Au cours de vos recherches et de vos entretiens, qu’avez-vous découvert que vous ne connaissiez pas sur Patrick Dewaere ?
Christophe Carrière : "Evidemment, en premier lieu, il y a cette histoire d'abus sexuel subi dans sa jeunesse. Ce n'est pas un scoop : comme je l'ai écrit, c'est noir sur blanc dans une interview donnée par sa dernière femme au magazine Première en 2002, et Gérard Depardieu l'évoque dans divers ouvrages. Ce n'est pas non plus une colonne vertébrale : il était hors de question d'articuler la vie de Dewaere autour de cela. Cette blessure est, à mon sens, à l'origine de son mal-être. La signaler dans un avant-propos était essentiel. Tourner autour aurait été sordide. J'ai également appris quel professionnel il était et l'intégrité morale qui l'animait. Il avait un profond respect pour son art et la manière de le pratiquer. D'où ses embardées contre les injustices - pas de César, et notamment pour Série noire !!! - et son exigence perpétuellement inassouvie - il était quasiment toujours déçu par les films qu'il tournait."
Si Patrick Dewaere était encore parmi nous, comment auriez-vous imaginé le reste de sa carrière sur ces trente dernières années ?
C.C. : "Il aurait joué dans La Femme de mon pote, Tenue de soirée, Mon homme et pas mal d'autres films de Bertrand Blier... Il aurait joué dans d'autres films d'Alain Corneau, aurait travaillé avec Guillaume Canet, Xavier Giannoli, Agnès Jaoui, Arnaud Desplechin, Claire Denis, Philippe Lioret, Patrice Chéreau... Les scénarios lui seraient systématiquement passés entre les mains, avec un distingo bien clair entre lui et Gérard Depardieu - les différences évidentes de sensibilité des deux auraient grandi avec le temps. Bref, il serait incontournable."
A vos yeux, quels sont les acteurs d’aujourd’hui à avoir la trempe d’un Patrick Dewaere ?
C.C. : "Il y a Nicolas Duvauchelle, Guillaume Canet, Jean-Paul Rouve, Vincent Cassel... JoeyStarr aussi peut-être... Il y en a beaucoup, ne serait-ce que parce qu'ils s'en inspirent, comme quasiment tous les comédiens depuis trente ans. Mais celui qui s'apparente le plus à Dewaere, sur la forme mais sur le fond également (pas pour les traumas, mais pour le côté intègre, grande gueule, direct, honnête), c'est sans aucun doute Vincent Lindon. D'aucuns le trouvent râleur et jamais content, ils ignorent le nombre de contrats à un million d'euros qu'il refuse pour des films idéaux pour un "prime" mais artistiquement pauvres. Il ne manque d'ailleurs pas de dire leur fait aux "auteurs" qui le déçoivent. Dewaere, lui, leur envoyait carrément le scénario dans la figure - pas toujours, mais il l'a fait. Et dans le métier, les insoumis, qui plus est intellectuellement intègres, sont considérés comme des moutons noirs. Pourtant, ils ont raison de ne pas suivre le troupeau, quand ledit troupeau, lui, a tort de ne pas suivre leur exemple."
Propos recueillis par G.M.
"Patrick Dewaere, une vie", auteur : Christophe Carrière, édité chez Balland, 250 pages, 18,90 €.
