AlloCiné : Vous vouliez tourner un film en Europe de l'Est, car vous vous sentez proche des habitants et vous y avez passé beaucoup de temps avant le tournage. Qu'est-ce qui vous relie à cette culture ?
Ulrich Seidl : C'est l'une des raisons, mais ce n'est pas la seule. Je me sens très proche de la mentalité balkanique, j'aime que les gens prennent encore le temps de recevoir des invités et de faire la fête. Ils ont une autre notion du temps.
Avez-vous vécu des scènes qu'on voit dans "Import Export" ?
Oui, par exemple la scène en Slovaquie dans la cité habitée par des gitans, où on propose des prostituées à Pauli. Ce n'était pas dans le scénario mais c'est moi qui l'ai vécue. Des milliers des personnes restaient planquées car elles n'avaient pas de travail. C'est un monde inconnu et on ne sait pas comment le gérer.
Vous avez découvert votre actrice principale, Ekateryna Rak, dans un petit village du sud de l'Ukraine. Comment avez-vous gagné sa confiance alors qu'elle était assez inquiète à cause des scènes pornographiques ?
On ne peut gagner la confiance que si on prend le temps de se rencontrer. On avait dit dès le début du casting qu'on cherchait une actrice qui joue aussi des scènes de sexe. Ekateryna a accepté mais elle ne l'a pas fait avec plaisir, bien évidemment. Ce n'est vraisemblablement pas agréable pour chaque femme qui le fait, mais c'est comme ca.
Paul Hoffman n'est pas non plus un acteur professionnel mais joue un personnage qui est très proche de lui-même. N'était-ce pas difficile ou déprimant pour lui de montrer sa propre vie ?
Pas du tout, bien au contraire. J'avais déjà écrit son personnage quand on a commencé à faire le casting. Je voulais quelqu'un qui soit le plus proche possible du personnage. J'aurais pu choisir aussi un acteur, mais je savais qu'il n'aurait pas réussi à jouer avec autant de vérité. Pauli était assez fier de son rôle et il s'est beaucoup investi, c'était sa qualité.
On ne pourrait pas lui faire jouer quelque chose qu'il n'a pas au plus profond de lui-même. Depuis la fin du tournage, il a eu un enfant avec sa copine, mais sinon il n'y a pas vraiment eu de changement dans ses conditions de vie.
Les spectateurs de vos films doivent-ils s'identifier aux personnages ou leur attribuez-vous plutôt le rôle de voyeurs ?
Je veux montrer des personnes dont le spectateur puisse se sentir proche. Si le spectateur est sincère, il doit reconnaître que ce monde auquel il est confronté est très similaire au sien. Ce monde ne le laisse pas indifférent, n'est pas artificiel. Le spectateur ne doit pas oublier le film une fois le générique terminé mais réagir, à travers des discussions et des réflexions sur lui-même. Il faut que le film heurte le spectateur, il faut l'impliquer et l'inquiéter.
Vous-même, comment vous sentez-vous pendant le tournage et le montage ?
Pareil, je découvre avec ces aventures des mondes qui me sont inconnus et dont je ne peux pas me détacher émotionnellement. Parfois c'est vraiment déprimant, mais parfois c'est aussi réjouissant. Au moment du tournage, il faut que je laisse mes émotions à côté.
On vous qualifie souvent de pessimiste, pourtant vous ne faites que montrer la réalité, surtout dans vos documentaires...
Ce n'est pas une question de pessimisme ou d'optimisme. Un film ne doit pas être optimiste mais authentique. Cela peut aussi être une comédie (rires). Je veux émouvoir les gens avec mes films et leur donner quelque chose. La plupart de mes spectateurs trouve mes films enrichissants. C'est comme avec un bon livre ou de la bonne musique,
ce n'est pas seulement du divertissement. Quand on traverse le monde en gardant les yeux ouverts, on est forcément pessimiste. Mais moi, en tant que pessimiste, j'aspire à un monde plus digne. C'est ce que montrent mes films : la recherche de plus de dignité de l'individu.
Vous pensez qu'"Import Export" pourrait montrer le peuple autrichien sous un mauvais jour en France ?
Je pense que chaque spectateur intelligent va voir que le film se passe en Ukraine et en Autriche mais que l'histoire est valable pour tout le monde occidental et le problème européen entre l'Est et l'Ouest. Ces problèmes, il y en a aussi en masse en France. Ici, les filles ne viennent peut-être pas d'Ukraine mais d'ailleurs.
Pourriez-vous nous en dire plus sur votre nouveau projet "Im Keller" ("Dans la cave"), qui parle des secrets des Autrichiens ?
C'est un film documentaire sur des caves. La cave a une valeur importante pour le propriétaire d'une maison. Souvent, on va dans la cave pour faire ce qu'on aime bien, c'est associé aux loisirs. Pendant mes recherches pour Import Export, j'ai constaté que beaucoup de gens avaient une cave plus grande que l'espace à vivre. Ici, l'inconscient et l'angoisse jouent un rôle important. La cave est aussi, on le sait au moins depuis Fritzl et Kampusch, un lieu pour une double vie et pour cacher quelque chose. Avec mes films, je ne veux pas découvrir quelque chose mais montrer l'horreur du quotidien, la chose normale en fait. Je montre ce que tout le monde trouve normal mais qui est finalement une horreur. D'autre part, je prépare un film de fiction, Paradies, sur trois histoires d'amour de trois femmes.
À noter : une rétrospective autour d'Ulrich Seidl débutera le 25 mars 2009 à Paris.
Propos recueillis par Barbara Fuchs en janvier 2009 à Paris
