et c'est lui qui le dit, "l'homme, comme à chaque fois qu'il a été confronté à des situations critiques, va trouver en lui-même le ressort, l'innovation, l'intelligence pour passer au-delà." Je crois que ce message est positif, et aujourd'hui, on en a besoin...
Un making-of sur les décors de "La Glace et le Ciel" :
AlloCiné : En quoi consiste le projet pédagogique de "La Glace et le ciel" ?
On se réunit de la même manière qu'on l'avait fait sur Il était une forêt, mon précédent film. Avec mon ONG, Wild Touch, on se tourne beaucoup vers les scolaires et les générations à venir pour les sensibiliser à la conservation de la nature. En mettant les moyens du cinéma au service de la pédagogie, en faisant le pari que l'émotion et la communication vont donner l'envie aux professeurs de toucher les enfants sur les causes qu'on défend avec La Glace et le ciel.
On a aujourd'hui la capacité de donner aux enseignants un matériel qui sort du cadre : c'est de la science, de la poésie, des rencontres. On s'aperçoit qu'il y a une demande énorme sur ce matériel éducatif innovant. On a inversti énormément d'argent avec des partenaires comme la Fondation Bettencourt et celle du Prince Albert II pour faire des vidéos, des interviews, des fiches pédagogiques de très grande qualité. Dans la manière de faire, le soin qu'on apporte aux images, on est dans l'entertainement, mais on est aussi dans une pédagogie extrêmement développée, puisqu'on travaille avec les meilleurs scientifiques. Aujourd'hui, avec Wild Touch, on se situe à la médiation du cinéma, de la science et de l'enseignement.
On sent votre amour pour la nature et votre volonté de transmettre plus forts que jamais...
J'ai le sentiment d'avoir eu beaucoup de chance. Mon premier film a eu un Oscar, j'ai vécu une aventure extraordinaire. Mon deuxième film, Le Renard et l'enfant, a eu beaucoup de succès, et Il était une forêt a fait le tour du monde tout seul sans qu'on ait même à le pousser. Je pense que c'est une chance et je pense que la moindre des choses, quand on a de la chance, c'est de la retourner.
Je crois qu'aujourd'hui, on a besoin d'énergie positive. Le destin m'a mis en situation d'en donner, c'est quelque chose que j'essaie de faire. Je crois que c'est aussi en prenant à sa charge ce genre d'étendard qu'on va faire bouger les choses. Ce n'est pas en restant assis dans son fauteuil en caressant son Oscar qu'on va avancer. C'est vrai que c'est quelque chose qui me tient à coeur. Moi j'ai fait ma vie quelque part... J'ai des enfants, j'ai envie que ces enfants puissent voir des manchot empereurs, des forêts primaires, puissent évoluer dans un monde raisonnablement sain et durable. Ca m'importe vraiment et je crois que le cinéma est un outil extraordinaire pour ça. C'est presque du cinéma militant.
La bande-annonce de "La Glace et le Ciel" :