La communauté aborigène, des sans voix au(x) rôle(s) de porte voix
Ils sont les premiers êtres humains à avoir peuplé l'Australie, il y a 40 000 ans. Et c'est seulement en 1967 que les Aborigènes ont accédé à une véritable citoyenneté. Chassée par les colons à la fin du XVIIIe siècle, cette population a été décimée. Ces dernières années, le cinéma leur a permis de faire entendre leur voix.
C'est en 1955 qu'est tourné le premier long métrage australien dont les acteurs principaux sont aborigènes, Jedda de Charles Chauvel, réalisateur connu pour avoir offert à Errol Flynn son tout premier rôle en 1933 dans In the Wake of the Bounty. Présenté au Festival de Cannes, Jedda raconte l'histoire d'une fillette aborigène adoptée par une femme blanche qui vient de perdre son enfant. Curieux hasard et joli symbole, Jedda est aussi le premier long métrage australien en couleurs... Charles Chauvel n'est pas aborigène lui-même, et ce sera longtemps le cas des réalisateurs de films qui abordent cette question.
On peut citer le chef-d'oeuvre La Randonnée du Britannique Nicolas Roeg en 1971, Le Pays ou rêvent les fourmis vertes de l'Allemand Werner Herzog en 1984 ou, chez les Australiens, Le Chant de Jimmy Blacksmith de Fred Schepisi, The Tracker de Rolf De Heer ou Les Chemins de la liberté de Phillip Noyce. Ce film revient sur des faits terribles et véridiques, le sort des enfants aborigènes arrachés à leur parents et placés dans des familles australiennes. Des personnages aborigènes apparaissent également dans des divertissements grand public comme Crocodile Dundee ou Australia.
Ci-dessous, la bande-annonce du "Chemin de la liberté"...
C'est seulement à partir des années 70 que les Aborigènes eux-mêmes se sont emparés de caméras pour filmer leur culture à travers des courts métrages documentaires. Concernant les fictions, Radiance de Rachel Perkins, autour de trois soeurs réunies à la mort de leur mère, a connu un grand succès en Australie en 1998. Le chef-op' de ce film n'est autre que Warwick Thornton, l'auteur de Samson & Delilah, lauréat de la Caméra d'or à Cannes en 2009. A travers une histoire d'amour, le cinéaste brosse un portrait de la communauté aborigène dont il est issu. Fruit d'une collaboration entre deux cultures, 10 canoés, 150 lances et 3 épouses, à mi-chemin du documentaire et de la fiction, a été co-réalisé par Rolf De Heer et l'acteur aborigène Peter Djigirr.
Ci-dessous, rencontre avec Warwick Thornton, réalisateur de Samson et Delilah...
Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2014, dans la sélection Un certain regard, le bouleversant Charlie's Country signé Rolf de Heer met en scène un acteur aborigène emblématique : David Gulpilil. L'histoire douloureuse d'un ancien guerrier aborigène, déraciné de sa culture alors que le gouvernement australien amplifie son emprise sur le mode de vie traditionnel de sa communauté.
Une histoire éminement politique, qui se confond aussi un peu avec la vie et le mal-être de l'acteur. David Gulpilil débuta sa carrière en 1971, à 16 ans, dans le drame La randonnée de Nicolas Roeg. Mais le jeune garçon tomba très vite dans l’alcoolisme. "On a appris à David comment s’enivrer", raconte Rolf De Heer, "et ensuite comment se comporter pour donner l’impression d’être sobre". En 1976, alors sur le tournage de Mad Dog Morgan, lui et Dennis Hopper sont même arrêtés par la police. De retour à Ramingining, Gulpilil se désintoxique (de nombreuses communautés aborigènes du territoire d’Arnhem ont interdit la vente et la consommation d’alcool) mais est exilé de sa communauté après une dispute et devient un "long grasser", un sans-abri à Darwin avant de se retrouver en prison.
Co auteur du scénario, David Gulpilil a justement été récompensé par le Prix du meilleur acteur dans la sélection "Un certain regard" au dernier festival de Cannes, où le film concourrait.