Elle incarnait l'élégance et l'exigence du cinéma à la française, avec une voix qui n'appartenait qu'à elle. Un mot pourrait résumer le charme singulier de Marie-France Pisier : éclat. L'éclat de sa beauté d'abord, qui a éclaboussé les écrans pendant 50 ans. Les éclats de rire, ensuite : les siens étaient inimitables, mélange de distinction et de folie douce. Les éclats de voix, aussi, qui n'effrayaient pas cette femme engagée, de gauche, féministe. Les éclats et les brisures d'une vie, enfin : celle de Marie-France Pisier est marquée par le suicide de ses parents, à quelques années d'intervalle. Plus tard, elle affrontera une autre épreuve, le cancer (elle reviendra sur ces expériences douloureuses dans un film, Comme un avion). Ces blessures étaient-elles totalement refermées ? Dans la nuit de samedi à dimanche, son corps sans vie a été retrouvée par son mari, dans la piscine de leur résidence de Saint-Cyr-sur-Mer, pour des raisons encore non élucidées.
Elle affichait une prédilection pour un cinéma d'auteur plein de sensibilité (celui de Truffaut, Rivette, Techiné), ce qui ne l'empêchait nullement de participer à des films très grand public comme L'As des As., aux côtés de Belmondo, qui la surnommait affectueusement "Marie-Pense Pisier, la star de la Cinémathèque". Egalement écrivain, et réalisatrice de deux longs métrages aux accents autobiographiques, elle continuait d'inspirer de jeunes cinéastes comme Christophe Honoré ou Maïwenn.
En octobre dernier, Marie-France Pisier était venue dans les locaux d'AlloCiné pour évoquer sa carrière à l'occasion de la sortie de "Il reste du jambon". Pleine d'humour, de charme, et avec une grande simplicité, elle s'était prêtée au jeu de la "biographie commentée". Retrouvez notre interview ci-dessous.
En 1961, François Truffaut recherche une adolescente pour donner la réplique à Léaud- Doinel dans Antoine et Colette, l'un des sketchs de L'Amour à vingt ans."La partenaire de Jean-Pierre doit être une vraie petite jeune fille, pas une lolita, pas une "blousonne", pas une petite jeune femme. Elle doit être simple et rieuse, et avoir une bonne culture moyenne. Si trop "sexy", s'abstenir", dit l'annonce. C'est grâce à une photo, sur laquelle elle se promène en famille dans les rues de Nice, que Marie-France Pisier, qui fait alors partie d'une troupe de théâtre amateur, est choisie par le cinéaste, tombé sous le charme.
On retrouvera le personnage de Colette dans L'Amour en fuite, la dernière aventure de Doinel -coécrite par la comédienne en 1979. L'élégante Marie-France Pisier, vue à ses débuts dans des films de genre de Robert Hossein, est alors devenue une égérie du cinéma d'auteur, apparaissant dans les univers oniriques de Robbe-Grillet, Buñuel, Rivette (l'enchanteur Celine et Julie vont en bateau, photo ci-dessus), Demy et surtout du jeune Techiné : elle obtiendra grâce à lui deux César du Meilleur second rôle, pour Souvenirs d'en France en 1976 et Barocco en 1977. C'est dans Souvenirs d'en France qu'elle lance une réplique qui restera fameuse : sortant d'une salle de cinéma où était projeté un film avec Garbo, elle s'exclame, en riant : "Foutaises !" En 1976, année de la consécration, les Césars récompensent aussi l'actrice pour sa prestation dans Cousin, cousine de Tacchella (photo ci-dessous), chronique sentimentale dont le succès aux Etats-Unis lui permet de tenter sa chance à Hollywood (The Other side of midnight).
Intellectuelle engagée dans les combats de son époque, Marie-France Pisier, diplômée en droit et science politique, prend aussi part à plusieurs succès populaires, dans lesquels son rire en cascade fait mouche. Partenaire de Bebel dans L'As des As en 1982, elle campe une productrice cynique dans Le Prix du danger. Plus rare dans les années 90, elle trouve cependant un de ses plus beaux rôles, celui d'une bourgeoise en mal d'enfant, dans Marion de Manuel Poirier en 1996. George Sand dans La Note bleue, elle interprète aussi Mme Verdurin dans Le Temps retrouvé de Ruiz. Pour ses deux passages derrière la caméra, elle se penche sur son histoire familiale : une enfance en Nouvelle-Calédonie (Le Bal du gouverneur, adaptation d'un de ses romans en 1990) et le décès de ses parents (Comme un avion en 2002).
De plus en plus en plus présente sur les planches, Marie-France Pisier, qui fut l'héroïne du feuilleton à succès Les Gens de Mogador en 1972, apparaît dans des séries audacieuses (Clara Sheller, Le Chasseur). Au cinéma, elle est sollicitée par la jeune génération pour des portraits de famille émouvants (Dans Paris de Christophe Honoré, photo ci-dessus), explosifs (Pardonnez-moi) ou amusants (Il reste du jambon ?). Au mois de mai prochain, elle devait participer à l'hommage qui sera rendu à Jean-Paul Belmondo au Festival de Cannes.
Julien Dokhan