Il était une fois un enfant de la balle
"A 20 ans, j'ai vu un film qui m'a fait me passionner pour le cinéma et...
...me rendre compte de la puissance qu'il pouvait avoir : il s'agit de L'Humanité de Bruno Dumont (son P'tit Quinquin est en outre mon coup de coeur cinéma de l'année 2014 !). Ce n'est pas mon cinéaste préféré mais son film a laissé une trace forte en moi, j'en ai gardé des images et il m'a beaucoup questionné. J'ai commencé à regarder énormément de films, de façon même compulsive. J'ai fait des études qui n'ont rien à voir avec le cinéma et ai commencé à travailler au Ministère de la Culture, à la direction de l'Architecture.
Ma chef travaillait au service de ce qu'elle aimait le plus au monde. J'ai eu envie de faire comme elle, de travailler dans le secteur qui me tenait le plus à coeur, celui que je fréquentais tous les jours : le cinéma. J'ai changé de voie, j'ai commencé par faire de la production puis par réaliser. Voir que ma soeur (Anais Demoustier) trouvait sa place dans ce milieu où je l'avais encouragée à persévérer, m'a certainement donné un peu plus d'audace encore.
Comme mon héros, j'ai grandi en faisant du tennis et ai connu le haut niveau qui m'a façonné autant qu'il m'a laissé des souvenirs âpres et violents...
...Mes parents n'ont pas voulu que je fasse un sport-étude loin de la maison. A partir de là, le train est parti sans moi car en face, les types ont progressé plus vite. C'est une décision qui m'a dépassé. J'aurais souhaité aller au bout de ce talent-là qui m'édifiait plus qu'il ne me détruisait, même s'il y avait peu de chances que je devienne un champion. Cela dit, je n'ai aucun regret car mes parents ont fait ce qui leur semblait être le mieux."
Entre fait divers entendu et réalité vécue
Je retrouve au cinéma aujourd'hui une intensité que j'avais effleurée avec le tennis...
... J'avais tout cela en moi et avais en tête qu'il y avait quelque chose à en faire. Puis il y a eu ce fait divers terrible, l'histoire d'un père qui empoisonnait les adversaires de son fils, avec un jour cet accident tragique qui a causé la mort d'un jeune homme. Ce fait divers m'a fait me dire qu'il se jouait dans le tennis quelque chose qui le dépassait largement. "Terre Battue" met en scène cette rage de la réussite et de la concurrence à l'oeuvre dans le tennis de haut niveau, et qui l'inscrit comme monde au sein d'un monde beaucoup plus vaste. Je l'ai ensuite pensé autour des questions de transmission et de réussite et au sein d'une relation père/fils.
Le père (Olivier Gourmet) et son fils (Charles Mérienne) sont tous les deux mus par un même désir de réussite. Je pense que le fils hérite des échecs de son père. Il y a donc une transmission consciente mais aussi inconsciente. Les mêmes enjeux circulent de l'un à l'autre. A un moment donné, le fils se trouve dépositaire du devoir de réussite familiale, ce qui n'est peut-être pas juste et pas placé à la bonne mesure. Mais c'est ainsi qu'il perçoit les choses.
Des acteurs plus VRAIS que nature
J'avais écrit pour Olivier Gourmet, en pensant à lui, car sa nature selon moi correspondait parfaitement au rôle...
...Je l'admire. Je le voulais aussi amoureux, différent. Il a accepté tout de suite alors que le film n'avait pas encore de financement. C'était très encourageant. Travailler avec lui est une chance inestimable. Il est humble, il s'est révélé être un allié dans mon travailler avec l'enfant, avec qui il a su trouver la juste distance, pour qu'il soit lui-même et à l'aise, sans que ce soit la cour de récréation.
Une fois que Gourmet avait dit oui, j'ai cherché une actrice pour jouer sa femme. J'ai choisi Valeria Bruni Tedeschi parce que l'on voit peu le rôle féminin et qu'il me fallait une femme qui marque le film de son empreinte. Valeria a un éclat instantané et une fêlure qui m'intéressait puisque c'est un personnage ébranlé. J'aime l'évolution de son personnage, son côté plus lumineux dans la deuxième partie du film. Elle était en outre hyper impliquée, et en confiance, ce qui est inestimable pour un premier film.
Charles Mérienne n'est pas un acteur mais un tennisman...
...J'ai vu 350 enfants dans toute la France, en ciblant les centres de tennis, les ligues. Je voulais un tennisman parce que j'avais fait un documentaire sur des jeunes joueurs de 10-11 ans et avais été frappé au montage par leur intensité. Charles avait la nature du rôle. Sans être narcissique, il s'agissait de moi petit mais en mieux. Il a beaucoup de charme sans avoir une gueule de cinéma. Il a du caractère. Il fallait qu'il soit en confiance, il ne fallait pas qu'il joue. Quand on le félicite à la fin d'une séance, il ne comprend pas car n'a pas l'impression d'avoir fait quelque chose. J'aimais l'idée que ce jeune garçon qu'il interprète avait un coeur dit "inusable", autrement dit un talent qui se manifeste sur une disposition physiologique et qui le rend presque inquiétant...
L'empreinte bienveillante et non écrasante des Dardenne
Les Frères Dardenne font partie de ceux qui me font aimer le cinéma...
...Or, on devait tourner dans le Nord de la France, où j'ai grandi, et Gourmet avait dit oui. On était à la frontière belge, avec un acteur principal belge. On s'est dit en toute logique qu'il fallait une coproduction belge. On a donc demandé aux Dardenne et ils ont dit oui ! Leur présence n'a jamais été écrasante mais ils étaient vraiment là. Ils ont suivi le montage, ils étaient vraiment impliqués sans jamais être doctes, donneurs de leçons, toujours en étant bienveillants.
La scène de déclaration d'amour à la grande surface que joue Gourmet correspond mot pour mot à ce que me disait mon père, qui y a travaillé. Je trouve cela très touchant bien qu'incongru. Gourmet n'a jamais eu de condescendance pour son personnage. J'aime la sincérité de cette scène. Le drame de mon héros dans le film c'est celui du déclassement, qui lui le contamine, l'empêche d'exister...
Propos recueillis le 9 Octobre 2014 au Festival du Film de La Réunion
La bande-annonce de "Terre Battue"