La série La Bible adaptée au cinéma, Noé, Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott, sans compter les multiples projets à venir que préparent les Majors dans leurs arrières cuisines...Pas de doutes : Hollywood se plonge à nouveau dans les Saintes Ecritures, pour exhumer le genre du Péplum biblique en ces temps de crise. Ce qui n'est, au fond, pas tout à fait une surprise. Pourquoi ? Elements de réponses ci-dessous.
La Bible, une histoire universelle...
La pratique religieuse, aux Etats-Unis, fait partie de la vie quotidienne. A peine 16% des américains se déclarent athées, et, pour l'immense majorité des Américains, la Bible est, avec la bannière étoilée, un des trois piliers de l'identité nationale. C'est un fait : les Saintes écritures éclairent les Américains; ceux qui s'engagent à servir la Nation, à commencer par le président des Etats-Unis, prêtent même serment sur la Bible. God Bless America.
A Hollywood, où l'originalité n'est plus vraiment de mise parce qu'étant considérée comme une prise de risque, cette assise ou plutôt cette emprise du spirituel sur la société est du pain bénit. Le cinéma inspiré par le thème religieux a toujours permis de réunir deux éléments à succès : des histoires qui se veulent avant tout universelles (elles parlent à tout le monde), doublées d'un spectacle grandiose, et donc propices à un déferlement d'effets spéciaux. Faut-il par ailleurs rappeler que la Bible est le livre le plus vendu au monde ? Il y a aussi un très gros avantage : il n'y a aucun droit d'adaptation à acheter à coups de millions de dollars ni même de royalties à verser; les personnages étant dans le domaine public.
"Il faut se souvenir que le cinéma s'est très régulièrement tourné vers la Bible et les histoires épiques lorsqu'Hollywood s'est senti en danger" argumentait David Shepherd, spécialiste de la Bible enseignant à l'Université de Chester, dans une interview donnée à la BBC. "Au début du XXe siècle, le cinéma s'est tourné vers la Bible pour prouver à ses détracteurs que le cinéma était une force du bien et non du mal. Dans les années 1950, c'est la spectaculaire ascension de la TV qui a poussé des réalisateurs comme Cecil B. DeMille à se tourner vers la Bible, et à produire ou réaliser des films tels que Samson et Dalilah, Les Dix commandements ou Ben-Hur".
Les personnages de la Bible sont les super-héros de l'ancien temps. Bob Berney, ancien PDG de Newmarket Film, qui a supervisé la campagne marketing de "La Passion du Christ"
Dans les années 1960 en revanche, il y eu quelques retentissants flops, comme La Plus grande histoire jamais comptée en 1965, qui coûta la bagatelle de 20 millions de dollars, mais n'en gagna que 1,2 millions. Les films à thèmes religieux et les comédies musicales furent accusés de plomber les comptes des Majors, dans un contexte politique et économique trouble, et devinrent des genres à éviter. Il y a néanmoins deux contre-exemples : le film musical Jesus-Christ Superstar, et surtout la comédie satirique et hilarante La Vie de Brian avec les Monty Python, inspirée du Nouveau Testament. Deux films qui eurent un énorme succès en dépit des protestations, et qui ne furent d'ailleurs pas vraiment du goût des conservateurs religieux...
...mais un thème qui ne fait pas toujours consensus
Que ce soit un réalisateur, un Executive d'un studio ou le simple spectateur, à chacun son approche de l'histoire (biblique), selon sa / ses perspective(s) et ses convictions. Si la portée des récits de la Bible est universelle, le thème de la religion est rarement celui qui provoque le consensus. En 1988 par exemple, La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese, adapté de l'oeuvre de Nikos Kazantzakis, provoqua l'ire des Chrétiens fondamentalistes, notamment la scène où Jesus s'imagine avoir une relation sexuelle avec Marie Madeleine. Ils appelèrent au boycott du film et manifestèrent activement devant les studios Universal.
J'ai trouvé que le plus grand pouvoir en ce monde est celui de la prière. Cecil B. DeMille
En France, un incendie criminel fut même perpétré dans la nuit du 22 au 23 octobre 1988 par un groupe de catholiques intégristes au cinéma Saint Michel à Paris, pour protester contre la projection du film. "Si vous ne vous y prenez pas correctement, non seulement vous n'élargirez pas votre audience, mais vous manquerez aussi le coeur de votre cible" expliquait Jonathan Bock dans une interview donnée au Wall Street Journal, à la tête de l'agence marketing Grace Hill Media, qui aide les Majors à cibler le profil religieux des spectateurs. Au final, le film, interdit dans de nombreux pays, fut un cuisant échec, et ne récolta que 8,4 millions de dollars.
Si le Prince d'Egypte en 1998 peut être considéré comme un échec pour Dreamworks Animation (un peu plus de 101 millions de $ de recettes sur le sol américain pour un budget de 70 millions), c'est Mel Gibson qui se taille la part du lion avec la sortie en 2004 de sa Passion du Christ. Controversé en raison des relents d'antisémitisme du cinéaste (il mettait lourdement l'accent sur la responsabilité des juifs dans la crucifixion de Jésus), mais également pour des raisons d'interprétation des messages présents dans la Bible, le film s'est finalement révélé extrêmement rentable et profitable pour le réalisateur (611,9 millions de dollars de recettes dans le monde). Huit ans plus tard, Mel Gibson tentera en vain de convaincre Warner Bros de retracer l'histoire de Judas dans Judas Maccabée. L'annonce de son projet avait notamment provoqué un tollé au sein des représentants de la communauté juive américaine. Alors que l'on pensait que le film de Gibson donnerait une nouvelle impulsion au péplum biblique, il n'en a rien été, du moins dans l'immédiat : Hollywood mis le sujet sous sédatif pendant plusieurs années.
Evangéliser les foules : le cas de "The Bible" et "Son of God"
A 54 ans, Mark Burnett est un producteur TV heureux. Il est derrière l'énorme succès de la mini série La Bible, diffusée en dix épisodes sur la chaîne History Channel en 2013, aux côtés de sa femme, Roma Downey, également productrice et actrice dans la série. Qu'importe au fond que sa diffusion en France, sur la chaîne Paris Première, se soit accompagnée par un gros tir de barrage de la part de la Presse française ("une série qui peut provoquer des crises de foi" écrivait notamment Télérama).
Le pari a été plus que largement tenu, avec plus de 13 millions de spectateurs Américains lors de son lancement. La série s'est aussi vendue à l'étranger comme des petits pains, jusqu'en Asie. Pas question d'arrêter une telle success story : une suite a été mise en chantier, A.D., dont la diffusion est prévue pour 2015. "Il y a trois ans, certains nous faisaient les gros yeux en nous disant que personne ne regarderait la Bible à la TV ou au cinéma; nous sommes heureux de leur montrer qu'ils avaient tort" déclarait Burnett en 2013.
"Nous avons décidé de porter ce succès au coeur d'Hollywood, et d'utiliser son influence et le succès de la série pour faire des films et des productions TV qui mettent en avant notre foi" expliquait récemment Mark Burnett. Ce sera Son of God, sorti en février 2014, qui est un montage de 3h issu de la série The Bible, mais concentré sur la figure de Jésus. Le film a rapporté plus de 67 millions de dollars à son géniteur. Motivées par l'idée de placer Jésus au sommet du box-office, les congrégations religieuses avaient acheté pour plus de 4 millions de dollars de tickets en prévision de Son Of God, privatisant des cinémas entiers pour l'occasion. Burnett, producteur avisé transformé en pasteur chargé d'évangéliser les foules : "nous pensons que dans la décennie à venir, même les personnes habitant en zones lointaines partiront à la rencontre de Jésus grâce à ce film qu'ils pourront regarder sur leurs téléphones". Evangéliser les foules, peut-être; mais sans jamais oublier quand même le dieu du dollar...
Ted Baehr, fondateur du site Movieguide.org et Chairman de la Christian Film & Television Commission, expliquait qu'un film comme Son of God "résonne chez tout le monde, quelles que soient les orientations religieuses du public". C'est que ces films délivrent aussi des messages avant tout positifs, où il est souvent question de rédemption, auxquels le public répond en masse. "Vous savez, même Superman va à l'église pour prier. Même Iron Man promet à un vilain qu'il ira en Enfer" dit-il. Plus nuancée, Karen Covell, fondatrice de l'organisation Hollywood Prayer Network, explique quant à elle que "même si ces films n'ont pas vocation à évangéliser les foules ou n'offrent pas forcément une vision chrétienne, ils peuvent toujours avoir un impact positif sur la foi".
Aronofsky, Paramount et Noé sont dans un bateau...
"Darren n'est pas fait pour les films de studio. Il est très méprisant. Il se fiche de l'opinion de la Paramount." C'est un agent lié au projet qui s'exprimait ainsi en 2013, alors que les relations entre Darren Aronofsky et le studio qui produisait l'ambitieux Noé se dégradaient sérieusement, autour de la toujours épineuse question du Final Cut.
Selon The Hollywood Reporter qui rapportait l'information, les projections-tests qui se sont tenues, notamment auprès de publics religieux (juifs à New York, chrétiens en Arizona), ne furent pas concluantes. Le réalisateur, qui conçevait cette superproduction dans un esprit indépendant, rechignait à procéder aux coupes dans le film voulues par la Paramount, effrayée à l'idée de voir partir à la dérive un bateau ivre à 125 millions de dollars.
Car ce film constituait un défi considérable pour l'auteur de Black Swan, qui ne s'était jamais confronté à un film de studio aussi ample par son budget et son recours aux effets spéciaux (The Fountain n'avait coûté que 35 millions et fut, du reste, un échec en salle). En février dernier, après plusieurs mois d'âpres négociations, Aronofsky a finalement obtenu gain de cause, du moins en théorie : le film projeté en salles fut bel et bien son Director's Cut; les deux assumant donc jusqu'au bout le parti pris artistique et refusant de céder aux pressions des communautés religieuses.
Pourtant, Paramount aurait mis un coup de canif dans le contrat, en faisant ajouter un message censé rassurer les communautés religieuses sur le matériel promotionnel de Noé, sans prévenir Aronofsky : "ce film est inspiré de l'histoire de Noé. Si l'oeuvre s'autorise quelques libertés artistiques, nous pensons qu'elle reste fidèle à l'essence, aux valeurs et à l'intégrité de cette histoire fondamentale pour des millions de croyants à travers le monde. L'histoire originelle de Noé peut être lue dans le livre de la Genèse." Paramount aurait ainsi cédé aux pressions exercées par The National Religious Broadcasters, une association chrétienne internationale influente fondée en 1944.
Le film fut-il un succès ? Relatif en tout cas. Si l'on considère l'ensemble du volume des recettes (mondiales donc), le film a rapporté plus de 362 millions de dollars. Mais si l'on regarde en détail, les résultats d'exploitation sur le sol américain sont décevants : à peine plus de 101 millions $. La bouée de sauvetage venant de l'exploitation internationale du film et ses près de 261 millions de $.
Exodus, que devait initialement tourner Steven Spielberg avant que le projet ne soit confié à Ridley Scott, parviendra-t-il a faire mieux ? La partie s'annonce difficile. Pour son premier week end d'exploitation aux Etats-Unis, le film a démarré en récoltant un peu plus de 24 millions de dollars; à comparer avec les 43 millions de Noé, à budget de production presque équivalent; ou même les 25 millions ramassés par Son of God, pour un budget qui est pour le coup très (très) inférieur. En un peu moins de 15 jours, le film de Scott a engrangé environ 39 millions $ sur le seul territoire US, et il doit désormais faire face au mastodonte de Noël signé Peter Jackson, la 3e partie des aventures du Hobbit...
Rendez-vous en terre inconnue en terre promise
Le filon des films d'inspiration biblique est donc loin de se tarir, comme en témoigne la batterie de projets qui mitonnent dans la marmite d'Hollywood; voire en marge d'Hollywood, comme chez Paul Verhoeven, qui souhaite adapter son livre Jesus of Nazareth, dans lequel il dresse un portrait laïque du fils de Dieu. Autrement dit, désacralisé, avec l'aide de la plume de Roger Avary. Vu le sulfureux pedigree du réalisateur et le sujet de l'éventuel film, il faudrait un miracle pour que son sujet trouve preneur à Hollywood...
On parlait aussi en 2013 d'un projet de biopic sur Ponce Pilate produit par Warner, remake du film du même nom sorti en 1962. Le premier nom avancé pour ce nouveau projet était Brad Pitt, mais l'intéressé n'est semble-t-il plus attaché au projet, qui dort donc dans le tiroir d'une commode des Executives de Warner Bros. Pour le moment.
Le Héros de After Earth, Will Smith, serait aussi sur les rangs pour réaliser et jouer The Redemption of Cain, tiré du livre de la Génèse. Le scénario raconte le fratricide le plus connu de l'histoire: le meurtre d'Abel par son frère Caïn. Si le projet se concrétise, The Redemption of Cain serait le premier film de l'acteur en tant que réalisateur.
Plus proche de nous, c'est-à-dire courant 2015, est attendu Mary Mother of Christ, réalisé par Alister Grierson, dans lequel Ben Kingsley est annoncé sous les traits du roi Hérode. Il s'agit en fait d'un Prequel de La Passion du Christ, auquel ne participe pas Mel Gibson. Hé Oui, même avec le péplum biblique, Hollywood s'accomode fort bien des Reboots, Remakes, Spin Off et autres Prequels qui sévissent en son sein depuis plusieurs années.
On garde le meilleur (ou pas...) pour la fin : MGM a annoncé un Remake de son cultissime film aux 11 Oscars, Ben-Hur. Dans la peau du rôle jadis tenu par Charlton Heston : Jack Huston, devant la caméra de Timur Bekmambetov (Wanted), pour une sortie prévue en 2016. Ca va quand même être très (très) dur de passer après la version de William Wyler, gorgée de moments de bravoure, comme l'épique course de chars, qui demanda à l'époque à elle seule pas moins de 3 mois de tournage.
Il faudra donc mesurer dans un proche avenir les succès ou les échecs de cette future vague d'épopées bibliques dont Hollywood s'est à nouveau emparé avec frénésie. Car les résultats positifs sont loins d'être acquis, tant le dosage s'avère délicat : la polémique par exemple, qui peut booster l'intérêt autour d'une oeuvre et in fine ses entrées, a aussi parfois un effet repoussoir, pour ne pas dire dévastateur et / ou fatal, comme ce fut le cas du film de Scorsese.
Reste une impression que les plus pessimistes partagent, au regard de ce regain d'intérêt d'Hollywood pour la Bible : ce n'est au fond rien de plus qu'une fuite en avant, à coups de millions de dollars, d'une usine à rêves qui tourne désormais en rond et tente désespéremment de garder les spectateurs enchantés.