AlloCiné : Comment avez-vous réussi à vous imposer vis-à-vis des producteurs avec ce premier film ?
Sophie Barthes : Aux Etats-Unis, c’est très difficile car les producteurs ont toujours le dernier mot. Je pense qu’en France, les réalisateurs ont plus de poids sur les décisions. Les producteurs voulaient faire un film plus commercial et plus accessible, donc plutôt une comédie. J’ai essayé de résister le plus possible, parfois j’ai fait quelques compromis. Je ne voulais pas que ce soit une histoire d’amour, ça aurait été un peu cliché que Paul tombe amoureuse de Nina. Je ne suis pas contre la comédie, il faut qu’il y ait de l’humour, d'ailleurs le film compte des moments assez burlesques et loufoques. Mais je voulais qu’il y ait aussi des moments de mélancolie à côté.
Quels sentiments vouliez-vous provoquer chez le spectateur ?
L’idée du film était de ne pas définir l’âme, car je n'ai pas de définition à donner. Mon désir était que le spectateur se pose des questions comme : "Qu’est ce que je fais de mon âme au quotidien ? Est-ce que je la néglige? " Le spectateur doit se poser des questions sur sa relation avec son âme.
Vous êtes une admiratrice de Beckett et Brecht, qui rendent dans leurs œuvres le quotidien étrange. Vous avez renversé ce mécanisme en montrant quelque chose de surréaliste de manière normale...
Oui, tout à fait. J’aime beaucoup la science-fiction qui s’ancre dans le réel. Comme si demain on pouvait aller extraire son âme... C’est une satire de la société américaine, telle que je la perçois. Cela fait dix ans que j’habite aux Etats-Unis. Parfois, j’ai l’impression que c’est une société qui veut tellement être dans le pragmatisme et l'efficacité, que si demain l’extraction de l’âme était possible, les gens le feraient sans même se poser la question !
Avez-vous cherché de l’inspiration dans la littérature russe ?
Je voulais appeler le film Les Ames froides en français. Quand j’ai fait des recherches, j’ai tapé en Anglais "Cold souls" sur internet, et je suis tombée sur Gogol avec son roman Les Ames mortes. J’ai donc lu ce livre, qui raconte aussi une histoire de trafic d’âmes. J’ai bien sûr aussi relu des pièces de Tchekhov pour bien m’imprégner de leur atmosphère. Je pense que la beauté de Tchekhov est son côté tragi-comique : les personnages sont extrêmement mélancoliques, portent tout le poids du monde sur leurs épaules, et en même temps c’est ce qui est drôle.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à ce sujet complexe qu'est l'âme ?
C’est en lisant Carl Jung quand j’ai eu le rêve qui a inspiré le film. J’ai lu L’homme à la découverte de son âme. Il y dit que la tragédie de l’homme moderne est d’être déconnecté de son âme et c’est un sentiment que j’ai éprouvé en vivant aux Etats-Unis. C’est vrai qu’il y a pas mal de gens qui prennent du Prozac et c’est un peu comme une anesthésie de l’âme, quand on décide de pas ressentir la douleur. Je trouve ça dommage car, malgré ce refoulement, notre âme réapparait d'une manière ou d'une autre ... L’idée du film était donc qu’il faut être un peu plus à l’écoute de son âme.
Avez-vous analysé votre rêve, qui a inspiré le film ?
En fait, j’écris mes rêves depuis longtemps. J’ai un carnet de rêves. Je ne les analyse pas vraiment car je n’ai pas fait de psychanalyse. Mais je serais curieuse de savoir ce qu’un analyste dirait sur ce rêve avec ce complexe d’infériorité envers Woody Allen. J’utilise les rêves plutôt comme catharsis : quand je les écris, ça me libère de certaines émotions. Quand on cherche trop à analyser, on perd le charme, le mystère des choses.
Croyez-vous à une relation étroite entre l’âme et le corps ?
Personnellement, je ne suis pas dualiste, mais moniste. Je pense que l’âme et le corps sont indivisibles, et c’est pour ca que la philosophie orientale m’intéresse beaucoup. Dans la philosophie française, avec la tradition de Descartes et du Dualisme, on a perdu un peu ce qui fait la beauté et le mystère de l’être humain. Je pense qu’on est une seule entité et l’ironie c’est qu’on ne peut pas se séparer de son âme. C’est aussi l’ironie du film car une fois que Paul se sépare de son âme, il n’est plus lui-même et ce n’est pas quelque chose de vivable.
Pour finir, nous avons proposé à Sophie Barthes de réagir à des citations de grands auteur sur son sujet préféré : l'âme...
" L'Homme est une prison où l'âme reste libre. " Victor HUGO
C’est super car c'est exactement ce que ressent Paul ! C’est lui qui s’imagine prisonnier de son âme alors qu’une fois extraite, son âme part en Russie et devient nomade. Son âme traverse toute une série de péripéties et c’est lui qui, au final, devient prisonnier sans elle. Cette citation est très juste.
" Pour être heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme qu'il faut entièrement paralyser. " Sébastien-Roch Nicolas de CHAMFORT
C’est ce que dit Paul quand il va dans la clinique et que le docteur veut le convaincre d’extraire son âme. Paul hésite et le docteur lui promet le bonheur. Mais Paul dit : "Je ne veux pas être heureux, je veux juste arrêter de souffrir". Le docteur lui affirme que la souffrance vient exclusivement de son âme et que donc s’il s'en débarrasse, il sera peut-être plus heureux.
" Les âmes les plus sensibles souffrent le moins longtemps ; incapables d'héberger leur douleur, elles l'expulsent . " Jean ROSTAND
C’est ce que Paul fait en fait, au sens figuré : il expulse la douleur car il ne peut pas la supporter, mais cela n’arrange pas le problème. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette citation. Je pense que les âmes sensibles souffriront toujours parce que même si on expulse la douleur, l’âme trouve toujours une façon de se manifester et de revenir à la charge, comme par des rêves ou par une névrose. Donc si on est une personne très sensible, même si, de façon temporaire, on pense qu’on souffre moins, c’est un état d’âme qui ne va pas changer.
Propos recueilli par Barbara Fuchs le 15 avril à Paris.