Ses romans ne font pas partie de ces sagas pour ados que les producteurs s'arrachent avant même la parution du premier tome, mais c'est peu dire qu'Hollywood a longtemps fait les yeux doux à Lee Child, sans trop savoir comment adapter ses aventures de Jack Reacher, dont le 18ème opus est actuellement en cours d'écriture. En attendant, c'est le 9ème de la saga, "Folie furieuse", qui offre à ce flic un peu spécial ses premiers pas sur grand écran, sous les traits de Tom Cruise et la plume de Christopher McQuarrie, également réalisateur. L'occasion de revenir sur la genèse du long métrage avec Lee Child.
Allociné : Présentez nous un peu Jack Reacher. Qu'est-ce qui est différent chez ce héros ?
Lee Child : C'est un ex-policier militaire, qui a servi dans l'armée pendant quelques années avant de la quitter et de se retrouver dans le monde civil. Un monde qu'il ne connaît pas, auquel il n'est pas habitué et avec lequel il a du mal. Du coup il sillonne les Etats-Unis en essayant d'éviter les ennuis dans lesquels il se retrouve quand même fréquemment. Dans un sens, c'est un personnage plus ancien que ce qu'il ne paraît être : il est ce solitaire noble et légendaire, qui est apparu dans chaque culture et chaque période historique. Il est donc nouveau et frais en ce qui concerne son statut de détective, tout en restant familier, à cause de ses racines légendaires. Et sa plus grande différence avec les autres détectives de fiction, c'est qu'il n'a ni travail ni domicile. Il n'a donc pas de collègues, de supérieurs, de famille ou d'amis, ni même des voisins ou de chien puisqu'il ne vit nulle part. De ce fait, il est libre et toujours sur les routes, et c'est un fantasme puissant, cette idée de pouvoir partir en laissant tout derrière soi. Je pensais que cette donnée parlerait surtout aux hommes, mais il s'est avéré que les femmes ont la même ambition.
© Paramount Pictures France
Vous avez écrit 17 tomes, et travaillez actuellement sur le 18ème. Comment expliquez vous qu'Hollywood ait mis tant de temps à en faire un film ? Qu'est-ce qui a rendu l'adaptation si difficile ?
Ce genre de choses prend toujours un certain temps, car la production d'un film contient beaucoup de variables et qu'il faut pouvoir réunir tous les composants pour pouvoir débuter, ce qui ne se fait pas rapidement. Mais, selon moi, le plus gros souci avec le personnage de Jack Reacher, c'est que son principal attrait réside dans son esprit, sa façon de penser, son exentricité et son processus mental. Les lecteurs aiment penser en même temps que lui et voir de quelle façon il réagit, son instinct et son pouvoir de déduction, et c'est un gros challenge pour un scénariste ou un acteur, qui doivent trouver comment retranscrire ceci à l'écran. Il leur a aussi fallu du temps car ils attendaient de pouvoir le faire bien. J'aurais été démoralisé si c'était arrivé trop tôt, car ça aurait voulu dire qu'ils ne le prenaient pas assez au sérieux. Mais ça leur a pris plusieurs années, et j'ai trouvé ça positif, car ça m'a prouvé qu'ils étaient bien décidés à faire le film correctement. Plus le temps passait, et plus j'étais sûr qu'ils mettaient sur pied la meilleure équipe possible et que le résultat serait bon.
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En parlant de l'équipe, et notamment Christopher McQuarrie derrière et Tom Cruise devant la caméra : avez-vous été surpris, voire mal à l'aise, ou, au contraire, immédiatement emballé par cette idée ?
J'ai trouvé ça brillant ! Dès le début nous avions Don Granger, l'un des producteurs, qui a supervisé le projet et a férocement défendu ses intérêts. Et le second à y prendre part fut Christopher McQuarrie, qui a écrit un scénario tellement bon que quand Tom Cruise l'a lu, en tant que producteur, il a été estomaqué et a déclaré vouloir interpréter le rôle de Jack. A ce moment-là, j'avais l'un des meilleurs auteurs-réalisateurs du monde, la plus grande star de cinéma du monde, donc comment pouvais-je ne pas être content ? Là je me suis dit que le film serait super, et il l'est. Mais je ne m'en suis jamais inquiété car je reste persuadé que si l'on choisit les bonnes personnes et que le navire suit son chemin comme il faut, le résultat ne peut qu'être bon. Mais il est quand même normal de se faire du souci, car l'industrie du film est complexe et beaucoup de choses peuvent mal tourner, mais j'étais confiant et j'ai rassuré ceux qui s'inquiétaient quant au résultat.
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Avez-vous discuté avec Tom Cruise pour l'aider à s'imprégner du personnage ?
Non, car je savais qu'en essayant de contrôler le film ou juste d'y participer, j'aurais fait office de comité de décision. Or, Christopher McQuarrie est quelqu'un qui a besoin de travailler seul, et que le produit soit autant le sien que le livre est le mien. Il ne peut pas travailler en collaboration de cette façon, donc je lui ai dit d'emblée : "Chris, c'est ton film. Fais ce que tu as besoin de faire, et ne te soucie pas de ce que je vais en penser." Je pense que c'était un geste intelligent de ma part, car ça l'a libéré et le résultat me semble aussi bon que si j'avais fait le film moi-même.
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Aviez-vous un autre acteur que Tom Cruise en tête au moment d'écrire les romans ?
Oui, c'est très fréquent, au moment d'écrire ce genre de livres, de se demander qui est libre à ce moment-là et qui pourrait jouer votre personnage, donc plusieurs noms me sont venus à l'esprit. Mais je vois aussi Reacher comme une page blanche car ce que je recherche, en tant qu'écrivain, c'est que le lecteur fasse fonctionner son imagination, donc je laisse quelques vides au niveau du personnage, qu'il pourra combler ensuite. Du coup chacun s'en fait sa propre interprétation, et le film fournit lui aussi la sienne, qui est très bonne et se rapproche même d'une vision idéale.
Propos recueillis par Emmanuel Itier à Los Angeles en décembre 2012 - Traduction : Maximilien Pierrette
Lee Child, Tom Cruise et l'équipe de "Jack Reacher" à l'avant-première de Londres