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    Liam Cunningham : "Ladygrey est une belle histoire racontée par les adultes, pour les adultes."

    Entre deux saisons de la série "Game Of Thrones", l'acteur irlandais Liam Cunningham prend le temps de s'engager dans des projets qui lui tiennent à cœur. C'est le cas pour Ladygrey, première réalisation du chef opérateur d'Alain Choquart.

    AlloCiné : Vous venez de tourner Ladygrey, sous la direction d’Alain Choquart. L’intrigue se passe en Afrique du Sud. Vous connaissiez déjà?

    Liam Cunningham : J’ai vécu quatre ans au Zimbabwe peu de temps après son indépendance. C’est d’ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles j’ai été sollicité pour ce film. Je suis arrivé en 1984 et j’ai travaillé en pleine nature, comme électricien. Du coup, j’ai passé pas mal de temps avec des gens qui détestaient les noirs qui voulaient leur prendre leurs terres. Celui qui se croit meilleur qu’une race en particulier est moralement détruit. J’étais très investi, politiquement, à l’époque. Très à gauche. J’avais des amis qui allaient passer leurs vacances en Afrique du Sud. Moi, je boycottais le pays.

    Et Alain Choquart, vous connaissiez son travail?

    Je connaissais Alain de nom, grâce à sa collaboration avec Bertrand Tavernier, rencontré au Festival des Arcs. J’ai lu son script et j’ai adoré les thèmes qu’il abordait, des thèmes très adultes : la réconciliation, la zone grise de l’humanité, le fait que ces personnages avaient trouvé un moyen de continuer à vivre... Toutes les tragédies qui sont arrivées avant que le film commence ont laissé des cicatrices en chacun d’eux. Mon personnage, Angus, porte de sombres secrets : il essaie de faire tourner sa ferme et de rester un homme, mais il en est tout simplement incapable. Ça le dégoûte d’avoir à travailler avec des gens qui, autrefois, étaient ses ennemis. En un sens, c’est presque une parabole : les indigènes ont besoin de lui pour nourrir leurs enfants, et Angus a besoin de les employer. Ils sont obligés de vivre ensemble. Leur seul option pour survivre, c’est de travailler ensemble et de s’entendre les uns avec les autres.

    Celui qui se croit meilleur qu’une race en particulier est moralement détruit.

    Votre personnage, Angus, est le seul témoin du massacre autour duquel tourne le film. Comme il n’y a pas de flashbacks, le spectateur se repère au portrait qu’il en fait.

    C’est très difficile de déterminer le rôle qu’il a joué là-dedans. Même quand sa femme lui demande ce qui s’est passé, il ne répond quasiment rien. A la manière dont Angus mène sa vie, on devine que ça l’a marqué. Faire du mal aux autres, c’est se faire du tort à soi-même. On peut appuyer sur toutes les gâchettes du monde ou faire sauter des bombes, c’est soi-même qu’on blesse. On voit ça partout avec le syndrome post-traumatique. Ce qui est montré dans Ladygrey, c’est le tort qu’on se fait quand on néglige la quête de choses positives. Dans Game of Thrones, c’est pareil : la quête constante du pouvoir, la paranoïa, la jalousie, la suspicion… Ça vous dévore, comme un cancer. C’est justement ce que j’aime dans ces thèmes très adultes. Ladygrey n’est pas un film pour enfants. C’est une belle histoire racontée par les adultes, pour les adultes.

    Angus est un personnage fermé à toute forme d’émotion. Pourtant, ne serait-il pas le plus faible de tous ?

    De façon très complexe, il a quelque chose d’enfantin. Comme s’il jouait à être un homme, un vrai. Il fait le boss. Mais, quand on regarde son obsession pour les chacals qui dévorent son troupeau de moutons, on sent vite qu’il est en fait totalement bousillé, qu’il a un grain, quelque chose de brisé en lui. Il est atteint de ce syndrome de haine qui le dévore, et il voudrait s’en défaire, mais il ne peut plus le déverser sur les autres, alors il le concentre sur ces animaux sauvages. Angus est vraiment très perturbé, psychologiquement à cause de ce qu’il a fait. Dans cette nouvelle Afrique du Sud, il doit garder la tête haute face à l’illégitimité de ses actes passés. Mais il ne peut pas simplement s’asseoir et faire son examen de conscience. S’il faisait ça avec un psychologue, au bout de six mois, il entrerait sans doute dans une dépression terrible. C’est une âme perdue.

    En même temps, il tombe amoureux sans raison, il pique des crises de jalousie…

    C’est sa peur ! C’est un homme qui est censé être raciste. Pourtant, il continue à retourner sans cesse vers une prostituée noire. Elle le réconforte. Ça m’a beaucoup touché que ce personnage raciste ait besoin de se retrouver dans les bras d’une femme noire sans même comprendre l’ironie de la chose.

    Je voulais qu’il soit le genre de type qui a pris ses responsabilités et qui en paie les conséquences.

    Est-ce possible qu’Angus ait pu participer à ce massacre en tant que suiveur, parce que c’est ce qu’on attendait de lui ?

    Ça serait trop facile. J’aurais pu faire ce choix, en tant qu’acteur. Mais ça mettrait la responsabilité sur le dos de quelqu’un d’autre. J’ai été plus dur avec lui que vous ne l’êtes. J’ai vu ce mec comme un gars qui dirait : "J’ai conquis cette terre et vous ne me la reprendrez jamais. L’Afrique du Sud est à moi, et si vous tentez de me la reprendre, je me défendrai jusqu’à la mort." Quant à suggérer que certaines circonstances l’ont doucit à commettre de tels actes… c’est en partie vrai, mais ça ne lui donne certainement pas l’immunité. Je voulais qu’il soit le genre de type qui a pris ses responsabilités et qui en paie les conséquences.

    Assez tôt dans le film, il y a une scène impressionnante où vous devez rentrer chez vous complètement nu. Etiez-vous à l’aise avec ça ?

    Il est nu, mais pas seulement physiquement. On voit tout de suite le malaise : il y a du sang sur lui et sa femme vient lui parler d’un vélo qu’elle s’est acheté... C’est surréaliste ! Je voulais vraiment que le spectateur puisse regarder cet homme, dont à ce stade on ne sait pas grand chose, et se dire d’emblée : "Il y a un gros dossier sur ce gars, et je ne suis pas sûr de vouloir savoir lequel." On finit presque par poser sur lui un regard de psychiatre, en se demandant quand il va péter un câble !

    Quel est le moteur de votre personnage pour vivre en oubliant le passé ?

    Ces fermiers sont avant tout à la merci des saisons. J’ai passé un peu de temps avec celui qui occupe la maison dans laquelle nous avons tourné. Ils font de l’argent en vendant de la laine de mouton. Ces mecs-là sont des mâles dominants. Pas par arrogance, mais parce qu’ils sont très sûrs d’eux, ils sont comme enracinés dans leurs terres. Ils sont les rois de leur domaine, mais c’est la terre qui les possède, pas l’inverse. Angus a cette façon d’être sûr de lui et de pouvoir gérer n’importe quel problème. Seulement, il n’est pas aussi fort qu’il croit l’être ! Il a peur d’aimer, sans pouvoir s’en dégager. Ça fait de lui un personnage passionnant parce que, malgré ses crimes, il garde une certaine humanité.

    [A propos de Nelson Mandela] : Par sa mort, cet homme hors du commun remettait l’Afrique du Sud entre les mains de son peuple…

    Avoir vécu là-bas vous a permis de reproduire l’accent facilement ?

    C’est un accent compliqué, avec une façon très différente de bouger ses lèvres. Je connais une actrice hollandaise, Carice Van Houten (Melisandre dans Game of Thrones), qui a vécu en Afrique du Sud. Je lui ai demandé si les Afrikaners et les Hollandais pouvaient se comprendre. Elle m’a dit : "un peu". Il faut beaucoup jouer de sa langue. J’imagine qu’un véritable Sud-Africain trouverait qu’il y a encore des progrès à faire. Pour moi, tout est dans le ton. C’est un formidable accent pour dire des choses définitives, très directes. C’est presque agressif, même quand on se veut amical. J’ai surtout réussi à prendre l’accent quand j’ai trouvé le personnage d’Angus.

    Etiez-vous sur le tournage quand Nelson Mandela est mort ?

    Oui, c’était bizarre de filmer tout ça dans un contexte si particulier. Ce moment glorieux où, par sa mort, cet homme hors du commun remettait l’Afrique du Sud entre les mains de son peuple… Pas aux mains de Jacob Zuma, ni à celles d’une tendance politique. C’était comme si, d’un coup, tout le peuple était garant de l’héritage de Mandela. Voilà pourquoi toute la xénophobie qui existe encore en Afrique du Sud est une véritable insulte à sa mémoire.

    La bande annonce de Ladygrey :

     Propos recueillis par Gauthier Jurgensen à Paris le 22 avril 2015

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