AlloCiné : Après la comédie avec Prête-moi ta main, le drame avec L'homme qui voulait vivre sa vie, vous mélangez les genres avec La Famille Bélier, passant de l'humour à l'émotion, de la comédie au mélodrame. Vous aviez envie de marier plusieurs genres pour ce nouveau film ?
Eric Lartigau, réalisateur : J’aime bien, comme dans la vie, avoir plusieurs émotions, j’aime bien mélanger ça. J’avais envie d’assumer toutes ces émotions et de les mélanger. Comme vous l’avez dit, c’était des genres assez séparés, et là j’ai voulu un peu m’amuser. Ce qui est rigolo, c’est de prendre des risques. Il faut quelques fois aller vers des choses qui vous font un peu peur, parce que c’est risqué, mais qui sont très excitantes à fabriquer, à mettre en œuvre.
Y a-t-il eu un long travail d’écriture ?
Oui. Je suis parti d’un scénario de Victoria Bedos qui s’est inspirée de l’assistante de son père qui, comme Paula, était la seule entendante dans une famille de sourds. Elle prenait des cours de chant également et elle a mixé les deux : le monde des sourds et le chant. L’histoire est partie de là et par la suite je suis arrivé sur ce projet, je me suis emparé du scénario et j’ai retravaillé pendant 6 mois dessus avec Thomas Bidegain, le scénariste de Jacques Audiard, qui est venu me rejoindre. L’idée était de travailler sur le rythme et développer le point de vue de la famille.
J’avais envie d’aborder le thème de la séparation : si un enfant s’en va du domicile, comment réagit-on au départ, du point de vue des parents et de l’adolescente ? Quelles sont les peurs qu’on essaye de surmonter, les murs qu’on se dresse ? Quand on est ado, souvent on est un peu parano, la tête dans les épaules, un peu gauche, le corps n’est pas complètement fini… C’est toutes ces choses-là qui m’intéressaient et qui me donnaient envie de développer cette histoire.
Vous avez choisi François Damiens et Karin Viard pour interpréter des personnes sourdes. Avez-vous immédiatement envisagé de vous tourner vers des acteurs entendants pour ces rôles ?
Quand j’écris, j’ai tout de suite les acteurs qui me viennent en tête. Dans Prête-moi ta main, quand je réécrivais les dialogues, les personnages, j’ai tout de suite vu Alain Chabat et Charlotte Gainsbourg, et L’Homme qui voulait vivre sa vie, j’ai tout de suite vu Romain Duris, qui s’est imposé, comme Marina Foïs et Catherine Deneuve. Là, pareil, malgré le fait qu’ils soient des personnages sourds, j’ai tout de suite vu Karin Viard et François Damiens.
Pour moi, le propre d’un acteur, c’est de rentrer dans l’identité d’une personne quelle qu’elle soit
Après, c’est un pur choix artistique, et je ne faisais pas un documentaire sur les sourds, je racontais une histoire sur cette adolescente. Pour moi, le propre d’un acteur, c’est de rentrer dans l’identité d’une personne quelle qu’elle soit. Dans Forrest Gump, Tom Hanks n’est pas autiste. Dans De Rouille et d’os, Marion Cotillard n’est pas femme tronc. Chaque acteur peut rentrer dans l’identité d’un autre. Voilà, la question ne s’est pas posée en fait.
Avez-vous des retours de la communauté sourde ? Il ya un risque que ce choix soit mal interprété...
Il y a eu en tout une cinquantaine d’avant-premières, de projections pour sourds et malentendants. J’ai fait 15-20 avant-premières avec un débat après. Sur 100 personnes, il y en a 97 qui sont complètement pour le film, en tout cas pour cette idée. Ils sont complètement d’accord et content de cette proposition. Ils aiment le regard qui leur est porté. Ils considèrent que, grâce à cette histoire, les gens vont les regarder différemment parce que vous nous regardez normalement; vous ne nous jugez pas et vous montrez qu’on a, en fait, les mêmes soucis que vous. Ils en ont d’autres forcément parce qu’ils ont un problème d’accessibilité par rapport à nous entendants. Notre monde est fabriqué avec tous les sens. Par exemple, pour aller voir un médecin, c’est compliqué. Il faut un traducteur ou tout écrire. L’accès est plus compliqué dans le quotidien.
Et il y a trois personnes qui sont, on va dire, des radicaux, des gens qui disent : non, vous n’avez pas le droit de mettre des entendants à la place de sourds. Ce à quoi je réponds ce que je vous ai dit, c’est à dire que c’est un choix avant tout personnel, artistique. C’est le choix d’un réalisateur qui veut raconter une histoire. Je trouvais que ça permettait de faire un pont entre le film et la société, ça permettait une ouverture sur le propos.
C’est un choix personnel, artistique. C’est le choix d’un réalisateur qui veut raconter une histoire
Et d’ailleurs il y a quelques jours, un jeune s’est levé à une projection de sourds et malentendants. Il a dit : j’ai 22 ans, je suis dans une salle qui est une projection de sourds et malentendants, et si ça n’avait pas été François Damiens et Karin Viard, je ne serai jamais rentré dans cette salle. Si ça avait été des gens inconnus à l’affiche, je ne serai pas rentré. Ca m’a permis de découvrir un peu votre monde.
Il y a une curiosité qui a enclenché ça. C’est intéressant et c’est le but souhaité aussi. Mais je comprends complètement ces trois personnes sur les cent. C’est un avis. On a le droit d’avoir cette position. Et un film, c’est une proposition. Il y a des entendants aussi qui vont faire la gueule, qui ne vont pas aimer, qui vont critiquer ci et ça. J’assume totalement mes choix.
Il y a nombreuses chansons de Michel Sardou dans le film... Faut-il aimer Michel Sardou pour voir le film ?!
Plein de gens n’aimaient pas Michel Sardou avant et ont dit qu'ils ont redécouvert, ou même découvert pour les jeunes, les textes de Sardou, et les mélodies qui sont aussi super belles. C’est donc une surprise pour eux. Chacun y trouvera son compte. C’est Louane qui fait toute la différence, qui transcende, avec toute la chorale, la maitrise des Hautes Seine. Par ce prisme, ils nous font découvrir les textes, les chansons de Sardou. C’était le choix de Victoria Bedos qui est partie de la chanson Je vole, qui est un calque de la vie de Paula. Et tout a déroulé par rapport à ça.
Outre Michel Sardou, il y a aussi de nombreux clins d’œil à François Hollande…
Comme on avait un personnage politique, qui veut se présenter à la mairie, on a choisi Hollande. Ca aurait pu être Bayrou, etc. Comme ses livres venaient de sortir, très représentatifs du message que voulait livrer Rodolphe, le personnage de François Damiens... C’était un clin d’œil !
Propos recueillis le 4 décembre 2014, à Paris
Karin Viard : le défi de tourner en langue des signes