Doté d'un casting cinq étoiles, My Old Lady raconte comment Mathias (Kevin Kline), la cinquantaine, new-yorkais, divorcé et sans ressources, débarque à Paris pour vendre la maison qu'il a héritée de son père. Il découvre alors que ce magnifique hôtel particulier du Marais est habité par une vieille dame de 92 ans, Mathilde (Maggie Smith), et sa fille, Chloé (Kristin Scott Thomas). Les trois personnages vont se rendre compte que le passé n'est pas toujours bon à remuer...
AlloCiné a pu discuter avec le réalisateur de My Old Lady : le dramaturge et scénariste américain Israël Horovitz. Un parcours étonnant pour ce jeune cinéaste franocphile de... 76 ans. Nous l'avons trouvé en pleine forme, curieux, intéressé et passionnant. Rencontre.
Adapter sa propre pièce au cinéma, c’est quelque chose de relativement rare…
Parce que c’est difficile. Si j’adaptais votre pièce, ça le serait moins. Quand c’est la vôtre et qu’elle a été un succès, vous vous dites : "je ne peux pas couper ce monologue, car le public l’a aimé, a ri, a pleuré". C’est ce que je n’aime pas dans l’adaptation de pièce pour le cinéma, souvent le résultat n’est ni du théâtre ni du cinéma.(…)
Kevin Kline a été le premier à rejoindre le projet, et à ce moment, j’écrivais le troisième jet. J’écrivais, encore et encore. C’était de plus en plus long, mais pas meilleur. Et en discutant avec lui, c’est petit à petit devenu un film avec de nouveaux personnages. Il y a eu dix versions au scénario, je ne m’en sortais pas. Donc j’ai pris une feuille de papier, et j’y ai couché l’histoire [de façon synthétique] : un homme entre dans un appartement. Il y a une vieille dame... Puis j’ai écrit un scénario à partir de cette histoire, sans me référer à la pièce. Une fois que j’ai eu ça, j’ai contacté Maggie [Smith], et nous avons commencé.
Je peux parler de votre âge ?
Bien sûr.
Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser un premier film à 76 ans ?
Quand j’ai fêté mes 74 ans, j'ai pensé : "mon Dieu mais mon grand-père était mort à cet âge-là !" J’avais produit plus de 70 pièces, et quand je me lançais dans la suivante, c’était excitant, mais pas terrifiant. Et je voulais faire quelque chose qui me faisait peur, qui me réveille. Je ne voulais pas devenir un vieil homme.
Il y a des années j’ai écrit un film : Des fraises et du sang (1970), qui a eu le prix du jury à Cannes. Immédiatement on m’a proposé de réaliser. J’avais reçu une offre de MGM, j’ai commencé à travailler, mais j’ai vite réalisé que cela me prendrait deux ans pour tout faire. Et je me suis dit : "si je fais ça, ce sont deux pièces que je n’écrirais pas". Donc je suis parti. Ça n’a jamais été un regret, mais j’ai gardé cela dans un coin de ma tête.
Lorsqu’on a affaire à une histoire de famille comme celle de « My Old Lady », le public s’attend à des twists. Mais dans votre film, nous sommes à la fois surpris par l’histoire et les rebondissements. Vouliez-vous porter un autre regard sur les histoires familiales ?
Le cliché à propos de la France, c’est : tout le monde a une liaison, et c’est génial. Et je crois que dans mon film dit : "ce n’est pas génial pour les enfants". Mathias et Chloé sont des enfants dont les parents espèrent qu’ils ne se parleront jamais. L’homme et la femme qui ont une liaison ne veulent pas que leurs enfants se rencontrent et en parlent.
Les personnes qui ont une liaison sont des « preneurs de risques ». Ils aiment le risque d’être pris sur le fait.(…) Je connais mieux les hommes que les femmes, et je crois que les hommes qui trompent leurs femmes ne le font pas parce qu’ils détestent leurs femmes mais parce qu’ils se détestent. Ils veulent s’imaginer jeunes, virils et séduisants. Donc Mathilde est le cliché de la femme française : tombant perpétuellement amoureuse.
Comment avez-vous trouvé cet appartement qui est le cœur du film ?
J’ai obtenu de l’argent de la Commission du Film d'Ile-de-France et de la Writer’s Guild of America.(…) C’est la Commission qui nous a trouvé l’appartement : la manufacture des Gobelins. La plupart des enfants connaissent le musée parce qu’on les force à y aller, mais c’est un complexe bien plus grand avec un jardin. Notre appartement était probablement celui du directeur de la manufacture. Il y avait 600 personnes fabriquant les tapisseries pour Versailles, etc…
La Commission a convaincu la manufacture de nous louer l’appartement. Nous avions peu de budget –on a tourné en 23 jours, nous avons un peu installé notre studio dans l’endroit. Nous y avons tout créé : l’intérieur de la péniche, l’extérieur du café… Et parce que cette appartement était en ruine, nous avons pu en faire ce que bon nous en semblait.
Vous êtes francophile, une partie de votre équipe technique est française, de quelle façon avez-vous travaillé avec elle ?
Concernant l’équipe française, le responsable du décor Pierre-François Limbosch a été incroyable. Il a trouvé tous les livres [pour la péniche], il a fait attention aux détails. Et ma révélation fut Michel Amathieu, le directeur de la photo. Il s’agissait de mon premier film, donc je lui décrivais ce que je voulais et il le mettait en image.
Nous avons commencé les répétitions, et j’ai demandé à Maggie Smith de marcher. Elle a dit : « mes amis vont se moquer de moi si je fais ça ». J’ai demandé pourquoi ? Elle m’a dit : « j’ai 92 ans. Et quand ma mère avait cet âge elle était dans une chaise avec des coussins et avait de l’arthrite ». Et je lui ai répondu : « tu as raison, ta chaise sera ton monde ». Le chef op était ravi : « si tu la mets dans la chaise (…), et que tu me dis où seront les gens, je peux te donner des angles, utiliser des miroirs et donner de la profondeur au champ ». Et c’est exactement ce que je voulais, avec toujours l’immensité de cet appartement en arrière-plan.
Vous êtes homme de théâtre, vous connaissez les comédiens. Parlez-nous de votre processus de casting pour « My Old Lady » ?
Maggie Smith a toujours été mon premier choix. Avoir une actrice anglaise me permettait de prendre de la distance avec la pièce, dans laquelle le personnage est français.(…) Vous connaissez peut-être cette histoire : j’étais à Paris et un grand agent m’appelle et me dit : "voulez-vous rencontrer Isabelle Adjani pour le rôle de Chloé ?", mais ce n’était pas ce que je voulais. Pour moi, Isabelle Adjani ne pouvait pas être la fille de Maggie Smith. Je l’ai quand même rencontrée, qui aurait refusé ? (rires). Je l’ai vue au Café de Flore. Et l’agent d’Isabelle Adjani m’a demandé qui je voyais pour le rôle de Mathias et j’ai immédiatement répondu Kevin Kline. Et à ce moment, il est entré dans le Café de Flore. J’ai cru qu’on m’avait piégé !
Puis j’ai envoyé le script à Kevin, en me disant qu’il n’allait jamais le lire. Dans le métier, on le surnomme Kevin Decline (Kevin Refus, NdlR). Et Kline m’a dit plus tard qu’il pensait que je ne lui donnerais jamais le rôle. Nous avons donc organisé des lectures et il a été d’une grande aide. Il me faisait des commentaires (…). Ensuite Jane Birkin devait jouer le rôle de Chloé, mais elle avait une tournée en cours et elle devait être absente 15 jours. Et nous avons immédiatement pensé à Kristin Scott Thomas. Elle devait tourner un film avec Pierce Brosnan, ils étaient en train de répéter et après avoir lu le script elle a quitté ce film pour venir [sur my Old Lady].
C’est une belle faveur.
Il y aussi que nous tournions à six minutes de chez elle, à Paris (rires).(…) Elle est d’un abord froid en apparence, mais tant de sensibilité.
Et Kevin Kline ?
Kevin est un acteur très compétitif, il improvisait beaucoup. Maggie me regardait et me disait : "qu’est-ce qu’il est en train de foutre ?" (rires). [Je lui ai demandé de faire un effort]. Elle m’a dit : "d’accord, mais une prise car ça va être embarrassant". C’est émotionnellement parfait. Et Kevin m’a regardé, il a dit : "bordel, mais d’où elle sort ça ?" (rires). Elle connaît toujours parfaitement sa scène, et Kevin tournait une même scène de trois façons différentes.
J’aime les acteurs, j’ai travaillé toute ma vie avec eux… Je les connais.
Comment s'est opéré le choix de vos acteurs français ?
Dominique Pinon est un trésor français. Un plaisir à diriger. Dire à un acteur comment jouer, c’est comme demander au soleil de faire de la lumière. Ils savent. Dominique aussi. Stéphane Freiss préférait être dirigé, et Noémie Lvovsky avait peur de jouer en anglais, on l’a donc tenu par la main. (…) Stéphane De Groodt est d’abord un comique, et il était ravi de jouer celui qui sort avec Kristin Scott Thomas.
A la fin du générique, vous remerciez Bertrand Tavernier. Pour quelle raison ?
Je le connais depuis longtemps, il est très généreux, et m’a aidé. Il m’a conseillé de prendre l’ingénieur du son Jean-Paul Mugel, un génie. Nous avons utilisé le son direct du tournage. Aucune post-production sonore n’a été effectuée. (…) Je ne veux plus faire un film sans lui. Tavernier m’a donné beaucoup d’idées pour choisir les bonnes personnes.
"My Old Lady", en salles depuis ce mercredi :
Propos recueillis à Paris par Corentin Palanchini, le 23 avril 2015.