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    "Fin de concession", la télé vue par Pierre Carles

    A l'occasion de la projection en avant-première de son nouveau film, "Fin de concession", dans lequel il s’attaque une fois de plus aux médias, Pierre Carles a pris le temps de répondre aux questions des spectateurs. Morceaux choisis.

    J’ai entendu dire que vous refusiez toute interview car le film a déjà à l’intérieur de son propos son autocritique...

    Pierre Carles : Je ne le fais pas par coquetterie, mais il me semble que ce serait rajouter du commentaire au commentaire. C’est vrai que le film a une dimension autocritique dans laquelle on s’interroge sur nos limites, sur nos faiblesses. C’est quelque chose qu’on tenait absolument à faire figurer dans le film avec toute l’équipe. Cela (les interviews) m’est donc un peu pénible et je pense qu’il aurait été préférable pour moi de ne pas aller présenter le film en salle. Mais si ces films existent c’est parce que des gens vont les voir au cinéma et je me sens un peu redevable.

    On entend beaucoup dire, en ce moment, que la critique des médias est arrivée à sa limite, qu'elle ne parvient plus à se renouveler...

    Oui, on est quelques-uns à établir ce constat, du fait que les grands médias savent comment digérer la critique. Ou alors ils s’en foutent totalement, comme le montre la séquence avec Franz-Olivier Giespert où je touche un peu le fond. On voit que ça ne le touche absolument pas que quelques hurluberlus comme moi et d’autres aient des propos très violents pour expliquer qui il est. Il s’en tape totalement. Donc il y a un moment où il faut se demander : Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on passe à autre chose ? Est-ce qu’on invente autre chose ? On ne renie pas pour autant ce qu’on a fait, cette critique était justifiée mais aujourd’hui il faut s’interroger sur ses limites. La séquence de fin, l’opération menée contre David Pujadas, est peut-être une tentative pas forcément réussie d’inventer autre chose. Le film montre tous nos tâtonnements et les choses qu’on essaie d’inventer. D’ailleurs mercredi prochain on sera à nouveau devant le dîner du Siècle à 19h, place de la Concorde pour tenter d’aller perturber leur petite cérémonie.

    Vous faites un peu le bilan de votre carrière. On sent comme une colère de votre part au début du film, et j’ai eu l’impression que cela partait dans une espèce de désarroi, de mélancolie tout au long du film...

    On a tenté de s’interroger sur les motivations et les raisons de nos actions, pas forcément très nobles (c’est vrai qu’au début je suis assez énervé). En tout cas il y a eu cette tentative de traiter cette matière autobiographique, avec le pari que ce que l’on raconte là me dépasse moi. C’est une histoire universelle, celle de ces gens qui ont cru à un moment donné renverser l’ordre établi et qui quinze ans plus tard s’interrogent sur l’efficacité de ce qu’ils ont fait. Est-ce qu’en vieillissant on peut rester aussi "rebelle" qu’on l’a été ? Est-ce qu’il n’y a pas des tentations qui s’offrent à nous (honneurs, flatteries…) ? Toutes ces hésitations, ces doutes sont devenus en partie la matière du film. On ne pouvait absolument pas le prévoir initialement.

    Vous avez dit que lorsque vous avez commencé à relancer cette enquête sur les médias, vous espériez que le film irait "ailleurs". Où exactement ?

    Non je me suis mal exprimé. On ne savait pas où allait nous mener ce film. Quand on a commencé il y a trois ans à travailler dessus, on faisait un remake de Pas vu pas pris. L’un des paradoxes de Fin de concession est que les spectateurs sont frustrés pas l’abandon de l’enquête à un moment donné, mais en même temps aucun film ne leur a jamais livré autant d’informations sur les rapports Bouygues-TF1-Sarkozy que celui-là. Mais la tournure qu’a prise l’histoire était quelque chose de complètement imprévu. L’interview avec Jean-Marie Cavada, par exemple, a été très déstabilisante pour moi.

    Donc vous revenez sur ce sujet des médias parce que personne d’autre ne le fait à votre place...

    Il y a d’abord des raisons pas très nobles pour lesquelles on refait des films, parce qu’on est énervé… Après, c’est vrai que ce travail-là, ne serait-ce que le travail d’archiviste, n’a pas vraiment d’équivalent. Je travaille avec une matière relativement riche et peu connue d’archives. Je suis déjà mon propre premier spectateur, cela m’énervait de ne pas partager ces archives. Ce boulot personne ne le fait mais c’est compréhensible pour des raisons légales. Il faut demander des autorisations qu’on n’obtiendrait pas, et donc passer outre, et il faut aussi une production indépendante de la télévision pour faire ce genre de films.

    Justement, comment vous vous en sortez légalement ?

    On verra le 27 octobre, jour de la sortie du film, si toutes les séquences figurent encore dans le négatif. Le film n’est pas blindé d’un point de vue juridique, il y a des choses qui sont susceptibles de recours en justice. On verra. A priori, je pense qu’il n’y aura rien dans la mesure où ces gens-là savent très bien qu’attaquer ce genre de film, c’est leur faire de la publicité. Et c’est un film qui va rester dans les salles indépendantes, qui sera vu peut-être par 50 000 personnes, donc cela reste relativement limité par rapport aux dommages en termes d’image de marque de ces gens-là.

    Vous aviez dit il y a quelques années que vous prépariez un film sur PPDA. Est-ce que ce projet s’est inséré dans "Fin de concessions", ou est-il encore en cours ?

    Non, j’ai de très grosses archives sur PPDA qui est une sorte de monstre magnifique, extraordinaire, passionnant, enfanté par la télévision commerciale française. Mais le problème c’est que je voulais faire ce film sur lui tant qu’il était encore en poste. Je suis un peu embêté parce qu’il n’a plus le pouvoir qu’il avait il y a encore deux ou trois ans. Je n’aime pas tirer sur les ambulances. Ce projet est en stand-by, mais j’ai rassemblé une somme d’archives encore plus impressionnante que celle réunie pour Fin de concession. C’est vraiment très intéressant de voir comment ce bonhomme a complètement pété les plombs quand il est devenu riche, célèbre, quand il était la figure emblématique de TF1.

    "Fin de concessions" est, à mon sens, votre film le plus drôle. Ce côté divertissant est peut-être susceptible de faire échapper les valeurs portées par le film...

    J’espère que le film est drôle. Quand on a tourné la séquence avec Marc Touati par exemple, on a atteint des niveaux de burlesque qu’il était très plaisant, en tant que réalisateur, de tourner. Ce genre de choses est toujours très gratifiant. Je revendique un cinéma dans lequel on peut parler de choses "graves" de manière légère et ludique.

    La question d’activité politique que vous abordez dans le film "Ni vu ni traître", n’est-ce pas finalement ce que vous avez envie de faire ?

    Il ne faut pas être irresponsable, comme certaines personnes qui ont appelé à ce genre d’actions plus illégales, plus radicales plus violentes et qui eux-mêmes ne se mouillaient pas. Je me suis toujours refusé dans mes films à aller dans cette direction-là. Là où mon boulot peut être subversif, c’est lorsqu’il fait entendre au spectateur un autre son de cloche que ce que raconte la grande machine médiatique. Ce sont des choses qu’on entend peu, et qui peuvent modifier de manière très radicale la perception qu’on a de l’existence. Il y a même des gens qui ont changé de vie après avoir vu ces films-là. (...) Mon objectif en tant que réalisateur, c’est quand même d’essayer de laisser un maximum de liberté au spectateur, de ne pas le prendre en otage.

    Votre film traite essentiellement de la télévision, alors que beaucoup de personnes ne l’ont pas et ne sont donc pas concernés. Il aurait peut-être fallu accorder plus d’importance à la presse écrite par exemple...

    Je ne suis pas d’accord avec vous. La télévision reste le média dominant, et elle est toujours en expansion. Vous dites que vous n’avez pas la télévision, je peux vous assurer que vous l’avez sans le savoir. Vous êtes forcément sensible à ce que la télévision met dans l’espace public. Vous aurez toujours quelqu’un autour de vous qui va vous rappeler ce qu’à raconté la télévision. (…) La télévision concerne tout le monde, s’occupe de tous, qu’on l’ait ou pas. Elle a cette faculté incroyable d’avoir par exemple verrouillé l’espace des possibles lors du débat présidentiel en 2007, entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Sa grande force est de verrouiller toute possibilité d’utopie, elle pollue notre air mental.

    Propos recueillis par Thomas Imbert

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