Depuis le 26 août, James Spader s'illustre sur TF1, dans la saison 2 de Blacklist. Et ce quelques mois après avoir donné de la voix pour menacer les Avengers en incarnant le robot Ultron, dans ce qui constitue à ce jour le plus gros succès de cet acteur charismatique et à la voix profonde. Son passage à Paris pour la promotion de la série était donc l'occasion de revenir avec lui sur les hauts faits de ladite carrière, marquée notamment par un Prix d'Interprétation à Cannes.
==> James Spader évoque "Blacklist"
AlloCiné : Il y a une fascination pour les anti-héros, des personnages tels que Red, dans les séries aujourd'hui. Comme expliquer cela ? Est-ce parce qu'ils correspondent plus au monde actuel ?
James Spader : Je pense que cette fascination ne date pas d'hier, qu'il s'agisse de films ou de télévision. Même dans les livres. Les anti-héros ont toujours été très attirants. S'il est bien dessiné, on ne sait jamais vraiment si le personnage est quelqu'un de bon ou capable de choses horribles, ou un méchant capable de très belles choses. Ça dépend des jours (rires)
Est-ce pour cette raison que vous jouez souvent des personnages ambigus ?
Oui, c'est ce qui m'intéresse (rires)
Mes enfants ne pourraient pas voir bon nombre de mes films
Cette année, vous avez également joué un vrai méchant dans "Avengers 2" alors que vous êtes très rare dans les blockbusters. Qu'est-ce qui vous a convaincu de participer à celui-ci ?
J'ai 3 fils, dont 2 qui sont très intéressés par les films fantastiques et les adaptations de comic books. Tout au long de ma carrière, je n'ai jamais choisi un projet en fonction de mes enfants, et ils ne pourraient d'ailleurs pas voir bon nombre des films que j'ai tournés (rires) J'ai donc trouvé qu'il serait amusant d'en faire un qui intéresserait mes enfants, surtout que je n'avais jamais fait quelque chose de la sorte auparavant. Ça me semblait amusant d'essayer et de voir comment ça se passait.
Et le succès du film peut ensuite vous aider à choisir ce que vous voulez.
Je ne sais pas. Je ne choisis jamais un projet en fonction de ce critère.
Avant ce film, et avant "Blacklist", vous êtes apparus dans "The Office", où vous arriviez de façon régulière après le départ de Steve Carell. Etait-ce stressant de passer après lui ?
Non car je ne lui succédais pas vraiment. J'étais plus un visiteur. Je pense qu'ils ont réalisé que ce serait une erreur que de faire venir quelqu'un pour prendre la place de Steve Carell, et c'est pourquoi, dans cette saison [la 8, ndlr], ils ont décidé de se focaliser sur plusieurs histoires sans vrai meneur ou de personnage central. Juste suivre plusieurs des membres du casting, dont moi-même. Mais je n'étais qu'un visiteur, pas le remplaçant de Steve Carell.
Vous êtes davantages connu pour des drames et thrillers que pour des comédies. Est-ce parce que les projets comiques que l'on vous a proposés n'étaient pas assez bons ?
Pas vraiment, surtout que j'ai toujours trouvé drôles beaucoup des drames sur lesquels j'ai travaillé, au cinéma comme à la télévision (rires) Et j'aime le mélange entre l'humour et le drame.
Vous avez également été régulier dans les séries "Boston Justice" et "The Practice" : en quoi ces expériences ont-elles changé votre jeu, votre façon de jouer ?
C'est un travail complètement différent. Vous explorez un personnage pendant une très longue période, et celui-ci peut se développer et évoluer de différentes façons. Et les plannings de tournages sont très différents également. L'approche d'une histoire ou d'une scène ne changent pas, mais le processus de production est différent. Mais j'aime faire les 2, film comme série. J'ai la chance de pouvoir faire du théâtre, du cinéma et de la télévision.
Il est devenu plus facile de gagner sa vie à la télévision qu'au cinéma
Avant les années 2000, les acteurs de cinéma qui se tournaient vers les séries étaient souvent considérés comme étant en fin de carrière. Est-ce un jugement auquel vous avez été confronté avant de franchir le pas ?
Non, et je ne suis pas vraiment d'accord avec cette idée. J'ai vu des gens commencer à la télévision avant de faire du cinéma, et inversement. C'est juste une carrière différente, pas une fin de carrière. Et je vois aujourd'hui beaucoup de gens faire des allers-retours entre petit et grand écran, car il y a beaucoup plus de possibilités pour raconter des histoires sur chacun des médias. L'industrie du cinéma a beaucoup changé, sur le plan économique notamment, et la télévision attire beaucoup de scénaristes, réalisateurs et acteurs, car il est devenu plus facile de gagner sa vie à la télévision qu'au cinéma.
Il y a une classe supérieure et une classe inférieure, mais pas de classe moyenne au cinéma de nos jours. Il y en avait une avant (rires) Aujourd'hui, il y a soit de très très petits films sur lesquels personne n'est payé, soit d'énormes films, ou beaucoup de gens ne sont souvent pas payés non plus (rires) A la télévision, les revenus sont plus sûrs (rires) Et vu le nombre de programmes sur petit écran, il y a une énorme quantité de matières.
Ce qui est drôle, c'est que les gens parlent beaucoup des acteurs qui passent du cinéma à la télévision, et vice versa, mais jamais des scénaristes ou des réalisateurs, alors que ça arrive aussi tout le temps de leur côté. Même Martin Scorsese travaille à la télévision [les séries Boardwalk Empire et Vinyl, ndlr], et je ne connais pas de cinéaste qui n'ait pas de projet de série. C'est devenu un seul et même business.
Juste avant de jouer dans "The Practice", vous étiez dans "La Secrétaire", et plusieurs de vos rôles marquants tournent autour du sexe. Est-ce une coïncidence ou est-ce parce que les rôles les plus intéressants que l'on vous a proposés étaient liés à ce sujet ?
C'est moins une coïncidence que ce qui m'intéresse et aiguise ma curiosité dans la vie. Je n'ai cependant pas eu peur d'être catalogué à un moment de ma carrière. Je n'ai d'ailleurs pas peur de grand chose (rires) En tout cas pas ça. Tout mes choix reposent sur des intérêts qui me sont propres, et j'aime jouer un méchant avant d'être un gentil, tout comme j'aime être dans un gros film puis dans un tout petit. J'aurais peut-être eu plus de succès tout au long de ma carrière si j'étais plus souvent resté sur un même registre, mais j'aime essayer différentes choses.
Est-ce parce que vous n'avez peur de rien que vous avez accepté des rôles aussi risqués que celui que vous teniez dans "Crash" ?
Je ne sais pas s'il y a vraiment un risque à jouer quelque chose de différent ou d'unique. Ou de controversé. Le risque, pour un acteur, c'est plus de jouer quelque chose qui soit ordinaire et inintéressant (rires) Mais pas un rôle controversé et provocateur.
En quoi la collaboration avec David Cronenberg a-t-elle été importante dans votre carrière ?
C'était un grand plaisir. C'est un réalisateur, un scénariste et un homme merveilleux, qui est d'ailleurs devenu l'un de mes bons amis.
Quel est le réalisateur avec lequel vous avez le plus appris ?
J'essaie de retirer un peu de chacune de mes collaborations, qu'il s'agisse de quelque chose d'énorme ou d'une chose plus petite mais qui n'est pas moins importante. J'ai appris avec la plupart des réalisateurs avec lesquels j'ai travaillé, car il n'y a pas que le réalisateur, il y a aussi l'expérience de travailler avec lui sur le film qu'il met en scène. Et lorsque vous cessez d'apprendre des choses en travaillant, je pense qu'il est temps de se retirer.
Lorsque vous cessez d'apprendre des choses, il est temps de se retirer
Quel souvenir gardez-vous de la présentation de "Crash" à Cannes, où tout semble toujours plus gros ?
Il y a eu beaucoup de débats, mais ce n'est pas à Cannes que Crash en a le plus lancé (rires) Il y en a eu dans le monde entier, et Cannes en a été le premier, car le film a été vu comme provocant et beaucoup divisé ses spectateurs. Une législation a même été présentée au Parlement de Londres pour empêcher que le film ne soit projeté dans le West End.
Ted Turner [vice-président de Time Warner à l'époque, ndlr] l'a réprimé aux Etats-Unis, des gens criaient et applaudissaient pendant que d'autres le huaient à Cannes. Et lorsqu'il a reçu un Prix Spécial du Jury au Festival, il a été précisé que 2 des membres s'étaient abstenus de voter. Crash a provoqué et divisé partout, mais c'était l'intention (rires)
Etiez-vous plus confiant de présenter ce film en sachant que vous aviez reçu un Prix d'Interprétation pour "Sexe, mensonges et vidéo" en 1989 ?
J'étais plus à l'aise sur place car je savais à quoi m'attendre, mais je ne savais pas de quelle façon Crash serait reçu. La première fois que je l'ai vu, c'était à Cannes, mais le Festival a toujours été très généreux et accueillant avec moi. J'ai toujours eu beaucoup de chance en France (rires)
Quel souvenir gardez-vous du moment où Wim Wenders a cité votre nom pour le Prix d'Interprétation en 1989 ?
Je n'étais pas là. Le film avait été projété au tout début du Festival, et la société de production [Miramax, ndlr] n'avait pas assez d'argent pour que nous restions. Nous sommes donc venus pour la projection et la promotion, puis nous sommes repartis, et j'ai reçu un appel à la fin de l'édition pour me dire que j'avais gagné le Prix.
Le timing a joué pour "Sexe, mensonges et vidéo"
Suite à sa Palme d'Or, "Sexe, mensonges et vidéo" a lancé une nouvelle vague de cinéma indépendant américain. Quel regard portez-vous sur cette période et la façon dont le cinéma a évolué depuis ?
Le film y a participé, mais il faut également prendre en compte les festivals et notamment ceux de Sundance et Cannes. Ils ont permis de prendre un film qui semblait petit en lui offrant la possibilité de devenir un gros succès, et sont devenus des avenues pour le cinéma indépendant. Sexe, mensonges et vidéo est d'abord passé par Sundance où il a remporté le Prix du Public. Il a ensuite été à Cannes et dans d'autres festivals.
Ça a ouvert une voie que d'autres films indépendants, d'autres petits films, peuvent emprunter, pour ainsi connaître un succès plus important que s'ils étaient seulement sortis dans les salles. Je pense que c'est surtout le timing qui a joué pour nous.
Quel film a eu le plus d'impact sur votre carrière : "Sexe, mensonges et vidéo" ou "Stargate" ?
Sexe, mensonges et vidéo. Mais je ne saurais expliquer pourquoi.
Au sujet de "Stargate", il se dit que vous avez déclaré avoir fait le film mais ne pas avoir aimé son scénario. Est-ce vrai ?
Non. Ce n'est qu'une petite partie de l'histoire. Mon agent m'avait envoyé le scénario, mais le réalisateur et le scénariste [Roland Emmerich et Dean Devlin, ndlr] avaient bien précisé que ce n'était qu'un premier jet, que ce n'était pas exactement ce qu'ils voulaient faire et qu'ils avaient peur que les gens le lisent, et m'encourageaient à venir en discuter avec eux si j'étais intéressé, car ils étaient en train de le réviser et de faire des réécritures.
Ce que j'ai lu était effectivement éloigné de ce qu'il est devenu au final, mais je suis allé les voir et ils m'ont expliqué dans quelle direction ils comptaient le mener, en plus de la façon dont ils allaient faire le film, ce à quoi il ressemblerait sur le plan visuel, et c'est devenu autre chose que ce qui m'avait été présenté.
Qu'est-ce qui a été le plus mémorable dans cette expérience ?
Le premier jour, lorsque je suis arrivé sur le plateau et que j'ai vu l'échelle du film. Nous tournions loin dans le désert, à des kilomètres des routes, si bien que nous devions circuler en buggy. Des kilomètres au coeur du désert. Il y avait cette grande ligne de dunes qui s'étendait à perte de vue, et nous sommes montés à son sommet le premier jour, pour découvrir qu'il y avait 2000 figurants, tous en costumes et maquillés, avec des énormes bêtes également déguisés. Nous devions mener cette procession de personnes.
Et au milieu des dunes, un village massif avait été construit, avec des bâtiments de 4-5 étages, des passerelles au milieu, et c'est là que j'ai vraiment réaliser l'échelle de Stargate. C'était avant l'ère des fonds verts.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 28 mai 2015
James Spader est actuellement dans la saison 2 de "Blacklist" sur TF1 :