Nouvelle vague du cinéma israélien, suite... Encore inconnu en France, Dror Shaul s'inspire de sa popre vie dans Adama, mon kibboutz. Il y évoque l'histoire de sa mère prisonnière d’une communauté étouffante.
Quand avez-vous décidé de faire un film autobiographique ?
Mon premier film, Operation Grandma, raconte l’histoire de trois frères qui décident de ramener leur grand-mère décédée dans leur kibboutz natal. Il s’agissait d’un scénario déjà autobiographique car après ma fuite, j'avais décidé de ramener son corps sur notre territoire. Puis j’ai fait une autre comédie qui était une légère critique sur les différentes communautés juives vivant en Israël. Adama, mon kibboutz est un travail plus profond sur moi-même, sur les sentiments que je ressentais pour ma mère.
L’écriture a-t-elle été une étape difficile ?
Oui, très difficile. J’ai mis 4 à 5 ans pour l’écrire. L’histoire a beaucoup changé au fil du temps. A l’origine, le script était beaucoup plus drôle mais j’ai réalisé qu’il fallait qu’il soit plus sérieux pour que je raconte mon histoire. Heureusement, j’ai participé au laboratoire de Sundance qui m’a beaucoup guidé sur le plan scénaristique.
Etait-ce une nécessité pour vous de parler de votre vie ?
C’est une question intéressante, je ne me l’étais jamais posée en fait. A cette période, je n’avais rien, je ne pouvais compter que sur moi-même, il me fallait donc avoir confiance en moi. Alors d’une certaine manière, oui, c’était une nécessité. Aujourd’hui, je travaille enfin sur des projets qui ne tournent pas autour de mon passé. Mais je pense que quand vous écrivez un film, il doit toujours y avoir une part autobiographique. Autrement, n’importe quel scénariste ou réalisateur américain peut le faire à votre place.
Quelles ont été vos inspirations pour "Adama, mon Kibboutz" ?
Je n’ai jamais fait d'école de cinéma, je me suis lancé dans le 7e art tout seul jusqu’à ce que je commence à faire des films et que j’aille à Sundance où l’on m’a donné les outils nécessaires afin de me professionnaliser. Ils avaient d’ailleurs un dicton qui disait : « Si vous souhaitez vous améliorer au tennis, jouez avec quelqu’un qui est meilleur que vous ». Concernant les influences, il est difficile d’y répondre, on évite de se dire : « Tiens, j’ai envie de faire un film qui ressemble à celui-ci ou celui-là » ; vous n’avez jamais envie de faire ce que quelqu’un a déjà fait. Je peux affirmer qu’émotionnellement, Adama, mon kibboutz est une sorte de combinaison entre la dure réalité que l’on peut voir dans Breaking the Waves et les instants magiques de Vieilles Canailles . Mais en fait, je ne sais pas vraiment quelles ont pu être mes inspirations.
Quelle a été la scène la plus émouvante à tourner ?
Je pense qu’il s’agit de la scène où le jeune garçon est allongé dans la chambre d’enfant, en train de croquer une sucette. Elle a été tournée dans un kibboutz où les murs avaient été repeinte, exactement de la même couleur verte que celle de mon enfance. A un moment, je me suis àretrouvé seul dans cette pièce et tous mes souvenirs d’enfance me sont revenus à l’esprit. J’ai vraiment senti à ce moment précis que je me sentais libéré. Etre dans cette chambre fut l’un des plus grands moments pour moi.
Comment êtes-vous entré dans le milieu du cinéma ?
J’ai d’abord grandi dans un kibboutz que j’ai fui juste après mon service militaire. Je suis directement allé à Tel Aviv avec sous le bras deux jeans, une paire de boots de l’armée, une cinquantaine de 33 tours de Lou Reed et mon permis de conduire. Voilà ce que j’avais en poche, rien de plus. Et c’est ce permis de conduire qui m’a sauvé la vie. Il m’a permis de conduire des camions, ce que j’ai commencé à faire pour le besoin de tournages de films. Puis petit à petit j’ai gravi les échelons et au bout de 5 ans, j’ai commencé la réalisation en faisant des clips et des publicités. Mais à une époque, tout était très difficile pour moi et j’ai failli tout arrêter car aucun projet n’aboutissait. Je n’étais pas bien dans ma peau et c’est alors que j’ai décidé de commencer à écrire sur ma vie. C’est un miracle pour moi d’y être arrivé et j’en suis aujourd’hui très heureux.
Quelle place avez-vous dans le paysage de la nouvelle vague israélienne ? Vous sentez-vous appartenir à ce courant ?
Bien entendu et j’en suis fier ! A partir de 2001, des réalisateurs comme Dover Kosashvili (Mariage tardif) ou Nir Bergman (Broken Wings ) ont fait leur apparition et on a commencé à parler des travers de la société israélienne. Mais avant tout, ils ont évoqué leur propre histoire, comme j’ai pu le faire avec mes films. Je considère que chacun d’entre nous est une histoire. Chaque individu est un film. La question est de savoir quel degré d’importance cela a pour vous et bien sur, il faut que vous sachiez comment la raconter, que vous ayez les bons outils. C’est ce que j’adore dans l’Art et dans la mise en scène.
Qu'est-ce qui caractérise cette nouvelle vague du cinéma israélien selon vous ?
D’abord, nous avons de très bon financiers qui savent repérer les bons artistes et faire des films intelligents. A côté de cela, les réalisateurs ont tous commencé à raconter leur propre expérience et c’est notre point commun. L’industrie française est ancienne, elle est établie. L’industrie israélienne, si on exclue les réalisateurs des années 50-60, est différente. En 1990, la télévision est arrivée et il a fallu immédiatement créer de nouveaux projets, de nouveaux films. Notre industrie est extrêmement jeune, ce qui permet de faire des films novateurs car peu de choses ont été faites.
Un autre point commun est l’aspect politique ou au moins critique de la société…
Oui bien sûr mais pour ma part, je ne souhaite pas être politique avec mes films. Ce qui m’intéresse avant tout est de rendre des émotions à travers des personnages et de raconter une histoire. La critique et le côté politique viennent par la suite. Ce que je trouve incroyable est la facilité avec laquelle on arrive à tuer des innoncents en appuyant sur un simple bouton par exemple. C’est de la folie ! Cela va au-delà de la politique ! Quand on y pense, c’est absurde. Tout le monde veut avoir la bombe pour l’avoir mais personne ne l’utilise ! Et espérons que personne ne l’utilisera jamais…
Propos receuillis à Paris le 3 décembre 2009 par Edouard Brane