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Dans L'Amour est un crime parfait, Mathieu Amalric retrouve les Frères Larrieu pour la quatrième fois. Mais, cette fois-ci, l'ambiance est teintée de secrets, de mensonges et de crime. En pleine montagne suisse, l'acteur, prochainement à l'affiche de The Grand Budapest Hotel, campe en effet un étrange professeur de littérature. Grand amateur de jeunes filles (surtout si elles suivent son cours) et fumeur invétéré, Marc est un cinquantenaire qui vit encore avec sa soeur dans le chalet de leur enfance. Lorsqu'un jour, Barbara, sa dernière conquête en date disparaît, les questions commencent à s'accumuler (Marc serait-il coupable ? Cacherait-il quelque chose ? Où est passée Barbaré ?). Jusqu'à ce qu'un beau jour, Anna (Maïwenn), la belle-mère de la jeune disparue, débarque dans la vie de Marc...
Allociné : L'art des mots est très important dans le film, non seulement parce que l'histoire est adaptée d'un roman de Philippe Djian mais aussi parce que la littérature fait partie intégrante de la vie de Marc. Avez-vous lu le roman 'Incidences' pour vous imprégner du personnage ?
Mathieu Amalric : J'ai lu le livre après avoir fait le film. Je n'ai pas eu envie de le lire avant parce que je préférais être dans leur tête à eux [Ndlr : les Frères Larrieu]. Et pas dans leur cuisine, de savoir s'il y avait eu "fidélité, pas fidélité au roman", toutes ces questions. C'est eux qui avaient fait le boulot. Moi, je voulais être dans leur monde à eux. Mais, en le lisant après - et ils me l'avaient dit pendant le tournage - tout ce qui concerne les cours que donnent Marc, ne sont pas dans le livre. Il n'y a rien. On ne sait pas ce qu'il enseigne. Ce n'est jamais dit. On sait qu'il enseigne l'art d'écrire - ou peut-être l'art d'aimer comme il dit - à des jeunes filles. Ca c'est dans le roman, mais c'est tout. [Les Larrieu] ont eu envie de nourrir les cours, d'où cet écrivain japonais dont Marc parle à un moment donné, toute l'histoire sur les sirènes, sur Barthes et surtout - je trouve ça tellement beau dans le film - sur l'âge d'or, sur l'écriture automatique, sur l'amour fou, sur Buñuel et Breton...
"Ca ressemble tellement aux frères Larrieu d'avoir créé ce petit îlot de résistance"
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Ca ressemble tellement aux frères Larrieu, ça. D'avoir créé ce petit îlot de résistance que serait le cours de Marc. Non seulement parce qu'il est menacé dans son existence même, mais surtout parce qu'il a envie de montrer à ses étudiantes un moment de pur instant, qu'il n'y aurait pas forcément de stratégie narrative, de storytelling, tandis que son directeur, l'ignoble Denis Podalydès, fait venir les parangons de l'efficacité [américaine]. Et ça... L'air de rien, ils font passer quelque chose.
Mais finalement, c'est pour ça qu'ils ont une aussi jolie manière de filmer les paysages, les corps et les visages. Ils ont une tel foi, un tel amour du cinéma qui fait que ce dont on se souvient d'un film, ce qu'on en ressent, ce sont des choses beaucoup plus souterraines. Si un film vous a attrapé, ce n'est pas forcément son histoire. L'histoire, c'est un porte-manteau. J'ai l'impression que de voir ce gouffre dans la montagne, de voir la classe qu'il emmène au sommet, de voir la neige comme ça qui tombe... Ca va raconter des choses qui sont tellement souterraines dans l'expérience d'un spectateur. Un film n'est fait que de miracles, de choses non prévues, non contrôlables. Ils croient en ça. Du coup, d'avoir mis tout ça dans le cours de Marc, ce n'est pas pour rien.
"Un film n'est fait que de miracles, d'imprévus. Les Larrieu croient en ça"
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Le film fait également en sorte de nous faire oublier l'enquête criminelle autour de la disparition de Barbara. On suit Marc dans son sillon et, comme lui qui est obnubilé par son nouvel amour, on oublie. Est-ce qu'à un moment donné, vous vous êtes dit : "Où on va ? Va-t-on laisser l'histoire criminelle de côté ?"
Non, je ne me suis pas posé ces questions-là. Mais c'est vrai... Après avoir fait tout le travail technique, d'athlète sur l'apprentissage du texte pour être vraiment le plus disponible aux réalisateurs, qu'ils puissent faire de moi ce qu'ils veulent... Une fois ça de fait, j'ai juste essayé d'être dans l'état, presque d'une révélation physique suscitée par quelque chose qui est nouveau pour lui. On parle du mot "amour", qui est incompréhensible, innommable et on ne sait pas ce que c'est. Mais, quelque chose le dépasse, oui. J'aime beaucoup la scène dans laquelle ils viennent de faire l'amour avec Anna et c'est une révélation du plaisir physique. On n'en parle pratiquement jamais concernant les hommes, [alors que] c'est quelque chose de tellement traité, "traité" justement, le mystère du plaisir féminin. On est des garçons, c'est un film de garçons. Et cette chose de faire dire cette phrase à un garçon : "Je n'ai jamais joui aussi longtemps", il fallait vraiment y croire. Et ça m'a fait plaisir, car je suis allé à des projections et les gens ne rient pas, ils sont dedans. [J'ai voulu] essayer d'arriver à cet état-là de croyance précieuse, [de montrer] ce que c'est cette épiphanie-là. Parce que chez les hommes, c'est pareil.
"J'ai essayé d'arriver à cet état de croyance précieuse"
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Le film dépeint aussi une sorte de société de petits bourgeois et on le voit pleinement lorsque Marc et Marianne se rendent à un "buffet nordique" organisé par Richard, leur patron (joué par Denis Podalydès)...
C'est très drôle ça [cette idée de buffet nordique]... On a tourné en Suisse, c'est vraiment un autre monde, c'est très exotique. Les salaires sont hauts même si Marianne et Marc vivent encore dans le chalet de leurs parents, qui est un endroit très beau, chaud, un beau foetus, la tanière comme dit Barbara au début. Et il y a cet espace vitré, transparent a priori mais si opaque de l'Université faite de courbes et a priori froid. Ils gagnent bien leur vie... Les voitures de Podalydès, ce n'est pas possible quoi... Et la manière dont il est habillé là... [Il fait une expression dégoûtée]
C'est drôle que le personnage vous hérisse autant les poils qu'à Marc dans le film !
Là, j'avoue que je ne peux pas le regarder autrement que par les yeux de Marc... "Tu touches pas à ma soeur toi". De l'imaginer en train de baiser, c'est juste pas possible pour Marc. A un moment, il dit [à sa soeur, jouée par Karin Viard] : "Un jour, il sera là en train de chanter sous la douche, et c'est ce qui arrive dans cette scène d'adieu, dans ce dernier regard entre les deux et qu'on les entend... Ahh, je l'imagine tout nu... Qu'est-ce que c'était drôle quand ils devaient faire le son de la "baise", quand Marc monte et les entend en train de faire l'amour. Bon après, ça, c'est la magie du cinéma si vous voulez, c'est le décalage qu'il y a entre les fous rires, les fous rires de Denis et Karin dans une pièce. C'est Karin qui n'en pouvait plus. C'était tellement drôle de les entendre.
Et les scènes avec Sara Forestier, c'était drôle aussi ?
Ohh ! Alors, Sara c'est l'ouragan. Sara, c'est la surprise absolue, tout peut advenir. Elle a un sens du tempo, du scénario. Elle amène des choses incroyables. Dans la piscine, il fallait finir la scène et c'est elle qui a eu l'idée d'enlever tout à coup sa culotte et de la jeter ! C'est elle. Ou l'idée de me foutre une baffe ! Parce que vous ne savez absolument pas ce qui va vous arriver... Moi j'adore ça. Elle me fout des baffes ! On ne savait pas ! Je ne savais pas du tout ce qu'elle allait me faire. Mais ça allait très bien avec [son personnage]. Elle est d'une générosité, d'une intelligence pour le film, pour ce que ça raconte. C'est quelque chose. J'avais tous les plaisirs différents [dans ce film]. C'est pour ça que les Larrieu...
Avec Maïwenn, c'était autre chose. La pudeur physique de Maiwenn... Comment on fait pour jouer [un état amoureux], comment faire pour s'embrasser ? Ca lui coûte. Donc, allons vers le faux. C'est faux donc on peut le faire pour de vrai. Donc, allons-y on le fait pour de vrai. Donc, tu me pousses dans l'arbre. Puis, elle y va. C'est un jeu très amusant...
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Le film tourne aussi énormément autour de la cigarette. Vous semblez fumer autant que Marc dans le film, ça n'a donc pas été un problème ?
(Rires) Non, ça n'a pas été un problème. Les frères Larrieu aussi fument. "Le fumeur cherche l'unité de lui-même dans le paysage", André Breton [Ndlr : il s'agit également d'une citation de Marc dans le film]. C'est assez pratique comme phrase pour se débarrasser des soucieux des finances publiques. C'est vrai que c'est très difficile de dissocier parfois la pensée et la fumée, c'est surtout le mouvement de la fumée en fait. C'est pour ça qu'il doit parler de paysage. On ne sait pas où ça va aller, c'est pris par les courants d'air. Ca a vraiment à voir avec le mouvement de la pensée, je trouve.
"Les plus grands, ce sont les comiques"
Quels ont été vos films préférés en 2013 ?
J'adore 9 mois ferme ! Pleurer de rire comme ça... Le boulot de précision. Les plus grands, ce sont les comiques. On oublie toujours. Mon admiration, c'est toujours les comiques. Je suis stupéfait par la précision. Le film ne dure qu'1h 22 ! Tout ce qu'il a enlevé pour arriver à ça... C'est barré. Normalement, ça ne passe pas, ça ne devrait pas passer un truc pareil. Et pareil, un personnage sur le déni aussi. Elle est dans le déni du corps. Il n'y a pas de morale à la fin, il y a une méfiance du romanesque, des codes habituels de la comédie moralisatrice. Il ne prend pas les gens pour des cons. Il y a aussi le Lanzmann [Ndlr : Le dernier des injustes] que j'ai pu aller voir, sur ce personnage qui fait qu'on sort avec des questions sur le bien et le mal, beaucoup plus complexes que tout ce qu'on peut imaginer. Et puis, on voit une amitié à l'oeuvre, entre Lanzmann qui commence à sombrer doucement en amitié pour cet homme. Il y a quelque chose d'assez beau. Et puis là, j'ai surtout vu des films de Howard Hawks, des films RKO, mais pas au cinéma. Je n'ai pas beaucoup pu aller au cinéma. Il y a un film aussi que j'ai beaucoup aimé, un documentaire sur la pianiste Martha Algerich. Je l'ai vu en Suisse pendant le tournage justement. Un film réalisé par sa fille, Stephanie [Bloody Daughter, de Stephanie Algerich]. Une fille sur sa mère qui est une déesse du piano, c'est d'une beauté...
Propos recueillis par Raphaëlle Raux-Moreau, le 18 décembre 2013 à Paris
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