Mon compte
    Bertrand Bonello parle "De la guerre"

    Pour AlloCiné, le réalisateur Bertrand Bonello évoque son film "De la guerre", emmené par Mathieu Amalric, qui sort ce mercredi en salles.

    AlloCiné : comment l'idée vous est-elle venue d'adapter sur grand écran le livre de Clausewitz "De la guerre" ?

    Bertrand Bonello : On peut difficilement parler d'une adaptation. De la guerre de Clausewitz est un traité de stratégie militaire paru à la fin du 18e siècle, pas d'histoires, seulement des théories sur comment se comporter sur un champ de bataille, comment réfléchir la guerre... 800 pages qui racontent que la guerre, c'est la continuation de la politique par d'autres moyens. Ce thème, cette idée, je peux me l'approprier pour mon film. Ainsi que le titre. Le reste n'a pas grand chose à voir avec le bouquin. Mais lorsque j'ai eu envie de faire un film sur l'idée du plaisir, il m'est rapidement apparu que c'était quelque chose de très compliqué aujourd'hui. Qu'il n'était pas donné et qu'il fallait donc se battre pour le conquérir. S'il faut se battre, c'est donc une guerre. C'est partant de ce postulat que j'ai eu envie d'appeler le film De la guerre et de me replonger dans le livre de Clausewitz.

    AlloCiné : une citation de Bob Dylan ouvre le film et ses chansons l'accompagnent jusqu'à la fin. Quelle relation existe-t-il entre "De la guerre" et le chanteur américain ?

    Dylan, quand il est arrivé sur la scène musicale, on lui a dit qu'il était impensable de faire une carrière avec une voix pareille, une voix de crécelle... Il devient rapidement le chanteur folk le plus important et le plus influent de sa génération. Simplement, au départ, il ne rentrait pas dans les canons vocaux de la musique de l'époque. C'est une première chose. La seconde, c'est que même à 67 ans, il reste un mystère total. Tous les livres écrits sur lui, et même par lui, ne lèvent rien de cette opacité. Il restera, avec Godard et Warhol, une des icones pop les plus emblématiques de la fin de 20e siècle. J'aimais qu'il soit une sorte de voix - et de voie - qui traîne au-dessus du film. C'est un fantasme pour Mathieu, comme pour beaucoup de gens. Mais comme le dit la citation de lui qui ouvre le film, peut-être est-il aussi perdu que nous...

    AlloCiné : votre film évoque le thème des sectes de manière ambiguë. L'effet de cette expérience dans Le Royaume sur Bertrand paraît positive. Pensez-vous que ce film puisse susciter une polémique autour des sectes et de leur effet sur les êtres humains ?

    Je n'utilise personnellement pas le mot "secte" pour parler du film parce que je sais qu'il a une connotation très négative. Mais au fond, une secte, c'est quoi ? Un lieu, dirigé par quelqu'un qui énonce des règles (un metteur en scène ?), dans lequel se regroupent des gens qui veulent fuir la société et le monde tel qu'il existe. La secte fonctionne par un retrait de réel et par une coupure à tout ce qui nous y attache, qui font que rapidement on y devient addict. De ce point de vue , Le Royaume pourrait s'y apparenter. Mais le sujet des sectes n'est pas le mien. Mon sujet, c'est le réel et la fiction, c'est le voyage initiatique d'un homme... Ce sont des choses plus intimes, on est loin d'un sujet de société. C'est pourquoi le film ne devrait pas susciter de polémique, en tout cas pas là-dessus. La seule chose qu'il dit, c'est que coupé du réel, toute forme de fantasme ou de "vie fantastique" tourne vite à vide.

    AlloCiné : le film traite d'un problème de société actuel, à savoir la perte du contact entre l'homme et son instinct primaire, contact qui se retrouve dans le climat de guerre. Vous sentez-vous, avec ce film, ancré dans cette problématique ?

    Elle fait en effet partie du film. Le corps et la tête ont été très dissociés dans la société occidentale moderne et le film travaille à les rassembler. C'est une petite partie du film, mais très présente.

    AlloCiné : dans ce voyage initiatique, certaines épreuves font référence au théâtre, comme les jeux de confiance ou le masque. Inscrivez-vous le théâtre dans cette optique de contact entre l'homme et l'instinct ?

    Pas le théâtre comme on l'entend aujourd'hui. Peut-être le théâtre grec qui travaillait à dire sur une scène ce que l'on ne pouvait pas dire dans la société. On parlait de tous les tabous possibles, de l'inceste aux perversions les plus violentes. Et la société s'en retrouvait équilibrée. Le théâtre, comme la fiction ou le jeu, ont pour moi ce rôle-là.

    AlloCiné : le personnage principal est tiré de vous, il s'appelle d'ailleurs Bertrand, est réalisateur et travaille avec Laurent Lucas. Comme votre personnage, tenteriez-vous l'expérience du Royaume si vous en aviez l'occasion ?

    Celle-là ou une autre... Tenter l'expérience, oui, mais surtout en ramener quelque chose dans le monde. Est-ce que la création d'une nouvelle zone qui concentrerait toutes les propositions de vie qui nous ont le plus attirées pourrait nous tenter ? Est-ce que l'on serait prêt à payer, à tout quitter pour cela ? Pouvoir enfin se défaire temporairement de tout principe de réalité et vivre le rêve. Un rêve guerrier, excessif. Le vivre sans perdre conscience qu'il n'y a d'éternité possible dans aucune expérience. Que le rêve lui aussi est monstrueux...

    AlloCiné : comment réagissaient les acteurs face à cette expérience ?

    Il faut se rendre compte qu'ils étaient obligés de vivre les choses. Que ça ne pouvait pas être simplement du jeu d'acteurs. Acteurs ou figurants, ils étaient obligés pendant une journée de ramper dans du sable, le lendemain de danser dans une forêt pendant huit heures, à la limite de la transe, le lendemain d'écouter des heures durant des textes érotiques... Donc, malgré la présence d'une équipe et d'une caméra, ils vivaient Le Royaume. Je crois que l'expérience les a troublés.

    AlloCiné : le film contient quelques références cinématographiques ("Apocalypse Now", "Existenz")...

    eXistenZ est un film qui passe à la télé. Mathieu Amalric appelle une escort et en attendant sa venue, zappe et tombe sur ce film. Il décide de le regarder et annule son escort. Je cherchais un film qui puisse avoir l'air d'une série B en télé, mais qui en fait soit un grand film. eXistenZ était parfait pour ça. Je me suis rendu compte par la suite à quel point les deux films avaient des points communs. La connexion et la déconnexion, le jeu vidéo, les allers-retours réel/fiction, le rapport à l'addiction et la drogue... Pour Apocalypse Now, c'est venu progressivement. Il fallait que Mathieu/Bertrand, à un moment, se retrouve seul pour mettre en application ce qu'il avait appris pendant les semaines passées. J'avais donc imaginé qu'il se réveille seul dans un forêt. Qu'il ait d'abord peur, puis qu'il apprivoise la forêt. Et ensuite, qu'il se sente chargé d'une mission. Que trouver de mieux que tuer le colonel Kurtz ? On retrouve la guerre, on retrouve le cinéma ... Et puis le film raconte cela aussi. Le Royaume est un lieu où l'on peut s'autoriser des choses. Si Mathieu/Bertrand a envie de rentrer dans un immense film américain, qu'il s'en sent capable, alors qu'il y aille. Il finira par gagner et atteindre enfin un état de jubilation pure.

    AlloCiné : un mot sur votre prochain projet ?

    Pas mal de projets en cours, dans la tête. De vieux projets abandonnés, parce que trop compliqués à financer, mais qui reviennent me hanter. Sinon, un autre, un peu avancé, qui est un film qui se passe intégralement dans une maison close à Paris en 1899/1900. Ce serait un peu le positif/négatif de De la guerre. Un film qui, sur papier, pourrait y ressembler : un lieu clos dédié au plaisir, mais qui en fait sera son exact contraire.

    Propos recueillis par Steven Ayache le vendredi 26 septembre 2008 à Paris

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top