AlloCiné : Le Festival du film francophone d'Angoulême vous a mis à l'honneur à travers un "Focus". Est-ce la première fois que vous avez l'occasion de vous rendre à ce festival ?
Laurent Cantet : C’est mon premier séjour au Festival d’Angoulême. Ca commence très fort puisqu’il s’agit d’une rétrospective, qu’il y a 5 films qui passent dans la semaine. C’est quelque chose d’un petit peu étrange. D’un seul coup, en une semaine, j’ai une espèce de concentré des 15 dernières années de ma vie professionnelle, mais aussi un peu personnelle. Dans mes premiers films, mes enfants jouaient un rôle, je les retrouve sur l’écran tout petits alors que maintenant ils ont beaucoup grandi. D’un seul coup, il y a plein de choses qui se télescopent. Et même les idées que je pouvais avoir à l’époque, ça me replonge dans des préoccupations qui ont peut être un peu bougé depuis.
Vous n’avez pas l’habitude de revoir vos films ?
Non. Il m’est arrivé d’en revoir un petit morceau de l’un ou de l’autre, mais j’ai beaucoup de mal à me retrouver face à eux.
Vous avez une rentrée particulièrement chargée! Vous allez enchainer les festivals de la rentrée…
Oui, je viens de terminer un film que j’ai tourné l’hiver dernier à Cuba, qui s’appelle Retour à Ithaque. Nous avons la chance d’avoir été sélectionné à Venise dans la sélection Venice Days, d’être aussi à Toronto la semaine d’après, et de finir à San Sebastien et à Biarritz au Festival du film ibérique. C’est un début d’année très agréable. Ce film, personne ne l’a vu pour le moment, mis à part les sélectionneurs des festivals.
Alors venons en justement à ce film, "Retour à Ithaque", qui a un point commun avec un de vos précédent film, le court métrage que vous aviez réalisé pour "7 jours à la Havane"…
Il y a 3 ans, j’avais tourné un des segments du film 7 jours à la Havane. Les scénarios de ces différents courts métrages étaient chapotés par un auteur cubain que j’aimais beaucoup déjà pour avoir lu pratiquement tous ses livres, Leonardo Padura. Nous avions commencé à travailler ensemble sur un projet de court métrage. Très rapidement, j’ai senti qu’un court métrage ne suffirait pas pour l’histoire que nous avions envie de raconter, ou plutôt pour bien la raconter. J’ai proposé à Leonardo d’arrêter de travailler sur ce projet là dans l’optique du court métrage, de le garder de côté et que, dès que je le pourrai, on se remettrait à travailler ensemble sur le scénario.
C’est effectivement ce que nous avons fait. J’ai réécrit un autre scénario pour le court métrage. Et dès que Foxfire a été terminé, dès que je l’ai pu, Leonardo est venu à Paris. On a travaillé ensemble à l’écriture, puis on a échangé par mail un certain nombre de versions du scénario. Et voilà, l’histoire a finalement pris corps pratiquement 3 ans après avoir été ébauché.
Comme dans la plupart de mes films, c’est à nouveau une histoire de bande, mais un peu plus vieille que d’habitude
Pouvez-vous nous parler de l’histoire ?
Le dispositif est très simple. Cinq personnes se retrouvent. L’un d’entre eux vient de passer 16 ans d’exil en Espagne, et revient pour la première fois à la Havane où il retrouve cette bande de copains qu’il avait avant de partir, qui représente tout son passé, avec lesquels il a eu un lien d’amitié excessivement fort. Comme dans la plupart de mes films, c’est à nouveau une histoire de bande. Là, la bande est un peu plus vieille que d’habitude. Ils ont tous entre 50 et 60 ans. A travers leurs histoires croisées, on va revisiter toute l’histoire récente de Cuba, tous les espoirs que cette génération a pu mettre dans la révolution, toutes leurs désillusions, toutes leurs aigreurs, et puis aussi quand même la force de cette amitié qui va leur permettre aussi de dépasser un certain nombre de règlements de compte qui ont lieu au cours de cette nuit.
Avez-vous de nouveau fait appel à des comédiens essentiellement amateurs ?
Non. Cette fois, les cinq comédiens principaux du film sont tous des comédiens professionnels. Ce sont même un peu des stars du cinéma cubain. Là, ça me semblait assez indispensable d’avoir des gens qui étaient capables de tenir un monologue de 3 ou 4 minutes parfois. L’autre difficulté, c’est que le film est en espagnol, et du coup, j’avais besoin aussi de pouvoir m’appuyer sur des gens dont je savais que le texte n’allait pas être un problème pour eux. Même si je parle espagnol, il y a quand même des subtilités dans les dialogues qui sont très importantes. J’ai eu la chance de travailler avec des acteurs qui connaissaient l’ensemble du texte comme si c’était une pièce de théâtre qu’ils allaient jouer le soir. Ca a été très efficace.
J'ai l'impression d'avoir trouvé une façon de tourner qui me correspond très bien
Au niveau du dispositif, est-ce que vous avez tenté de nouvelles choses, ou au contraire, essayé de prolonger des choses que vous aviez déjà expérimentées par le passé ?
Non, là j’ai l’impression d’avoir trouvé une façon de tourner qui me correspond très bien. D’avoir plusieurs caméras, là on en avait deux. De pouvoir laisser les acteurs finalement très libres au sein de ce dispositif technique. D’avoir la possibilité de faire des prises très longues.
Au début du tournage, ça surprenait beaucoup les acteurs à qui je demandais de faire la scène du début à la fin à chaque fois. Très rapidement, au bout de trois jours, lorsque je leur demandais de refaire une petite phrase que j’avais le sentiment de ne pas avoir bien eu jusque-là, ils disaient « non, non, on recommence au début ». C’est vrai que c’est un moyen pour eux d’être totalement dans la logique de la scène, d’être dans l’énergie juste parce qu’on la reprend au début. Il y a quelque chose qui évolue de manière presque naturelle.
Est-ce que ça a été compliqué de tourner à Cuba ?
Non. Nous avons présenté le scénario à l’ICAI (Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographique), qui est le bureau du cinéma qui centralise un peu tout ce qui se fait en cinéma à Cuba. Le scénario a été accepté par les autorités, même s’il a des accents très critiques vis-à-vis de ce qu’il s’est passé ou ce qu’il se passe parfois encore à Cuba.
Le scénario a été accepté par les autorités, même s’il a des accents très critiques vis-à-vis de Cuba
Il y a eu une volonté de la part du pays de nous laisser travailler et faire ce qu’on avait envie de faire. Et par la suite, oui, c’est plus difficile d’improviser quand on sait que ne serait-ce qu’une rallonge pour aller brancher un projecteur est plus difficile à trouver que quand on est à Paris. Il y a des problèmes d’intendance plus compliqués, mais ça a été quand même relativement agréable et simple.
Avez-vous beaucoup de décors différents ?
Le pari que j’ai fait, c’est de tourner dans un décor unique, qui est une terrasse qui domine la Havane. C’est un toit où l’un des personnages de l’histoire a fabriqué une espèce de terrasse qui était le lieu de rendez-vous de la bande il y a déjà 15 ans. Ils se retrouvent à cet endroit qui est un lieu assez incroyable car d’un côté, il y a la mer qui devient noire au cours de la nuit, et qui représente cette ouverture souvent impossible vers l’extérieur, qui matérialise aussi l’insularité de Cuba. Et de l’autre côté, il y a une autre mer, qui est une mer de toits, toits-terrasses, avec des gens qui vivent-là, des enfants qui jouent... Et beaucoup de sons qui arrivent de la rue. Comme si la ville s’invitait sur cette terrasse. C’est un procédé assez théâtral, une espèce d’unité de lieu et de temps, qui pour moi était un peu le seul moyen de raconter cette histoire en lui accordant toute l’attention que j’avais envie qu’on lui apporte.
Est-ce que la sortie est déjà prévue là-bas ?
Non. Pour le moment, le film va être montré dans les quelques festivals dont on a parlé. J'espère aussi qu'il sera présenté au Festival de La Havane en décembre. Il sort en France le 3 décembre, ainsi qu'en Italie et un certain nombre de pays européens à peu près au même moment.
Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême, le 25 août 2014
La bande-annonce de "7 jours à La Havane" avec un segment réalisé par Laurent Cantet :