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    Xavier Dolan : Mommy, auto-critique, musique et projets
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Xavier Dolan était hier au Forum des Images pour une Master class exceptionnelle, pendant laquelle il est revenu sur son parcours, sa vision du cinéma et son actualité entre autres. Retrouvez les temps forts de cette rencontre dans notre compte-rendu

    CVS / Veeren / Bestimage

    C'est avec beaucoup d'humour, de spontanéité et d'auto-dérision que Xavier Dolan s'est prêté hier à la Master class du Forum des images. Une rencontre exceptionnelle de deux heures, à laquelle 300 privilégiés ont pu assister, pendant laquelle le cinéaste a parlé longuement de Mommy, son nouveau film en salles ce mercredi, et de l'influence de la musique notamment. Il est également revenu avec beaucoup de franchise sur ses précédents films, procédant à une véritable auto-critique de ce qu'il estime avoir raté. Il a enfin également été question de ses projets.

    Nous vous proposons de découvrir quelques uns des temps forts de cette Master class, dont une captation vidéo sera prochainement disponible sur le site du Forum des Images

    Mommy : du format carré à Céline Dion, les choix esthétiques de Xavier Dolan

    Le format carré est un choix élémentaire

    Ce format est un carré parfait, fait par un logiciel. C’est pour être proche des personnages, pour être près du cœur, des yeux, pour qu’il n’y ait pas de distraction à gauche puis à droite...  Pour moi, ce n’était pas du tout un trucage. Ce n’est pas du tout une coquetterie, au contraire. C’est profondément élémentaire comme choix.

    Filmer en 1 :1 pourrait être qualifié de prétentieux. Je pense que ça aurait 10 000 fois plus prétentieux de filmer en 2,35 :1 (le format cinémascope, Ndlr.), le format de Batman. Je trouve que ça aurait été encore plus pédant, plus méprisant. 

    Quand j’ai fait College Boy (le clip d'Indochine), on a tourné en 1 :1. J’ai toujours voulu tourner en 1 :1, c’est mon rêve. Quand je vois les close-ups en 1 :1, c’est littéralement ce que j’ai vu de plus humain. On est près. Je ne sais pas, il y a quelque chose qui se passe avec le personnage. Je trouvais ça profondément approprié pour Mommy.

    La scène de Céline Dion est un des plus beaux moments du film

    [Au sujet de la scène pendant laquelle les protagonistes écoutent la chanson On ne change pas de Céline Dion] C’est une chanson que j’adore. J’ai pensé que cette scène serait plaisante. C’est un des plus beaux moments du film où Anne Dorval regarde vraiment Suzanne Clément pour voir si elle accepte. Le non-dit dans la scène est tellement beau. La scène a été coupée de 4 minutes. Elles parlent tellement que finalement c’est quand elles ne disent rien qu’elles parlent le plus.

    Shayne Laverdiere

    Quand Suzanne Clément voit arriver Steve (Antoine-Olivier Pilon), la manière dont elle le regarde, elle est en train de se souvenir de quelqu’un, il y a quelqu’un qui lui manque. Qui est-ce ? On va le savoir plus tard ou pas nécessairement. Et puis Anne Dorval, maquillée, en train de danser, un peu comme une pétasse, regarde Suzanne Clément et se demande si cette personne approuve l’existence-même de son fils. Est-ce qu’elle nous accepte ? Est-ce qu’elle va être notre amie ?

    S’il y a un moment pour respirer, c’est bien celui-là. Ils dansent, ils s’abandonnent.

    Il y a un travelling car on a besoin de s’éloigner pour mieux les observer. Il n’y a presque aucun plan large où on respire. Mais s’il y a un moment pour respirer, c’est bien celui-là. Ils dansent, ils s’abandonnent. C’est le début du film cette scène-là en fait. Il y a un film avant mais c’est comme un long prologue. Le film est sur l’amitié, la tendresse... Tout le monde se révèle à travers ce trio.

    --> Ecouter la bande-originale du film...

    Il n’y a pas eu beaucoup de prises. Elle a été tournée en deux blocs et à trois mois d’intervalle. La scène avant, c’est novembre. La scène après, c’est février. On l’a tournée très rapidement. Elle nous a procuré beaucoup de bonheur. On a sauté le dialogue, on a tourné la chorégraphie. Et c’est très compliqué, car on est dans un endroit extrêmement petit. Il y a des axes qu’on ne peut pas briser. Trois personnages, c’est la pire chose car quand il y a une interaction, on est obligé de faire deux plans par personnage.

    Un film pour moi, c’est comme une partition

    Dans mes films, la musique arrive au début du début. Mommy est né de différents catalyseurs, entre autres de la musique instrumentale de Ludovico Einaudi, Experience. J’ai entendu la chanson et j’ai écrit la scène grosso modo sans savoir ce qu’allait être le film. Et j’ai écrit Mommy autour de ça. Donc la musique vient toujours très tôt.

    Pina Bausch a dit « Danser, danser, sans quoi nous sommes perdus ». Pour moi, c’est « Ecouter de la musique, écouter de la musique, sans quoi nous sommes perdus ». Ce n’est pas une façon de s’exprimer, c’est une façon de vivre. Ma vie est musicale et le cinéma doit l’être aussi. Un film pour moi, c’est comme une partition, dont les dialogues, les scènes, les soubresauts émotifs sont les notes. 

    Mommy : un film auto-biographique ?

    Ce qui est inquiétant est qu’il n’y a pas tant de différences [entre le personnage de Steve et lui]. Il y en a une importante : le personnage de Steve est atteint d’une maladie mentale. La mienne n’est tout simplement pas diagnostiquée encore (rires).

    J’aime défendre dans mes films les gens différents

    C’est vrai que j’ai en moi une espèce de rage, d’impatience. J’étais très violent quand j’étais petit, de manière assez gratuite. Je ne sais pas d’où venait cette violence, mais elle est toujours un peu en moi. Mais j’ai eu la chance de trouver une façon, un outil, qui est le cinéma, l’écriture. C’est pour ça que mes personnages sont en colère, qu’ils revendiquent leur liberté, leur intimité, leurs droits les plus fondamentaux. C’est pour ça qu’ils rivent toujours le clou de cette fameuse société, qui a peur que l’autre nous contamine de sa différence. La peur que l’autre nous change. Leur incertitude par rapport à eux-mêmes fait en sorte qu’ils développent des mécanismes haineux envers les gens différents, mais ils ont peur aussi. Par exemple, ils ont peur que les homosexuels les homosexualisent. Ce qui est quand même profondément imbécile. Les homosexuels ne rendent pas les enfants hétérosexuels homosexuels. J’aime défendre dans mes films les gens différents.

    Brigitte Baronnet

    Instant (auto)-critique

    J’ai un point de vue différent envers chacun de mes films. J’ai des choses différentes à dire, dont certaines qui sont peut être cruelles envers moi ou envers d’autres. Puisqu’on en parle : quand je regarde J’ai tué ma mère, je trouve ça particulièrement laid visuellement. Et ça m’énerve. Beaucoup. 

    Je trouve J’ai tué ma mère particulièrement laid visuellement. Et ça m’énerve. Beaucoup.

    C’est le seul film que j’ai tourné en digital. Il y a beaucoup de ciels surexposés. Il n’y a pas de détails. La qualité de la caméra avec laquelle on a filmé est discutable. Je suis plus ou moins convaincu du travail à la caméra dans J’ai tué ma mère. Je n’aime pas les lumières, les éclairages, certaines idées.

    Par exemple, la poursuite avec la robe de mariée, jamais je ne ferai ça aujourd’hui. Il y a quelque chose de tellement lyrique dans cette idée là, que le digital n’est pas capable d’honorer l’intention sincère de cette scène-là, qui est un peu prétentieuse. Mais qui est une intention sincère à l’origine. Le digital rend l’idée plus prétentieuse. On est en train de montrer l’idée qu’on a eu, on n’est pas vraiment capable de l’illustrer. Sinon, il y a des moments de jeu dans J’ai tué ma mère que je n’aime pas.

    J’espère que ça ne m’arrivera jamais de renier un film, j’espère n’avoir jamais à dire « Ne m’en parlez pas ».

    Mais je sais qu’il y a des moments d’émotion qui plaisent aux gens, et je respecte ça. C’est un film que j’aime et j’assume. J’espère que ça ne m’arrivera jamais de renier un film, j’espère n’avoir jamais à dire « Ne m’en parlez pas ».

    Pour Les Amours imaginaires, je couperai 10 secondes à la fin de chaque scène

    Pour Les Amours imaginaires, je couperai 10 secondes à la fin de chaque scène. A la fin de chaque scène, je me dis « C’est intéressant, mais trop long. Maintenant, il faut couper ». Vers la fin aussi, il y a une succession de montage séquences avec des épisodes musicaux. Il y en a trop. Ca enlève la qualité. J’ai coupé une scène de dialogue car on m'a demandé de couper. Mais en fait la scène aurait été moins longue si je l’avais laissée, moins long dans le sentiment que le film distille.

    Laurence Anyways est de loin le film que j’assume le plus, et dont je suis le plus fier à égalité avec Mommy

    Laurence Anyways est de loin le film que j’assume le plus, et dont je suis le plus fier à égalité avec Mommy. Il y a certaines extravagances, certaines fulgurances. Je suis content d’avoir essayé ces choses-là, de les avoir assumées, de les avoir protégées au montage. Mais les 15 premières minutes du film, j’ai beaucoup de difficulté à croire et je sens que c’est ma faute, j’en suis amplement responsable. J’ai des difficultés à croire en la complicité entre les deux personnages. Je ne sais pas ce que j’ai fait, ce que j’ai mal fait, ce que j’aurai pu changer. Je trouve certaines scènes assez plaquées finalement.

    MK2 Diffusion

    Je lis toutes les critiques de mes films (voir notre interview sur le même sujet). Il faut apprendre à voir ce que les gens voient. On ne fait pas des films juste pour soi, pour maman et papa. On fait des films pour que les gens les voient. Si tout le monde voit noir, quand on voit blanc ; si tout le monde voit trop quand on voit moins, il y a quelque chose d’intéressant.

    Je veux m’améliorer en tant qu’être humain, en tant que réalisateur

    Moi je veux m’améliorer en tant qu’être humain, en tant que réalisateur, il faut toujours que je puisse dire à ma famille « Je pense que c’est le meilleur ». Si je leur dis, « Celui-là, ça va être un film mineur », comment imaginer passer six mois à en faire la post-production et six autres à en faire la promotion, je vais me mettre une balle.

    Le cinéma, c’est ce que j’aime, c’est ce qui m’anime, ce qui me passionne. Je ne peux pas m’imaginer faire une de ces étapes avec une forme de lassitude ou même une forme de honte par rapport à ce que j’aurai pu faire. Donc il faut apprendre, et je pense que j’ai appris à le faire, à se poser les bonnes questions et aller au-devant de comment les gens vont percevoir, critiquer le film, comment ils vont le voir, le ressentir surtout. 

    Je ne veux pas vivre avec la frustration de ne pas avoir accompli exactement ce que je voulais

    [Au sujet de sa volonté de contrôler beaucoup de choses sur le film, notamment les costumes] Ce n’est pas juste une question de contrôle, de manque de confiance envers l’autre. C’est une question de passion. Le montage me passionne, le graphisme me passionne… 

    Aussi, comme le cinéma est beaucoup plus onéreux, long, vaste, large que tous les autres arts dont il est la somme, la quantité d’intervenants est exponentielle. On multiplie les interventions. Ca peut être positif pour quelqu’un qui peut dire « Moi les costumes je ne connais pas ça, c’est un truc de filles » (rires). Pour moi, les costumes c’est tout un personnage. Je n’ai pas envie de déléguer ça à quelqu’un. J’aime la mode. Si je n’étais pas en cinéma, je serai en mode. La mode, ce n’est pas juste la fashion week. La mode permet d’exister dans le regard de l’autre et s’exprimer d’eux-mêmes. 

    Par exemple, je sais qu’on va mettre une petite étoile sur l’ongle d’Anne Dorval. Ce qui quand même est un indice assez probant d’à quel point je vais enc***r les mouches sur le plateau. Personne n’a envie de se faire enc***r comme ça ! (rires)

    Quand une chef costumière se dit « Mais pour qui il se prend ?» Je me prends pour la personne qui a imaginé ce film et qui va consacrer deux ans de sa vie à lui faire prendre forme. Qui ne dormira plus de la nuit en attendant la réponse d’un festival. Qui verra moins sa famille. Qui va se taper peut être un burn out. C’est pour cette personne-là que je me prends. Personne d’autre. Rien de plus, rien de moins. Je ne veux pas vivre avec la frustration de ne pas avoir accompli exactement ce que je voulais.

    Shayne Laverdiere

    Sa vision de son cinéma

    Chacun de mes films est construit sur un type d’histoire qui convient au schéma narratif que j’aime, c’est à dire les relations éphémères : les gens se rencontrent, vivent des jours heureux, des jours malheureux, surmontent certaines épreuves, le film évolue, et puis vers la fin, c’est la fin de la relation. C’est comme ça dans tous mes films, du premier au 5ème.

    De plus en plus, vous voyez des films qui me ressemblent de plus en plus. Ca devient de plus en plus naturel de faire un film pour les autres. Il y a plein d’idées de réalisation dans Mommy. J’aime à penser que jamais elles ne nuisent au récit.

    Le cinéma, ce n’est pas la vraie vie. C’est mieux que la vie, ou pire que la vie

    Prendre des libertés formelles, ça rappelle que c’est un film. Même si le film est réaliste ou naturaliste, on n’est pas en train de faire croire que c’est la vraie vie. Ce n’est pas la vraie vie. C’est mieux que la vie, ou pire que la vie, mais c’est l’occasion de faire autre chose. C’est pour ça qu’il y a des ralentis, c’est pour ça qu’il y a des pluies de vêtements, c’est à ça que ça sert en fait. Le cinéma qui m’intéresse vraiment, c’est ce cinéma là. Maintenant, il faut trouver l’équilibre entre le personnage et les idées, et toujours que le personnage soit central. 

    Ses projets : une trilogie sur le showbiz et une piste autour de Vivian Maier

    Je travaille sur mon prochain film qui s’appelle The Death and Life of John F. Donovan qu’on va tourner à l’été prochain. C’est une trilogie sur le show-business. Il y en aura deux autres après sur ce qui est une sorte de documentation sur le showbiz. Ce sera un film fulgurant. On a le droit, le scénario veut ça, a besoin de ça. C’est un film sur le show business, sur la mode, sur la vie d’une star. Ca sera en anglais, avec Jessica Chastain et d’autres qui seront annoncés au cours de la semaine (en savoir plus)

    AGENCE / BESTIMAGE

    Ce n’est pas une production hollywoodienne, c’est une production que je fais chez moi à Montréal avec des gens que j’aime. [Au sujet de l'importance de garder son indépendance artistique], ça dépend des gens avec qui on travaille, avec qui on choisit de s’associer. Je sais que c’est con d’avoir un distributeur américain qui soit impliqué maintenant dans le projet. Il faut faire le projet et ensuite le montrer à un distributeur. Je sais qu’il y a des intervenants à éliminer pour pouvoir faire le mien. Ca dépend des alliances. Je n’ai pas envie d’aller me perdre aux Etats-Unis.

    Je n’ai pas envie d’aller me perdre aux Etats-Unis

    Les acteurs vont venir et on va voyager un peu partout. Il y a une partie du film qui va se tourner à Londres, en Europe de l’Est, quelques jours à Miami, mais je reste avec mon équipe. Je travaille avec des distributeurs que je respecte, qui me respectent. Et de toute manière, j’ai l’intention de faire un film commercial, c’est un film qui parle de commerce, d'Hollywood, exactement de la transaction que Hollywood veut effectuer avec le public. Donc c’est un film qui ne remportera son pari que s’il est un succès public.

    Tout part de la mère dans mes films, il y en aura dans le prochain aussi. On n’arrête pas de me demander si j’ai bouclé la boucle. Pourquoi j’aurai besoin de la boucler ? C’est un puits sans fond, c’est une mine de qualités humaines et cinématographiques surtout, en terme de personnages.

    Et puis après plein de projets à gauche à droite. J’ai notamment été extrêmement bouleversé, intrigué, fasciné par l’univers de Vivian Maier. J’ai vu un documentaire sur elle (A la recherche de Vivian Maier, Ndlr.), ça a été une splendeur. Dès que je suis sorti, j’ai écrit comme un hystérique aux réalisateurs (Charlie Siskel et John Maloof, Ndlr.). J’ai parlé depuis aux réalisateurs et aux producteurs. Il y a des possibilités. On ne sait jamais quel projet va venir en premier.  

    Bonus : humour et confessions

    • Les cuisines, c’est vraiment de la merde ! Il n’y a rien de plus difficile à filmer. C’est laid, c’est con, c’est inesthétique, c’est blanc, y a des poignées, des conneries, un frigo, une tache sur un frigo. L’actrice est là, on fait un gros plan sur elle, et tout ce qu’on voit derrière, c’est le reflet dans le frigo ! Frigidaire, frigidaire ! Je déteste l’électroménager. 
    • Suzanne est habillée comme rien. Rien ! C’est ce qu’on appelle le normcore. Qui suis-je ? Rien ! Ses vêtements ne disent rien. La pire époque en mode, c’est bien celle du début du siècle. Tout est incertain, tout est vague, tout est mou.
    • J'ai un complexe. Je me trouve petit. J'y pense quand même beaucoup, mais je sais pertinement au fond de moi que s'il avait fallu que je sois un grand gars, genre grand, je serai toujours le premier à me battre dans les bars ! La vie a fait les choses autrement. Au lieu de faire de la taule, je fais des films !

    La prochaine Master class organisée par le Forum sera consacrée à John Boorman, le 28 novembre.

    Notre rencontre avec Xavier Dolan au Festival de Cannes 2014 :

     

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