"C'est comme Les 7 mercenaires mais avec des psychopathes..." : voici comment la tagline de l'affiche résume bien, en quelques mots, le ton du deuxième long métrage de Martin McDonagh. Les psychopathes y sont en effet nombreux sur la pellicule (y compris ceux qui s'ignorent), et le metteur en scène leur offre des dialogues bien sentis et bourrés d'humour noir, qu'il avait déjà imaginés il y a de nombreuses années. Explication...
Allociné : "7 Psychopathes" est un projet que vous avez écrit il y a quelques années, en même temps que le scénario de "Bons Baisers de Bruges". Pourquoi a-t-il mis si longtemps à voir le jour ?
Martin McDonagh : J'ai écrit le scénario juste après avoir fini celui de Bons Baisers de Bruges, dont je n'avais pas encore entamé le tournage, donc j'ai eu à choisir quel film j'allais faire en premier. Et celui-ci m'a semblé trop complexe pour un premier long métrage, car il y avait beaucoup de personnages, des fusillades, des explosions... C'était quasi-impossible pour un baptême du feu. Bons Baisers de Bruges, de son côté, ressemblait plus à une pièce, avec ses trois personnages et son environnement unique, donc j'ai choisi de débuter avec celui-ci car c'était plus facile. Mais j'ai toujours voulu revenir vers 7 Psychopathes et j'ai laissé passer un peu de temps avant de m'y remettre progressivement, en sachant que j'ai également monté une pièce à New York dans le même temps. Donc au final je n'ai pas vraiment attendu avant de faire ce film : c'est juste que d'autres occasions se sont présentées entre-temps, et que je souhaite vraiment prendre un long métrage après l'autre. J'ai d'ailleurs un autre scénario de prêt, mais je vais encore attendre quatre ans avant de le mettre en scène.
"Bons Baisers de Bruges" vous a-t-il servi de carte de visite auprès des producteurs pour "7 Psychopathes", en leur montrant ce que vous saviez faire en terme de mise en scène ?
Non, je ne crois pas vraiment en ce genre de choses, car on doit uniquement le faire par amour de son travail et non l'inscrire dans un projet plus large. Quand j'ai fait mon premier court métrage, Six Shooter, avant Bons Baisers de Bruges, je n'ai cherché qu'à faire un bon court, et non me constituer une carte de visite. Sinon on en arrive à voir 7 Psychopathes comme une carte de visite pour Avengers 2, qui devient aussi celle d'un nouveau Batman. Ceci dit j'ai aimé montrer Six Shooter, pour faire comprendre que ça avait été amusant à faire. Mais c'était plus pour moi que pour quelqu'un d'autre.
Comment avez-vous eu l'idée de "7 Psychopathes" ? Ou plutôt les idées, car on a l'impression de voir plusieurs histoires en une.
La première histoire qui m'est venue en tête est celle du Quaker (Harry Dean Stanton), que j'ai mise sur le papier il y a quelques années, tout comme celle de Zachariah, joué par Tom Waits. Donc j'avais déjà un, voire deux psychopathes, sur les sept que je cherchais à atteindre. Mais, comme le personnage de Colin Farrell, je ne savais plus trop où aller après, même si je voulais qu'il ne soit pas uniquement question de violence et de flingues, mais plus de pacifisme et de Ghandhi. Et c'est comme ça que le film a commencé à naître dans mon esprit.
Vous parliez du personnage de Colin Farrell, un scénariste qui s'appelle Marty. Est-ce une façon pour vous de dire que le film est quelque part basé sur votre propre expérience ?
Non, pas vraiment. En tout cas pas sur mon expérience à Hollywood vu que je n'y suis jamais vraiment allé, à part pour des réunions, dans la mesure où Bons Baisers de Bruges était une production européenne. De plus, je vois son personnage comme un écrivain qui travaille avec des studios, qui lui disent quoi faire. Ça provoque quelques conflits internes chez lui, et moi je n'ai pas eu à faire à ça. En revanche, nous partageons cette envie de faire des films lents et paisibles, même s'il est aussi question de violence et de danger. Je me retrouve en lui dans cette lutte entre la paix et les événements dramatiques qui doivent faire avancer l'action.
On ressent cette lutte dans le film, qui en est même quasi-schizophrénique, dans la mesure où les dialogues remettent en question des événements passés ou à venir. Avez-vous eu du mal à ne pas vous perdre dans les différentes couches du scénario ?
Non, car j'ai vraiment aimé parler de mon propre film à travers les dialogues. C'était réjouissant. Il faut juste faire en sorte de rester honnête vis-à-vis de cet instant et de votre travail en général, pas que ce soit artificiel.
Vous êtes vous plongés dans d'autres méta-films, des longs métrages qui parlent d'autres ou de cinéma en général, pour mettre le vôtre sur pied ?
Non, j'essaye d'éviter ce genre de choses. J'avais vu Adaptation [de Spike Jonze, ndlr], il y a quelques années, mais je ne l'ai pas revu au moment de 7 Psychopathes. Mais d'autres longs métrages m'ont quand même inspiré, car j'ai pensé au Bon, la Brute et le Truand pour la séquence dans le désert, ou La Nuit du chasseur pour le flashback autour du Quaker. Mais c'était bien plus ce genre de longs métrages que des méta-films.
Aviez-vous Colin Farrell en tête au moment d'écrire le scénario ?
Non, car je l'ai écrit avant que nous fassions Bons Baisers de Bruges ensemble, et que je ne le connaissais pas auparavant. C'est sur le tournage que nous avons eu envie de recollaborer et à partir de là, j'ai légèrement réécrit son personnage, qui était américain à la base : pas pour lui donner sa voix en particulier, mais le phrasé d'un Irlandais. Mais je n'ai rien changé sinon. Je n'écris pas en pensant à des acteurs en général, mais j'aime beaucoup Sam Rockwell, et je trouvais stimulant d'avoir sa façon de parler en tête au moment d'écrire, surtout avec un personnage tel que le sien, qui peut être drôle puis dangereux en l'espace de deux secondes. Donc c'était utile dans ce cas, mais sinon je ne procède pas ainsi, même si j'aimerais beaucoup écrire à nouveau pour Christopher Walken, avec qui j'avais déjà travaillé sur une pièce.
Vos deux réalisations font un peu penser à celles de Quentin Tarantino, car elles reposent plus sur les dialogues que l'action, tournent autour de gangsters... Est-ce un cinéaste qui vous inspire ?
Pas vraiment. J'aime beaucoup Pulp Fiction et Reservoir Dogs, et j'avoue que 7 Psychopathes leur ressemble dans sa structure, mais la comparaison s'arrête là et la grosse différence entre nos deux cinémas repose sur le rapport à la violence : comme les personnages de Colin Farrell dans Bons Baisers de Bruges et 7 Psychopathes, j'essaie de me tenir à l'écart des flingues et des fusillades, que je juge un peu ridicules, et je ne suis pas sûr que Quentin soit du même avis...
Pensez-vous que les films français sont aussi ennuyeux, comme le sous-entend Sam Rockwell dans "7 Psychopathes" ?
(rires) Non, non ! J'adore des réalisateurs tels que Robert Bresson ou Jean-Pierre Melville, et certains de mes films préférés sont français, à l'image d'Alphaville [de Jean-Luc Godard, ndlr], que je trouve incroyable. Dans 7 Psychopathes, c'est une blague qui traduit la façon dont le personnage de Sam Rockwell voit les films français, et critique d'ailleurs le point de vue des Américains à ce sujet. Du coup j'imagine que ça pourra faire grincer des dents en France, mais il faut vraiment le prendre comme une plaisanterie.
Quels sont vos personnages de psychopathes préférés de l'Histoire du cinéma ?
Il y a Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur bien sûr. Martin Sheen dans Apocalypse Now, car je trouve qu'il y a quelque chose de cool en lui, à moins que ce ne soit parce que j'adore le film. Travis Bickle [Robert De Niro dans Taxi Driver, ndlr] est assez incroyable lui aussi. J'aime aussi Eli Wallach dans Le Bon, la brute et le truand, mais je ne suis pas sûr que ce soit un psychopathe.
Ce n'est pas le pire, mais si.
Oui c'est vrai. Même le personnage de Clint Eastwood en est un.
Voilà, un psychopathe plus calme. Vous êtes également dramaturge : de quelle façon cela influence-t-il votre façon d'écrire et réaliser pour le cinéma ?
J'aime les dialogues et les acteurs et je pense que ça se sent ici car il y a beaucoup de texte et que j'ai fait en sorte que les acteurs ne soient pas dans la retenue. Je voulais qu'ils prennent du plaisir et se sentent libérés vis-à-vis de ce qu'ils avaient à dire. Donc je pense que mon travail au théâtre se ressent, au cinéma, dans l'importance que j'accorde aux comédiens et aux dialogues.
Que pouvez-vous nous dire sur votre prochain scénario, histoire de rendre les quatre années d'attente plus longues encore ?
Le scénario est terminé, et il tourne autour d'un personnage féminin fort, d'environ 55 ans. Je le situe dans la lignée de Bons Baisers de Bruges, car il y aura le même humour et le même type de décalage. Mais j'ai envie de faire d'autres choses que j'aime d'abord, et m'y remettre d'ici deux ou trois ans. Et puis ce sera aussi une façon de prouver que je peux mettre en scène des personnages féminins forts : c'était le cas dans ma première pièce de théâtre, mais beaucoup moins dans les films que j'ai réalisés ensuite (rires)
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 11 janvier 2013