Pour sa 5ème édition, un événement désormais bien installé dans le décor la Croisette selon son fondateur Franck Finance-Madureira, la Queer Palm a choisi la réalisatrice et actrice Desiree Akhavan (elle est apparue récemment dans la saison 4 de Girls) comme présidente. Elle chapeaute un Jury pour la première fois 100% féminin dans lequel figurent la journaliste Ava Cahen, la productrice Nadia Turincev, la critique Elli Mastorou et l'actrice Laëtitia Eïdo. Quel film succèdera à Pride, couronné l'année dernière ? Telle est la question à laquelle devra répondre la présidente Akhavan...
AlloCiné : Alors qu'est-ce que ça fait d'être la présidente du jury de la Queer Palm cette année ?
Desiree Akhavan : C'est ridicule, absurde et surréaliste ! (Rires) Je n'étais encore jamais allée à Cannes. Je n'en avais même pas rêvé. Le festival était une sorte de fantasme bien au-dessus de mes propres fantasmes. Le fait que je sois là et en plus à la tête d'un jury est absurde. Je suis consciente de ma chance.
Pourquoi croyez-vous qu'ils vous ont choisi justement ?
Les stars étaient toutes déjà occupées ! (Rires) C'est vrai ! Mais je suis heureuse que ces acteurs beaucoup plus connus que moi soient justement indisponibles. Je vais pouvoir ainsi en profiter et pas eux. Mais il est vrai aussi que c'était important pour les organisateurs d'avoir un metteur en scène à la tête de ce jury.
Et c'est la première fois que le jury est intégralement féminin...
C'est important. Aussi parce que le cinéma queer est généralement plutôt dominé par les hommes. Les gays ont un monopole sur cette industrie cinématographique. Les films lesbiens sont généralement plus difficiles à monter et les distributeurs en sont conscients. Avoir un jury intégralement féminin pour cette Queer Palm, c'est excitant. Ceci étant dit, je suis sûrement la plus gay de tout ce jury ! (Rires)
En tant que présidente, comment voyez-vous vos réunions de travail avec les autres membres du jury ?
Je pense que ce sera décontracté. Tout ce que je connais des festivals ou des soirées queer, c'est que nous ne nous prenons jamais trop au sérieux. Cela sera donc à cette image.
La culture queer ne se prend jamais trop au sérieux. Le jury sera à cette image.
Ressentez-vous une responsabilité particulière à diriger la récompense qu'est la Queer Palm ?
Non ! C'est stupide les récompenses ! Personnellement je m'en fiche mais je suis heureuse que les gens s'intéressent aux films queer, surtout dans un festival comme celui-ci, qui permet un vrai coup de projecteur. Mais au fond, qu'est-ce que cela signifie une récompense ?
En tant que jury queer, par quel biais allez-vous juger les films présentés ?
C'est justement une discussion que je veux avoir avec le jury. Est-ce l'auteur ? Le scénario ? Les messages ? Ce sont des facteurs que l'on doit prendre, ou pas, en compte. Mais je suis aussi curieuse de voir Amy (Ndlr : le documentaire sur la chanteuse Amy Winehouse). Ce n'est pas à proprement un film queer mais Amy est bien une icône de cette communauté. Donc c'est vraiment une question à laquelle nous devrons répondre en équipe. Si un réalisateur est gay, toute son oeuvre est-elle à voir sous cet angle ? Ainsi, Mommy serait-il un film queer ?
Le considérez-vous comme tel ?
Je ne sais pas. Pour beaucoup, ce qui sort des sentiers battus peut être apparenté à du queer. Mommy est clairement hors des sentiers battus. Son concept de film mère-fille est relativement classique mais les thèmes de la famille et de la sexualité sont traités de manière peu conventionnelle. Et ainsi il se rapproche du queer. Là réside justement la vraie question.
Que pensez-vous justement des films précédemment couronnés à la Queer Palm ? Y en a-t-il un que vous préférez ?
Je ne pense pas les avoir tous vus mais L'Inconnu du Lac probablement (ndlr : le film d'Alain Guiraudie a été sacré en 2013). Il représente aussi tout ce que la question queer englobe et ne ressemble à rien de ce qu'on a pu voir auparavant. Et c'est très précisément le cinéma auquel je suis sensible. Sans forcément tomber dans l'avant garde ou le délire, si je m'aperçois qu'un film traite quelque chose que j'ai déjà vu auparavant, je décroche. Je ne suis plus investie de la même manière. Et c'est aussi ce que j'aime plus généralement à propos du Festival de Cannes. La sélection prend des risques, regarde ailleurs.
Si je m'aperçois qu'un film traite quelque chose que j'ai déjà vu auparavant, je décroche.
Vous êtes apparue dans l'excellente saison 4 de "Girls"...
Elle était vraiment bien en effet, et je le dis d'autant plus facilement que je ne suis pas responsable de son écriture ! (Rires) Et même si je n'y fais qu'une petite apparition, j'étais très excitée. Lorsque j'ai regardé cette saison dans sa totalité, j'étais très heureuse des choix retenus, et pas seulement ceux liés à la révélation de l'homosexualité du père d'Hannah.
La série évolue grandement, elle occupe pleinement son format et en même temps le ravage. Par exemple lors de chaque saison un épisode fait une parenthèse dans sa narration et se permet de ne se concentrer que sur un des personnages principaux. Ce que fait Lena Dunham sort de l'ordinaire, et c'est très inspirant pour moi.
La révélation sur le père d'Hannah est amenée de manière à la fois abrupte et totalement naturelle, sans que cela devienne cliché. C'est un vrai coup de force scénaristique...
Durant les saisons précédentes, les scénaristes ont préparé le terrain, même si on ne voit pas forcément venir cette révélation. C'est aussi ce que j'ai aimé dans Girls. Contrairement à tellement de films ou de séries où les scénaristes se doivent de laisser des indices évidents, cette série fait confiance aux téléspectateurs. Et cette volonté est très stimulante personnellement.
Girls fait confiance aux téléspectateurs
Pour vous, "Girls" est donc une série queer...
Techniquement, avec le personnage queer, on pourrait simplement répondre oui. Personnellement, je m'intéresse davantage au fait qu'il y ait une voix queer au coeur du projet et que cette voix soit vraiment infusée dans le projet. Looking est, de manière plus évidente, un queer show. Comme Transparent ou Orange is the New Black. Des séries comme Gossip Girl ou Sex & the City relèvent plus du faux cliché, de l'idée qu'on se fait d'un personnage gay.
Le succès d'une série comme "Transparent" justement peut changer quelque chose, dans la production ou la perception ?
Je l'espère de tout coeur. J'y réfléchis souvent, notamment parce que j'assiste à des réunions où on me dit régulièrement "Il y a déjà Transparent sur cette thématique." Il est dommage de ne pas faire quelque chose parce que telle ou telle chose existe déjà. Personne n'a envie de copier Transparent. Mais je ressens cette hésitation à produire des projets queer. Et j'en ai proposé bien avant, à Los Angeles ou ailleurs. Il y a encore une résistance. Mais dans 5 ans nous verrons une vraie différence. Actuellement j'ai davantage l'impression qu'une chaîne en peut se permettre qu'une seule série "gay". Netflix avec Orange, Amazon avec Transparent, HBO avec Looking...
Avez-vous un projet en tant que réalisatrice actuellement ?
Mon producteur et moi-même développons l'adaptation d'un roman en ce moment. Et nous écrivons également un pilote de série que l'on pourrait produire en Angleterre. J'ai d'ailleurs déménagé là-bas. Pour l'instant, son titre provisoire est "Switch Hitter", c'est une comédie amoureuse bisexuelle. Mais personne n'aime ce titre ! (Rires) Nous verrons bien...
Propos recueillis par Brigitte Baronnet et Thomas Destouches à Cannes le 13 mai 2015
On peut apercevoir Desiree Akhavan sur ces images de la saison 4 de Girls: