Symbole de l'intellectuel engagé tel que l'on concevait dans la seconde moitié du XXe siècle, Jorge Semprun, écrivain et scénariste, est décédé à l'âge de 88 ans. Fils d'un avocat qui a fui le franquisme, Jorge Semprún, né à Madrid en 1923, arrive en France à 15 ans. Ayant intégré le réseau des FTP (Francs-tireurs et partisans), il sera arrêté, torturé et envoyé à Buchenwald en 1944. Il gardera le silence sur ce traumatisme jusqu'au Grand voyage, un livre publié en 1963. A cette époque, il effectue des voyages clandestins dans son pays natal pour lutter au sein du Parti communiste espagnol, dont il sera exclu en 1964 pour "déviationnisme".
Du temps de Montand
Cette expérience, contrastée, du militantisme nourrit un scénario qu'il signe pour Alain Resnais, habitué à collaborer avec des écrivains (Duras, Robbe-Grillet, Cayrol...) : La Guerre est finie (nommé à l'Oscar du Meilleur scénario en 1967, et lauréat du Prix Louis-Delluc) est une réflexion sur l'engagement, à travers le personnage de Diego, militant en proie au doute, incarné par Yves Montand -Semprun est un ami du couple que l'acteur forme avec Simone Signoret. "Ce que Jorge ne peut exprimer publiquement de ses désaccords avec la politique officielle, il le met dans le script", précisera Montand, qui confiera par ailleurs à propos de sa connivence avec Semprun : "C'est une histoire amoureuse. C'est quelqu'un que j'ai aimé comme on peut aimer une femme". (1)
Z puis L'Aveu
Trois ans plus tard, Costa-Gavras lui demande d'adapter un livre du Grec Vassilis Vassilikos : ce sera Z, vigoureuse dénonciation du totalitarisme inspirée par la Dictature des Colonels, avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant, une oeuvre qui connait un grand retentissement (et récolte un Oscar du Meilleur film étranger). Gavras, Montand et Jorge Semprún (à l'adaptation) refont équipe pour L'Aveu, attaque en règle contre les procès staliniens, à partir du livre-témoignage d'Artur London. Dans une France de 1970 en plein bouillonnement politique, le film marque et trouble les esprits.
De Stavisky à Romy
Dans les années 70, Jorge Semprún retrouve Alain Resnais pour Stavisky, portrait de l'escroc des années 30, et évocation du climat politique délètère de l'époque, et Costa-Gavras pour Section spéciale. Il travaille avec un autre fameux représentant de la "fiction de gauche", Yves Boisset (L' Attentat), revient aussi sur la Guerre d'Espagne en réalisant un documentaire (Les Deux mémoires, monté par Chris Marker), mais aussi avec le scénario d'un des films les moins connus de Losey, Les Routes du Sud -Yves Montand est encore du voyage. A la même époque, on lui doit les dialogues d'Une Femme à sa fenêtre, d'après un roman de Drieu La Rochelle, avec Romy Schneider.
A venir : un téléfilm sur sa vie
A partir des années 80, Semprun (Ministre de la Culture du socialiste Felipe Gonzales de 1988 à 1991) se consacre essentiellement à la publication d'ouvrages, parmi lesquels Montand, la vie continue (une biographie de son complice), Netchaiev est de retour (porté à l'écran par Jacques Deray) ou encore son plus fameux livre de souvenirs, L'Ecriture ou la vie, paru en 1994. En février dernier, Semprun s'était rendu à Luchon pour la présentation du Temps du silence, un téléfilm inspiré de sa vie, que France 2 doit diffuser prochainement. Récemment, on a aussi pu le voir témoigner dans Les Chemins de la mémoire, un documentaire sur le franquisme sorti en salles en mars -mise à jour : le téléfilm "Le Temps du silence" sera diffusé sur France 3 samedi 11 juin à 20h35.
Julien Dokhan