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    "[Rec] : l'interview qui fait peur !

    AlloCiné s'est fait peur en rencontrant Jaume Balaguero et Paco Plaza, les réalisateurs du film d'horreur événement "[Rec]", en salles ce mercredi. Attention, frissons !

    "[Rec]" est une expérience de terreur pure. Cette sensation est renforcée par le mode de tournage caméra à l'épaule, à la manière d'un reportage. D'où est venue l'idée de filmer de cette façon ?

    Jaume Balaguero : C'était précisément l'idée de [Rec] que de le tourner de cette manière : nous nous demandions comment tourner un film d'horreur de la façon la plus forte possible, la plus crédible. Comment en faire une expérience de proximité avec le public ? La réponse, c'était de tourner ce film d'horreur avec le langage du direct télévisé. C'était l'idée de départ, à partir de laquelle nous avons écrit l'histoire.

    Les films tournés caméra à l'épaule se multiplient. Pensez-vous qu'il s'agisse là d'une manière nouvelle de filmer l'horreur ?

    Paco Plaza : Je ne crois pas. Quand tu commences un film, tu ne penses pas à ces théories, à toutes ces choses, tu recherches simplement la façon la plus cohérente, la plus honnête et la plus efficace de faire le film que tu as envie de faire. Dans notre cas, puisque l'histoire traitait d'une équipe de télévision, il était logique de la tourner ainsi, sans aucune prétention artistique. Si [Rec] est tourné caméra à l'épaule, c'est parce que le caméraman porte son appareil à l'épaule, comme on le fait normalement dans ce cas-là. C'était moins un certain type de langage cinématographique qu'une technique réclamée par l'histoire.

    Comment s'est déroulé le travail à quatre mains sur le film ?

    P. P. : Très bien. Il ne s'agissait pas de prendre des décisions classiques avec ce film. De façon basique, notre travail consistait à générer une réalité fausse, dans laquelle advient l'histoire racontée dans le film, et ensuite filmer un documentaire sur cette réalité simulée. La manière de faire était particulièrement stimulante, parce que tous les aspects du film étaient ouverts à l'improvisation : nous écrivions le scénario chaque jour, les acteurs improvisaient constamment, le caméraman aussi... Il y avait une énergie dans la création de [Rec] qui était très intéressante, et c'est ce qui donne au film sa personnalité, qui lui donne cet aspect très vivant. Je crois que cela provient de la manière dont nous l'avons fait : de façon improvisée et libre, sans aucun type de pression. Cela été très stimulant et amusant.

    L'un de vous filmait pendant que l'autre dirigeait les acteurs ?

    J. B. : Non, c'était un acteur à part entière qui filmait. Il faisait ses débuts comme comédien, servait de chef opérateur, devait interagir avec les autres acteurs, leur parler et leur répondre, et en même temps s'occuper de la caméra. Nous, nous contrôlions tout ce chaos !

    Il paraît que les acteurs ne connaissaient pas la totalité du scénario et qu'ils ne savaient pas ce qui allait se passer...

    P. P. : Avec les acteurs, nous avons surtout travaillé sur la construction des personnages. Une fois le tournage commencé, nous leur donnions quelques informations, parfois nous leur racontions des mensonges, leur disant par exemple que quelque chose allait se passer alors qu'en fin de compte il se passait autre chose. Nous voulions qu'ils n'arrêtent jamais d'agir, quoi qu'il advienne, qu'ils continuent de réagir car nous n'allions pas couper la caméra. C'était très stimulant pour eux. L'actrice principale nous demandait souvent : "Vous allez me tuer ?" ou "Est-ce que je meurs à la fin ?", et nous lui répondions : "Toi, tu essaies de ne pas mourir, tu dois tenter de survivre, et on verra si tu y parviens !" Tout cela générait chez les acteurs une atmosphère de tension et de peur presque réelle qui était parfaite pour le résultat attendu. Nous avons beaucoup joué à provoquer ce sentiment.

    Il y a parfois de longs plans-séquences, ce qui doit impliquer un gros travail de préparation en amont...

    J. B. : Derrière l'apparente simplicité de mise en scène de [Rec], et pour donner cette apparence de simplicité, il y a effectivement un travail complexe de préparation. Nous nous sommes souvent dit que c'était le film le plus compliqué et le plus sophistiqué que nous ayons fait tous les deux. Et pourtant, à l'écran, tout paraît simple. Derrière cette histoire simple de quelques personnes vivant une situation étrange, il y a une grosse machinerie, beaucoup de personnes travaillant dans l'ombre et se dissimulant pour ne pas apparaître dans le champ, et une production très complexe.

    "[Rec]" fait très peur mais fait aussi la critique de la télévision et de la médiatisation à outrance...

    P. P. : Nous vivons un moment particulièrement complexe dans l'évolution de la télévision, nous sommes en train de dépasser certaines limites très dangereuses quant à l'éthique de l'information. Cela nous préoccupe beaucoup de voir que la perception qu'ont les gens de la réalité passe uniquement par la télévision, et que ce qui n'est pas diffusé n'existe pas. Le rôle de la télévision n'est donc plus de refléter la réalité, mais de la créer. A partir de là, les téléspectateurs prennent pour vrai ce qu'ils voient sur l'écran. C'est une situation très préoccupante, parce que cela donne aux moyens de communication un pouvoir dangereux, selon comment ils sont utilisés.

    Pensez-vous que le succès de "[Rec]" traduit une demande du public pour une horreur plus réaliste, plus quotidienne ?

    P. P. : Je ne sais pas s'il existe une demande du public, mais notre intention était de faire le film le plus reconnaissable le plus crédible possible dans ce qu'il montre. Plus proche nous sommes du spectateur, meilleure est notre capacité à le terroriser. Il s'agit de reconnaître que cette situation est en train de se dérouler près de toi : ce n'est pas dans un lointain espace ou avec des créatures surnaturelles, mais dans ta propre maison. Pour cette raison, notre intention était, avec le casting et avec cet édifice, de rendre les choses très reconnaissables.

    AlloCiné : Avec "[Rec]", vous confirmez faire partie des nouveaux maîtres de l'horreur espagnole. Comment en êtes-vous arrivés à travailler dans le genre horrifique ?

    J. B. : Depuis tout petit, je suis un fan de cinéma d'horreur, de fantaisie, de science-fiction, bref, de tout ce qui stimule l'imagination. J'étais un enfant très imaginatif et tout cela me plaisait beaucoup. J'aime faire ce genre de cinéma, c'est pour moi très satisfaisant. Bien sûr, j'aimerais aussi faire d'autres types de films, mais pour l'instant le cinéma d'horreur me plaît particulièrement...

    P. P. : Ce qui est clair, c'est que nous essayons de faire les films que nous aimerions aller voir au cinéma en tant que spectateurs. C'est pourquoi nous partageons cette culture du cinéma de terreur depuis plusieurs années. Quand tu fais un film, cela prend beaucoup de temps de ta vie, un an, un an et demi, voire deux ans, et puisque tu vis tous les jours avec, il faut vraiment que le film te plaise et te stimule.

    Propos recueillis par Eric Nuevo à Gérardmer, en janvier 2008

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