Ce lundi 15 septembre, la plateforme de streaming Netflix débarque en France. Pour l'occasion, les trois têtes pensantes du géant américain étaient de passage à Paris : Reed Hastings (le co-fondateur et "visage" de Netflix), Neil Hunt (le directeur technique) et Ted Sarandos (en charge du catalogue).
=> Lire notre interview de Reed Hastings, co-fondateur et P-DG de Netflix !
=> Notre interview de Neil Hunt, le directeur technique de la plateforme
Trois interviews, trois thématiques fortes. A découvrir au fur et à mesure sur AlloCine ! Premier arrêt en compagnie de Ted Sarandos, alias "monsieur catalogue"...
AlloCine : Les données générées par les visionnages de vos abonnés jouent un grand rôle dans le fonctionnement de Netflix. Vous pouvez adapter votre catalogue en fonction de ces données. Mais au-delà de tous ces chiffres, y a-t-il une "vraie" stratégie éditoriale ?
Ted Sarandos : Comme vous l'avez dit, ces choix sont dictés par les données, le "data", et par des intuitions très "étudiées". Mon équipe et moi avons accès à beaucoup d'informations. Mais cela ne doit pas et ne peut pas suffire. Il faut avoir cet instinct. Deux personnes peuvent regarder les mêmes chiffres et arriver à deux conclusions différentes. Parfois un grand intérêt du public sur une plateforme ne signifie pas forcément que ce même contenu aura le même impact sur une autre. Parfois ces données montrent la voie vers une vraie opportunité. Chez Netflix, notre savoir-faire réside dans l'analyse et la compréhension de ces données : ce que les gens regardent à la télévision, comment ils en parlent en ligne, ce qu'ils cherchent, pourquoi ils regardent les bandes-annonces... Tout ce qui peut nous amener à ce qu'on considère comme une "supposition logique". Et il ne faut pas oublier que les utilisations quotidiennes de Netflix permettent également de compléter et d'affiner les recommandations. En France, nous nous lançons avec à peu près la moitié des programmes et nous allons le compléter petit à petit chaque jour, en l'adaptant de plus en plus au marché français.
Il y a trois ans, vous vous êtes lancés dans la programmation exclusive avec notamment "House of Cards". Comment avez-vous décidé de sélectionner cette série avec Kevin Spacey ?
Il faut tout de même se rappeler que nous avons pris un gros risque à l'époque. Mais c'était un risque calculé et des éléments de cette série étaient déterminants. Elle est écrite par Beau Willimon, un scénariste qui était, au moment où on a commencé à nous parler de la série, nommé à l'Oscar pour Les Marches du Pouvoir. Kevin Spacey est une star de cinéma qui a tout prouvé. Et sur Netflix il était particulièrement recherché. Même si ses films ne marchaient par toujours formidablement au box office, il restait un des acteurs les plus populaires sur Netflix. Par ailleurs David Fincher est un des plus grands réalisateurs de notre génération. Nous avions déjà trois scénarios à lire et une bible complète qui nous permettait de nous projeter sur plusieurs saisons. Donc c'était un pari plutôt avisé. Puis nous avons fait notre travail de recherche sur les données, en faisant une étude sur le marché du thriller politique, regardé précisément la popularité de Fincher et Spacey sur Netflix... Nous avons croisé toutes ces données pour arriver à la conclusion suivante : "Si nous faisons cette série et si elle est bien produite, le marché est très prometteur." Il y a donc une part d'intuition, les éléments intrinsèques à la série, les recherches adéquates... Il arrive souvent qu'une série ait tout bon sur le papier sans qu'elle fonctionne au final. Regardez l'exemple d'Ishtar ! Un super réalisateur, deux grandes stars... Et pourtant. Je suis hanté par cet exemple. La qualité de la production est essentielle, il ne faut jamais l'oublier.
Une série peut avoir tout bon sur le papier sans qu'elle fonctionne au final à l'antenne.
Le catalogue de Netflix comporte beaucoup de séries et de documentaires exclusifs. Mais très peu de films "originaux"...
Effectivement nous n'avons pas encore exploré le domaine du long-métrage.
C'est une des prochaines étapes ?
Nous avons réussi à avoir une stratégie très offensive sur le front des séries en mettant notamment en place ce système d'intégralité des épisodes de prime abord. Nous avons pris le parti de ne pas avoir une durée d'épisode fixe. Pareil pour le nombre d'épisodes par saison. Idem pour le calendrier de programmation, toujours avec cette stratégie très offensive. Ce n'est pas encore le cas pour les films, il est vrai. Cela viendra forcément.
Par contre vous diffusez bon nombre de documentaires en exclusivité. Est-ce parce que le "sujet" d'un documentaire est un argument plus facilement identifiable et recherché ?
C'est vrai ! Le genre du documentaire est une catégorie très intéressante pour nous, quel que soit le territoire. Par exemple un de nos récents succès est le documentaire The Square. Et nous sommes très fiers d'un autre documentaire à venir, intitulé Virunga. Nous pensons qu'il pourra intéresser un public international. C'est une histoire très puissante à propos d'une unité de soldats protégeant les derniers gorilles des montagnes à l'intérieur d'une réserve naturelle du Congo. Pour nous il s'agit d'un film important, en prise avec la réalité actuelle.
A chaque fois qu'une série est annulée aux Etats-Unis, les regards se tournent vers Netflix dans l'espoir que vous la récupériez...
Depuis notre reprise d'Arrested Development, cette discussion revient à chaque annulation de série en effet. Je reçois des centaines de mails par jour, des lettres provenant des quatre coins du monde pour différentes séries. Et je reçois toujours des cacahuètes pour Jericho ! (Rire) C'est très particulier de pouvoir faire "revivre" une série, laquelle peut être annulée à l'origine pour des raisons diverses... J'essaie de regarder ces mails et ces lettres, c'est très étonnant.
Je reçois toujours des cacahuètes dans le cadre de la campagne pour sauver "Jericho".
Pourquoi avoir sauvé "The Killing" et pas "Community" ? Quels sont les arguments et la réflexion derrière ce type de décision ?
Chez Netflix, The Killing avait une audience très importante. Si on gardait la qualité artistique de la série et si on réussissait à conserver pour cette nouvelle saison une partie des habitués de Netflix qui la regardaient déjà, l'équation était sur le papier forcément positive pour nous. Pour Community, l'argument était différent. Le producteur avait déjà un accord en place avec une autre plateforme portant sur les anciens épisodes. Nous n'avions pas l'audience "chez nous", cela n'avait pas de sens pour Netflix.
Quelle est la liberté créative laissée aux créateurs de série ? Je pense par exemple à "Sense8" que les Wachowski développent pour Netflix et qui sont réputés très "mystérieux"...
Presque 100% de liberté créative. Nous essayons de créer un environnement dans lequel ces créateurs peuvent pleinement s'exprimer. Parfois cela signifie que nous devons faire un travail très collaboratif. Parfois cela consiste à leur donner de l'espace pour évoluer. Netflix est, en son coeur, bâti sur une philosophie "de liberté et de responsabilité". Nous engageons les meilleurs raconteurs pour faire les meilleures séries et nous leur donnons la liberté de le faire, même si bien évidemment nous nous tenons mutuellement au courant de l'évolution du projet.
Comment et pourquoi avez-vous choisi "Marseille", votre première série française ?
De la même manière que pour House of Cards. Marseille est une ville très animée. Chaque pays a "sa" Marseille. Les thèmes de la série sont assez universels, avec une teinte shakespearienne. Le scénario est signé par un auteur (ndlr : Dan Franck) avec lequel nous avons une belle histoire commune avec Carlos, une oeuvre pour laquelle j'ai une vraie fascination d'ailleurs. Florent Emilio Siri, le réalisateur, a une carrière cinématographique plutôt réussie. La nuit dernière (ndlr: cet entretien a été réalisé le lundi 15 septembre, lendemain de la diffusion de Cloclo sur TF1), nous avons d'ailleurs revu à la télévision son film Cloclo. Un monde intéressant, un scénariste en lequel nous avons confiance, un réalisateur excellent et un producteur (ndlr : Pascal Breton) sur lequel nous pouvons vraiment compter. C'est la base de notre pari pour Marseille.
Comment supervisez-vous une série française ? Elle vient d'une culture et d'une Histoire spécifique, les us et les coutumes de la production diffèrent...
Le producteur sera pleinement chargé de superviser la série. Nous chapeauterons tout cela avec délicatesse.
Nous devons nous concentrer d'abord pleinement sur "Marseille" avant de nous lancer dans une autre série française.
Allez-vous développer d'autres séries françaises exclusives ?
Oui. Mais pas tout de suite. Nous devons d'abord nous concentrer sur Marseille, une série vraiment ambitieuse.
Quand "Marseille" sera-t-elle disponible ?
Elle sera disponible partout dans le monde à la même date. Nous ne savons pas encore quand. L'écriture en France est un processus léger et rapide, tout comme le tournage. Nous aimerions le ralentir un peu et prendre exemple sur le cinéma.
Pourtant en France on se plaint souvent, et à raison, de l'attente entre deux saisons par exemple...
Je parlais du tournage spécifiquement. Les modes de production d'une série diffèrent d'un pays à l'autre. Aux Etats-Unis, au centre du modèle il y a cette "writers room", cette pièce symbole du processus d'écriture permettant justement de se projeter assez facilement d'une saison à l'autre. Mais l'écriture en elle-même et le tournage sont longs. En Europe, il n'est pas rare qu'une série soit écrite par une seule personne. Cela veut dire aussi qu'il est compliqué de se projeter sur la saison suivante.
La saison 5 d'"Arrested Development" a été annoncée. Vous me le confirmez ? Et si oui, quand pourra-t-on revoir les Bluth ?
Nous avons toujours envisagé la possibilité de faire plusieurs saisons d'Arrested Development. Mais je n'ai pas encore de planning précis. Les acteurs sont très pris par leurs carrières respectives. Jeffrey Tambor vient de débuter une nouvelle série (ndlr : Transparent), Will Arnett et Tony Hale ont leurs propres shows (ndlr : The Millers et Veep), ils ont tous déjà un métier à plein temps. Les rassembler et synchroniser les agendas est un gros challenge. On espère pouvoir le faire d'ici la fin de l'année 2015 ou début 2016. Mais rien n'est sûr encore.
Après "Daredevil", la prochaine série Marvel sur Netflix sera "Jessica Jones".
Avez-vous déjà vu les premières images de la série "Daredevil" ?
Bien évidemment ! Le tournage de la saison 1 est très avancé. C'est magnifique. Les scènes d'action sont incroyables. Nous croyons beaucoup en cette série et nous sommes très investis. Cinq séries sont prévues dans ce programme Marvel, chacune aura plusieurs saisons et tous les super-héros se retrouveront dans la mini-série, The Defenders. C'est à peu de choses près le même modèle que pour The Avengers mais pour la télévision. Nous sommes très excités. Les séries sont supervisées par Marvel Television et elles sont très importantes pour la stratégie du studio. On ne se refuse rien pour cette série Daredevil. Les téléspectateurs risquent d'être vraiment surpris par sa noirceur, je pense. Et aussi par sa rudesse et par le ton, beaucoup moins "cartoon" que ce qu'on a pu voir dans le passé. La série Daredevil est très fidèle au comic original. Et les premières images au Comic Con de New York le confirmeront.
On connaît le programme général des séries Marvel pour Netflix. Pouvez-vous juste me confirmer quelle est la prochaine série après "Daredevil" ?
Jessica Jones. Après il y aura Iron Fist...
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 15 septembre 2014.
La bande-annonce d'"Orange is the New Black", un des gros titres du catalogue du Netflix français :