Œuvre immortelle de l’aviateur et auteur Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince est connu comme étant l’ouvrage le plus vendu et le plus traduit au monde après la Bible. Depuis sa première publication en 1943, il n’a cessé d’influencer l’inconscient collectif (allant jusqu’à investir les billets de 50 francs français) et les esprits des plus grands artistes.
Ceux des réalisateurs n’ont pas fait exception, et pendant plus de 70 ans, de grands noms du cinéma se sont employés sans réel succès à adapter le conte de Saint-Exupéry. Si Le Petit Prince a finalement pu trouver son chemin vers le grand écran en 2015 dans une version surprenante et originale, c’est grâce aux efforts conjugués du réalisateur Mark Osborne (Kung Fu Panda) et des producteurs Dimitri Rassam et Aton Soumache.
"On a découvert à quel point l’œuvre était universelle, intemporelle. Au-delà de la France, il y a aussi un lectorat très important à peu près partout dans le monde, avec un rapport quasi charnel à l’œuvre et encore aujourd’hui. Donc on a évidemment vu qu’il y avait un potentiel incroyable. Ceci étant dit, on était décidés à ne faire le film que si on avait un réel projet, parce qu’on s’était rendu compte que c’était tout sauf simple d’adapter Le Petit Prince au cinéma," raconte Rassam.
Et en effet, l’histoire du cinéma lui donne raison. Lorsqu’on y regarde de plus près, le petit personnage de Saint-Exupéry et son gentil renard ne se sont pas laissé apprivoiser si facilement. Même par les plus grands…
Orson Welles, le premier prétendant
Nous sommes en 1943. Encore jeune premier, le futur monstre sacré du cinéma sort à peine de son mythique Citizen Kane lorsqu’il découvre le livre de Saint-Exupéry. Tombant immédiatement amoureux du conte, il est le premier à en obtenir les droits d’adaptation, et se met à travailler activement sur un scénario.
Son intention ? Réaliser un film mêlant prises de vues réelles et animation. Pour ce faire, il compte proposer une collaboration au maître incontesté de l’époque : Walt Disney, tout simplement. Mais au terme d’un déjeuner d’affaire, ce dernier met fin aux négociations. La légende veut même qu’il ait quitté la salle en affirmant "qu’il n’y avait de place dans cette pièce que pour un seul génie."
C’en est fini du projet "Petit Prince" d’Orson Welles, qui a quand même eu le temps de signer quatre versions du scénario. Des premières moutures que les producteurs Dimitri Rassam et Aton Soumache ont d’ailleurs réussi à se procurer :
"C’est la première chose que Mark nous a demandée. Il s’était dit que ça serait génial d’avoir un script d’Orson Welles réalisé par Mark Osborne (rires). C’est vrai que ça avait de la gueule, mais il se trouve que l’adaptation d’Orson Welles était très linéaire assez proche de l’audio-book de Gérard Philippe. Ça se prêtait peut-être à l’époque, mais pas forcément à ce qu’on pouvait attendre aujourd’hui. Par ailleurs, le fantasme que Mark a pu avoir sur ce qu’Orson Welles a écrit l’a nourri dans sa réflexion."
D’autres fans prestigieux
Orson Welles n’est pas le seul artiste à avoir admiré le petit personnage de Saint-Exupéry. Le non moins légendaire James Dean était également obsédé par Le Petit Prince, qui était son livre de chevet et qui est rapidement devenu l’un de ses surnoms. Il faut dire qu’entre son physique juvénile et sa disparition précoce, le jeune prodige d’Hollywood partageait quelques points communs avec le petit garçon, auquel il n’hésitait pas à emprunter l’une de ses phrases les plus célèbres de son vivant :
"On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux."
Dans le domaine de l’animation, le maître japonais Hayao Miyazaki ne cache pas non plus son émerveillement pour Le Petit Prince, n’hésitant pas à lui accorder la première place lorsqu’il publie le Top 20 de ses livres préférés. Le fondateur du studio Ghibli a d’ailleurs signé la préface d’un recueil de dessins d’Antoine de Saint-Exupéry, qualifiant son conte de "pierre brute que ni les modes, ni les turbulences de l’époque ne peuvent entamer."
En effet, difficile de ne pas remarquer le petit livre, posé en évidence au sommet d’une haute pile d’ouvrages, lorsqu’on visite le musée dédié aux films du studio Ghibli et aux inspirations de Miyazaki. Pourtant, malgré le fait que l’on retrouve la poésie du Petit Prince et le thème de l’aviation dans ses propres œuvres (Porco Rosso, Le Vent se lève), le senseï n’osera jamais s’attaquer à une adaptation directe du roman.
"Historiquement, il n’a jamais vraiment fait d’adaptations. Et puis il avait un rapport trop fort de respect et d’adoration avec l’œuvre pour pouvoir s’en emparer," explique le producteur Dimitri Rassam.
La première adaptation
Il faut attendre 1973 pour voir enfin Le Petit Prince débarquer dans les salles obscures. L’adaptation est signée Stanley Donen (Chantons sous la pluie, Charade) et met en scène Richard Kiley dans le rôle de l’aviateur ainsi que Gene Wilder dans celui du renard.
Cette version musicale, intégralement réalisée en prises de vues réelles et ponctuée de numéros chantés et dansés, n’est pas bien reçue et, finalement, assez vite oubliée.
Un nouveau projet
Plusieurs années après le fiasco de Stanley Donen, tout le monde parait avoir abandonné l’idée de voir un jour une adaptation rendre justice à l’œuvre de Saint-Exupéry. Et même si une série animée voit le jour à la télévision française, elle s’éloigne sensiblement de l’histoire originale. Le constat semble sans appel : impossible de réaliser un Petit Prince digne de ce nom !
Une opinion que ne partagent pas Dimitri Rassam et Aton Soumache. Les deux producteurs, qui se sont rencontrés il y a une dizaine d’année, font le pari fou de relancer la machine et de tout mettre en œuvre pour rendre au Petit Prince ses lettres de noblesse sur grand écran, motivés par l’ambition de Jake Eberts, producteur légendaire de Danse avec les loups et de Gandhi qui s’était lui aussi penché sur le projet.
Mais la route est longue, et la destination incertaine. Aussi faudra-t-il aux deux hommes 5 années d’efforts pour atteindre leur objectif.
Première étape : trouver le bon réalisateur…
"Il y a de grands talents qui nous ont dit des choses assez justes. C’est que l’œuvre est inadaptable en soi si on ne trouve pas une manière unique de la transposer. Parce qu’en fin de compte, le livre est une expérience personnelle entre vous et vous. A l’opposé, un script de cinéma est un produit qu’on donne à tout le monde et qu’on partage. Il fallait donc trouver cette idée incroyable. Et beaucoup de metteurs en scène de grand talent ont tout simplement jeté l’éponge en disant qu’ils ne voyaient pas comment ils pouvaient l’adapter," nous confie Aton Soumache.
La méthode Osborne
"Le vrai déclic a été notre rencontre avec Mark (Osborne), qui portait un projet qui était autant une adaptation qu’un hommage. La grande force de ce projet était qu’il nous semblait fonctionner pour les amoureux du livre et aussi pour ceux qui ne le connaissent pas ou qui en ont un souvenir distant. Et ça a été ça le vrai déclencheur il y a 5 ans," poursuit Dimitri Rassam.
Il faut dire que Mark Osborne, réalisateur du détonnant Kung Fu Panda pour les studios Dreamworks, a un rapport particulier à l’œuvre de Saint-Exupéry. Offert à l’université par sa future femme alors qu’ils commençaient à se fréquenter, Le Petit Prince a soudé leur relation, tout en réactivant la créativité enfantine du cinéaste en herbe.
De cette passion arrosée d’imagination a fini par germer un projet : celui-là même que Mark Osborne présente aux deux producteurs, et dont ils tombent immédiatement amoureux.
Le concept : mélanger deux techniques d’animation - le CGI et la stop-motion - pour élaborer un projet inédit, une histoire dans l’histoire qui parlera à tous les publics sans trahir l’œuvre originale une seule seconde…
"C’était une façon d’être d’un côté très proche de l’œuvre de St-Exupéry et de l’autre côté, d’avoir un film autonome. Et notre grande fierté est le fait que les enfants qui n’ont pas encore lu le livre prennent beaucoup de plaisir à voir le film. Dans les territoires où l’œuvre est moins répandue, c’est pareil. Et puis pour nous, c’était évidemment un impératif de satisfaire le public qui a grandi avec Le Petit Prince d’une façon ou d’une autre pour qu’il retrouve cette madeleine de Proust," explique Dimitri Rassam.
Adapte-moi un "Petit Prince"...